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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°41 - Juillet-Août 2005 > Témoignage d’Antoine, agriculteur libertaire dans le Marais Poitevin

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Dossier : Pour une agriculture non productiviste

Témoignage d’Antoine, agriculteur libertaire dans le Marais Poitevin



Il me semblait plus juste de définir les légumes que je vends sur le marché de La Rochelle comme produit de l’agriculture libertaire plutôt que comme produit de l’agriculture biologique. Ce que je refuse en tant que poète, c’est le langage de l’agriculture actuelle autant que celui de la médecine et de la politique... Si l’on s’en tient au langage, on se rend bien compte que la chose est pourrie. Si l’on regarde les publicités pour les produits phytosanitaires comme les produits pharmaceutiques, on s’aperçoit aisément qu’ils créent la maladie qu’ils voudraient guérir. Ce qui ne fait pas de la bonne poésie ne fait ni de la bonne agriculture, ni de la bonne médecine, ni de la bonne politique, ni du bon amour. Comme les gens parlent, ils sont. Ce que l’on apprend aujourd’hui dans les écoles n’a absolument rien à voir avec ce que m’ont initié les paysans il y a trente ans. Ce qui se résume à la question de l’invivable.
On considère l’agriculture ou la médecine comme une industrie. C’est l’amour d’une femme, l’amour d’une terre, c’est notre fierté, conscience naïve, qui nous donne les mots, le courage d’agir dans le réel plutôt que dans le virtuel. Souvent me reviennent dans les difficultés les paroles des anciens que j’ai eu la chance de connaître, il y a trente ans. Etaient-ils communistes en Alentejo, catholiques ou caboclos en Amazonie ? Tous, ils m’ont montré la voie de la résistance à l’ordre établi, la joie de travailler pour nourrir plutôt que de profiter. Si mes maîtres étaient libertaires ? Ils le sont en moi. J’ai la joie en vendant au marché, en cultivant mes terres, de faire perdurer une civilisation millénaire qui, si elle n’existait pas, plus aucune société humaine n’existerait. Aujourd’hui, une Internationale paysanne n’est-elle pas en train de se substituer à l’Internationale ouvrière ? N’est-il pas important par les terres que nous travaillons d’exercer un double pouvoir ? Dans le pays touristique, ne contrôlons-nous pas le pays initiatique ?
Au moment où l’on veut nous déposséder des semences paysannes, des semences poétiques de la liberté pour des organismes génétiquement modifiés et des concepts qui vont de pair, nous avons la responsabilité de travailler avec des semences paysannes, organismes amoureusement modifiés, de lutter pour la biodiversité qui fait la beauté de la nature, de lutter pour la liberté passionnelle qui fait la beauté des êtres humains, de lutter pour la vie chère, chérir, guérir, enrichir...
L’élevage a pris comme modèle les camps de concentration nazis ou staliniens. Les immenses plaines de céréales ressemblent à des foules de touristes ou de golden boys aseptisés sans bonne herbe ni mauvaise herbe autour, sans milieu. Chaque épi dans sa solitude et son sourire béa. La nature, c’est l’art dans lequel nous vivons ou l’anti-art ; Parc naturel à côté de plaines céréalières, gibiers pour chasseurs à côté d’élevage hors sol... Tout ça pour nourrir des personnes qui passent des papiers à d’autres. Si quelque personne, parce qu’elle est jeune, belle, amoureuse, parce qu’elle est vieille et sage, parce qu’elle est, tout simplement, s’aperçoit de l’absurde dans lequel on rentre, que fera-t-elle ? Rencontrera-t-elle les libertaires ; Bakounine avec ses cercles intimes, les indiens avec leurs cercles de paroles ? Renouera-t-elle avec la primitivité ? : " Une grande chose " me disait une chanteuse indienne à San Paolo. Renouera-t-elle avec le grand parler ? Celui de l’action politique comme rapport à la terre, au corps réel sans séparation corps - âme - esprit. Un carrefour des voies spirituelles, psychologiques, paysannes, une science cognitive du rapport entre la parole et l’être.
No Pasaran ! Qui ne passera pas ? Les paysans sont la majorité mondiale, laisseront-ils passer dans leur mental, dans leur sentimental les Monsanto, Bayer et autres... ? Les amoureux mettront-ils du désherbant dans l’amour - espace ? Des engrais dans leur cerveau ? Finiront-ils par habiter des bidonvilles, des lotissements ? Se laisseront-ils envahir par les rurbains ou seront-ils la base d’une société libertaire, égalitaire, artistique. Ils possèdent les terres, le savoir-faire. Ceux qui éprouvent l’angoisse du bifteck et du logement sauront-ils retrouver la simplicité, bâtir dans des matériaux du pays à peu près gratuit, jardiner pour se nourrir, converser plutôt qu’avoir la télé ? Peiner peut-être mais ne pas contribuer à une société injuste. Sortir du monde marchand, arrêter de vouloir spéculer intellectuellement comme financièrement. Parce que tout se rejoint. Si le monde est une marchandise, l’humain est aussi une marchandise. Ni marchand, ni marchandise. Cultiver de nobles vérités, d’autant plus nobles qu’elles sont vivantes, vitales, urgentes, libertaires et écologiques bien sûr..".

Antoine est paysan, poète, internationaliste, adhérent à la confédération paysanne. Sa lutte politique, il la mène en cultivant autrement. Il en appelle à l’honneur des paysans, des poètes, des amoureux de toutes les formes d’artisan plutôt que partisan, à tout de suite pratiquer une économie libertaire, ce qui serait plutôt moins compliqué que l’autre économie, comme il est moins compliqué de cultiver sans pesticide et sans engrais. Il aimerait qu’un référendum soit organisé sur l’agriculture. Les citoyens-ne-s pourraient se prononcer, à l’aide d’un réel débat, sur l’agriculture désirée et sur la part du budget des armées qui pourrait être reversée pour financer une nourriture plus saine et plus à leur goût. De même, le débat pourrait également porter sur l’attribution d’une allocation universelle permettant de jardiner, de construire sa maison, faire l’amour, pratiquer un art.

Ce texte, improvisé et retranscrit en l‘état, n’a d’autre but que de susciter un échange avec ceux et celles qui le désirent. Pour toute correspondance, vous pouvez écrire ou vous déplacer à l’adresse suivante :

Antoine et Sophie Oleszkiewick
Venelle du Roulier
79210 Arçais


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