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Le projet d’union Méditerranéenne
Certains passages de cet article sont issus de la presse capitaliste (ils sont entre crochets). Explication : il y a peu d’informations dans les milieux alternatifs, et il semblait intéressant d’utiliser une partie de leurs discours pour permettre à chacun de faire sa propre critique, et de permettre la confrontation de nos positions aux leurs avec « leurs mots ». Pour bien suivre ce sujet, il
convient avant de comprendre la stratégie euro méditerranéenne : l’Euromed et le processus de Barcelone.
L’Euromed est le partenariat lancé par l’Union européenne avec les pays sud-méditerranéens lors de la Conférence de Barcelone de 1995. Douze ans après, le bilan est mitigé. La paix n’a pas été
instaurée dans la région. Aux conflits régionaux se sont ajoutés les actes
de terrorisme et le développement de l’immigration clandestine. La
démocratisation des pays sud-méditerranéens a peu progressé, et la
pauvreté, le chômage et l’analphabétisme sont toujours très présents.
L’élargissement en 2004 de l’Union européenne aux pays de l’Europe de
l’Est a été considéré également comme une preuve de désintérêt vis-à-
vis des pays du sud de la Méditerranée. Afin de pallier à ce bilan mitigé,
une deuxième conférence a été convoquée à Barcelone en 2005. Boycottée par la plupart des chefs d’État des pays du sud de la Méditerranée, elle a été axée principalement sur la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine. Parallèlement au Processus de Barcelone, a été
instaurée à partir de 2004 la Politique européenne de voisinage (PEV),
qui regroupe un certain nombre de pays de l’Europe de l’Est et du sud de
la Méditerranée. Seuls cinq pays méditerranéens ont adhéré à cette PEV
: le Maroc, la Tunisie, l’Autorité palestinienne, la Jordanie et Israël. Nicolas Sarkozy a critiqué le Processus de Barcelone, et a lancé le projet d’Union Méditerranéenne. Cette Union devrait à la fois être diplomatique et
stratégique, mais également culturelle et civilisationnelle. Sarkozy a précisé que cette Union ne devrait pas se substituer au Processus de Barcelone, mais l’accompagner.
Dans un discours prononcé à Tanger le 23 octobre, Nicolas Sarkozy a
officiellement lancé son projet d’Union de la Méditerranée. Il a de nouveau affirmé sa conviction que ce qui se joue dans cette région est décisif, non seulement pour l’avenir des peuples riverains, mais pour celui de
l’humanité. C’est, selon lui, là où se décidera si oui ou non les « civilisations et les religions se feront la plus terrible des guerres, si oui ou non
le Nord et le Sud s’affronteront, si oui ou non le terrorisme, l’intégrisme et
le fondamentalisme réussiront à imposer au monde leur registre de violence et d’intolérance ». On ne peut pas plus nettement affirmer le caractère stratégiquement central de la zone.
Nicolas Sarkozy fait donc de la Méditerranée l’épicentre de l’avenir des relations Nord-Sud et de celles entre le
Monde musulman et le Monde occidental. S’inspirant de ce qu’a été la
construction européenne, il propose de partir de solidarités concrètes, de
projets réels afin de progresser. On se rappelle en effet que la construction européenne est partie de l’idée de mettre en commun la production
de charbon et d’acier de la France et de l’Allemagne, à l’époque matières stratégiques, afin selon l’expression de Jean Monnet, de rendre la
guerre « impossible parce que impensable » entre des pays européens
pourtant habitués à se déchirer dans la guerre.
La construction européenne n’est pas partie d’une architecture globale,
elle s’est faite progressivement à partir de projets empiriques pour devenir quelque chose qui a largement dépassé les espoirs initiaux. Le Président français ne veut pas imiter le modèle institutionnel européen, mais
la démarche pragmatique qui a conduit à sa création. Il propose une
Méditerranée à géométrie variable, avec des projets qui ne portent bien
sûr pas sur le charbon et l’acier mais sur le développement durable, l’énergie, les transports, l’eau. Il s’agit selon son expression de faire une
union de projets. Il a proposé de tenir un sommet des chefs d’Etats des
pays riverains en juin 2008 où seraient invités les pays qui ne sont pas
riverains de la Méditerranée, mais qui se sentent concernés. Le projet de
Nicolas Sarkozy apparaît comme visionnaire pour certains, comme
encore trop vague pour d’autres. L’approche suscite plusieurs interrogations.
Quelle différence par rapport au Processus de Barcelone, lui-même bloqué par la prolongation du conflit israélo-palestinien ? Dans sa comparaison avec le système européen, Nicolas Sarkozy indique que l’Europe
ne s’est pas construite sur l’expiation des Allemands, que les peuples
européens se sont immédiatement projetés dans l’avenir. Mais si l’Europe a pu se réconcilier, contrairement à l’Asie, après la Seconde Guerre
mondiale, c’est bel et bien parce que l’Allemagne a reconnu ses crimes
de l’ère hitlérienne, alors que le Japon a toujours reconnu trop peu ou
trop tard ses crimes de guerre.
Mais surtout si l’Europe a avancé, c’est parce qu’elle était en paix. Les
projets communs ont consolidé la paix, ils ne l’ont pas précédée. Dans
quel projet commun par exemple, Israéliens et Palestiniens pourraient-
ils s’engager aujourd’hui ? En l’absence d’un règlement de ce conflit
qui empoisonne l’atmosphère internationale, est-il possible d’avancer
même sur des projets concrets entre pays arabes et Israël ? On peut
penser par exemple qu’avoir une Méditerranée propre, débarrassée de
toute pollution, est de l’intérêt commun de tous. Mais peut-on avancer
sur ce sujet, alors que les Palestiniens n’ont pas accès à la mer, sans
parler des dégâts écologiques subis par le Liban au cours de la guerre
que lui a faite Israël ? Si la Méditerranée a une place stratégique cen-
trale, c’est justement à cause du conflit israélo-palestinien, dont on sait
qu’il est très important dans la problématique des relations Monde musulman/Monde occidental. Tant qu’il ne sera pas résolu, les ambitieux
projets de Nicolas Sarkozy auront du mal à prendre corps. C’est certainement là la principale faille. Il veut faire avancer les choses pour ne pas
être bloqué par le dossier israélo-palestinien, mais tant que celui-ci ne
sera pas résolu, il sera difficile d’avancer concrètement. Nicolas Sarkozy
l’avait annoncé lors de sa campagne présidentielle : il souhaite la mise
en place d’une « Union méditerranéenne », véritable interlocuteur de l’Union européenne, garant du libre-échange et du contrôle des flux migratoires.
À Toulon, le 7 février 2007, alors qu’il était encore candidat à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy a publiquement proposé l’idée
d’une « Union méditerranéenne ». Celle-ci devrait, selon lui, réunir dans
un cadre institutionnel commun l’ensemble des pays et territoires du sud
et de l’est de la Méditerranée (du Maroc à la Turquie, en passant par l’Algérie, l’Égypte, Israël et les territoires palestiniens occupés, le Liban)
avec l’Union européenne. À Dakar, le 26 juillet 2007, alors président de
la République, Sarkozy a repris cette idée, en l’élargissant au projet de
création d’une « Eurafrique », aux forts relents coloniaux. Ce dernier discours a été durement critiqué dans de nombreux pays africains, surtout
en raison des sous-entendus culturalistes lourds - sur les Africains retardés, immobiles et attachés à un ordre fondé sur l’« éternel recommencement », au lieu d’entrer « dans l’histoire », selon la formule du président
français - qu’il comporte. Sarkozy s’était montré donneur de leçons, tout
en prétendant « tendre la main » à l’Afrique, si elle accepte d’entretenir des
relations fortes avec l’Europe. Cependant, le discours de Toulon et ceux qui
l’ont suivi, développant le concept d’« Union méditerranéenne » (désormais
bombardée noyau de la future « Eurafrique »), ont suscité moins de réac-
tions. Le concept lancé, à entre-temps,
connu un premier début de réalisation
sur le plan politique. Ainsi, le 28 mai
2007, le président du Conseil italien,
Romano Prodi, et le président français,
à l’issue d’une rencontre à Paris, ont
annoncé une initiative commune. Lors
d’une conférence de presse, les deux hommes annoncèrent la tenue
d’une conférence commune de sept « pays euro méditerranéens » : la
France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal (quoique ce dernier ne soit pas un
pays riverain de la Méditerranée), Malte, la Grèce et Chypre. La future
conférence devrait donner lieu au lancement d’une initiative qui s’adresse aux États des rives sud et est de la Méditerranée. Pour l’instant,
ce projet n’en est qu’au stade embryonnaire.
Au cœur du projet de l’« Union méditerranéenne » à la sauce Sarkozy,
se trouve l’idée d’une future organisation régionale, fortement arrimée à
l’Union européenne, avec qui elle entretiendrait un lien organique,
comme le définissait Sarkozy à Toulon : « C’est à la France, européenne
et méditerranéenne à la fois, de prendre l’initiative [...] d’une Union méditerranéenne, comme elle prit jadis l’initiative de construire l’Union européenne. Cette Union méditerranéenne aura vocation à travailler étroitement avec l’Union européenne. Elle aura vocation, un jour, à avoir avec
elle des institutions communes, parce que la Méditerranée et l’Europe
auront pris conscience que leurs destins sont liés. »
L’objectif principal est de donner un encadrement institutionnel, politicojuridique, au projet d’une zone de libre-échange régionale que les industries européennes appellent de leurs vœux. Avec cette idée, Sarkozy, à
Toulon puis avec Romano Prodi, a tiré les leçons du relatif échec du « dialogue euroméditerranéen », lancé lors d’une conférence tenue à Barcelone, en novembre 1995, qui réunissait un nombre important d’États du
bassin méditerranéen. Ce processus d’intégration régionale (principalement économique et fondée sur le libre-échange) se trouve actuellement
en panne, pour plusieurs raisons.
Le processus de Barcelone, qui devait avancer grâce aux relations bilatérales entre l’Union européenne (UE) et chaque pays du sud ou de l’est
de la Méditerranée, à travers des « accords d’association » avec l’UE
conclus pays par pays, a butté sur certaines contradictions internes.
Ainsi, l’Union européenne se montre-t-elle adepte du libre-échange vers
l’extérieur, pour imposer aux autres l’ouverture de leurs marchés, mais,
souvent encore, protectionniste lorsqu’il s’agit de contrôler l’accès à ses
propres marchés intérieurs. Ceci est particulièrement vrai en ce qui
concerne le marché agricole, l’Espagne se trouvant en situation de
concurrence directe avec les produits agricoles proposés par le Maroc ou
la Tunisie, et la politique agricole constituant par ailleurs un nœud épineux des politiques communautaires européennes. Aussi, la conclusion
d’accords de libre-échange, notamment avec le Maroc et la Tunisie (dès
1996), prévoyant une ouverture totale des marchés de ces deux pays à
l’horizon 2010, n’a pas drainé autant de capitaux que certains l’espéraient. Au lieu de créer un « choc de développement », les capitaux
investis ont eu tendance à occuper des « niches » spécifiques, comme
par exemple le transfert de nombreux centres d’appels d’entreprises
françaises vers la Tunisie ou le Maroc. Très récemment, les capitaux
européens investis ont été concurrencés par l’arrivée de nouveaux investisseurs, notamment venus du Golfe (où les États et la bourgeoisie disposent de beaucoup de liquidités en raison
du cours du pétrole) ou de Chine. Les
pays européens ayant le plus d’intérêts
dans la région se devaient donc de
réagir pour passer à l’offensive.
Le processus de Barcelone a aussi
quelque peu souffert de l’absence d’ini-
tiative politique forte, ce terrain étant
abandonné au profit des relations éco-
nomiques et des accords bilatéraux, en
l’absence de tout débat politique au
niveau central. Derrière les grands dis-
cours sur les vertus du « dialogue entre
les cultures », qui avaient accompagné
le lancement du processus de Barcelone, se dissimulait l’absence de tout progrès dans les relations entre les
peuples et l’absence de toute solution acceptable du conflit israélo-palestinien. Le durcissement du conflit, après 2000, et l’aggravation radicale
des conditions de vie des Palestiniens dans les territoires occupés focalisent aussi l’attention d’une partie des élites politiques dans les pays du
sud de la Méditerranée. Leur croyance en un « dialogue », animé par le
Nord et qui résoudrait les problèmes de la région, dans l’harmonie et l’échange, en a pris un sérieux coup.
Le projet stratégique de Nicolas Sarkozy pour le bassin méditerranéen
développe donc une nouvelle conception : les relations multilatérales doivent être encadrées par une construction institutionnelle, avec un certain
niveau de centralisation. Une telle structure régionale d’intégration, adossée à l’Union européenne, permettrait aussi à Nicolas Sarkozy de justifier la tenue à l’écart de la Turquie, qu’il ne souhaite pas voir intégrer l’UE,
flattant par là même les préjugés racistes d’une partie de l’opinion
publique. Et Sarkozy d’expliquer : « C’est dans la perspective de cette
“Union méditerranéenne” qu’il nous faut envisager les relations de l’Europe et de la Turquie. La Turquie est un grand pays méditerranéen avec
lequel l’Europe méditerranéenne peut faire avancer l’unité de la Méditerranée. »
Le projet de Sarkozy comporte aussi une dimension relevant de la politique intérieure française. Il constitue l’occasion de faire revivre un certain état d’esprit colonial, en établissant un lien entre son projet pour l’avenir et le passé de ceux qui étaient jadis partis, en tant que colonisateurs, dans le bassin méditerranéen. Ce n’est point un hasard si le discours fondateur de la politique de Sarkozy sur l’« Union méditerranéenne » a précisément été tenu à Toulon, ville à forte concentration de pieds-
noirs, ancien fief politique de l’extrême droite repassé - au niveau municipal - à l’UMP en 2001, et où le candidat Nicolas Sarkozy a pu récupérer, aux élections de 2007, un nombre important d’anciens électeurs du Front national.
Ce jour-là, Sarkozy a symboliquement renoué avec la tradition des
conquérants militaires et des colonisateurs : « Le drame algérien, l’occultation du passé colonial, la mode de la repentance ont contribué à
nous rendre étrangers à ce qui avait été si longtemps et si naturellement
un prolongement de nous-mêmes. [...] On peut désapprouver la colonisation avec les valeurs qui sont les nôtres aujourd’hui. Mais on doit
respecter les hommes et les femmes de bonne volonté qui ont pensé de
bonne foi œuvrer utilement pour un idéal de civilisation auquel ils
croyaient. Je veux le dire à tous les adeptes de la repentance, qui refont
l’histoire et qui jugent les hommes d’hier sans se soucier des conditions
dans lesquelles ils vivaient, ni de ce qu’ils éprouvaient. [...] Tous ceux
d’entre vous qui sont revenus des colonies en ayant tout abandonné,
n’emportant avec eux que leurs souvenirs de jeunesse et cette nostalgie qui ne les quittera plus jamais, je veux dire que si la France a une dette
morale, c’est d’abord envers eux. » Parions, tout de même, que ces ten-
tatives de flatter à la fois les esprits les plus colonialistes et les plus rétro-
grades de la société française comme les élites des pays du sud et de
l’est de la Méditerranée seront également sources de contradictions.
« Trier » les immigrés.
Au-delà des promesses sur le « dialogue entre les cultures », le projet
sarkozyen renferme une importante dimension sécuritaire, dirigée contre
les flux migratoires « non désirés ». Ainsi, Nicolas Sarkozy développe-t-il, dans son discours de Toulon : « Je souhaite qu’une convention soit élaborée entre tous les pays méditerranéens pour faciliter les reconduites à
la frontière, et je souhaite que celui qui a été reconduit dans son pays ne
puisse pas obtenir un titre de séjour en France pendant les cinq ans qui
suivent. Je souhaite que les étrangers en situation irrégulière soient
exclus du droit au logement opposable. [...] Je souhaite que soit mise en
place, avec tous les pays qui l’entourent, une politique commune d’immigration choisie, c’est-à-dire décidée ensemble, organisée ensemble,
maîtrisée ensemble, et que dans ce cadre chaque pays fixe chaque
année le nombre des étrangers qu’il peut accueillir. »
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