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AccueilJournalNuméros parus en 2008N°68 - mai juin juillet 2008 > ALLAH EST GRAND MAIS LA CONVERGENCE EST DIFFICILE

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Actualité des luttes

ALLAH EST GRAND MAIS LA CONVERGENCE EST DIFFICILE

Retour sur la marche décoloniale du 8 mai


Nous sommes allés à la Marche décoloniale « pour un mouvement politique antiraciste et decolonial autonome », organisée par le Collectif de la Marche Décoloniale. Elle avait pour but de « montrer que le chemin de la dignité passe par la convergence, au sein d’une même organisation politique autonome, antiracialiste et décoloniale, de tous ceux qui sont aujourd’hui traités comme des indigènes. »


L’appel condamne les politiques actuelles de l’immigration, le sécuritaire, la politique coloniale française, l’occupation de la Palestine, et entend réhabiliter « le formidable engagement des travailleurs immigrés dans les grèves ouvrières [...] de mai 1968, il y aura 40 ans cette année. »

Paroles dans la manif

Nous avons diffusé des tracts et invité ceux et celles avec qui nous avons discuté à venir à la manifestation du lendemain (vendredi 9 mai) en soutien aux antifas russes, et contre la manifestation d’extrême droite radicale. Avec notre vraie-fausse naïveté habituelle, nous avons posé quelques questions, du genre : « Pourquoi, dans les manifs et actions antifascistes radicales, il n’y a pratiquement que des Blancs ? » Et : « Comment faire la jonction entre l’anticolonialisme et la lutte contre l’extrême droite, qui nous paraît évidente sur le plan des idées ? Qu’en est-il de la convergence sur ce point-là ? »

Nous avons eu des réponses très variées. Une militante "des quartiers" nous dit que si on ne bougeait pas plus ensemble, c’était parce que nous ne venions pas les voir. « C’est vrai, mais vous non plus ! » Elle rigole et nous nous prend un journal, « en espérant qu’on se reverrait bientôt ».
Plus tard, une militante des Indigènes refuse d’échanger notre journal avec le sien. Une autre nous dit que s’ils ne viennent pas sur l’antifa, c’est que ce n’est pas leur problème : « avant tout ce qui compte pour nous c’est de nous organiser en autonomie ». Sans les Blancs ? On n’a pas pu avoir de précision.
Un militant Kanak nous dit qu’ils feront ce qu’il pourront pour être là, et réaffirme la nécessite d’une unité contre le capitalisme et l’oppression. Il dit qu’il faudra du temps pour dépasser les idées reçues, mais que la convergence est primordiale. Dans l’ensemble, les participant-es sont surpris par nos interrogations et attendris par le sentiment d’isolement que nous leur témoignons, de n’être qu’« entre Blancs ». L’autocollant "Solidarité entre les peuples contre le capitalisme" est très bien reçu et permet d’engager facilement le dialogue. Quand nous disons aux gens avec qui nous parlons que ce n’est pas normal qu’aux manifs antifa, nous ne soyons pas plus nombreux, et que si nous étions rien que 2000 ou 3000, de toutes les couleurs, les manifestations fachos n’auraient probablement plus lieu à Paris, un certain nombre s’engagent à venir le lendemain.

Un militant LCR qui a été proche des Indigènes nous dit que la manifestation décoloniale est moins importante que celle d’il y a deux ans, et que cela est dû en partie au fait que la direction a choisi de s’autonomiser des organisations politiques blanches. Pour lui, la démarche d’autonomisation a du bon pour les luttes. D’autre part, « en tant que Noir », il comprend cette volonté de se démarquer ainsi. Mais pour lui, c’est un mauvais choix : les mouvements contestataires ont besoin d’unité. Il pense qu’il y a une ligne de divergence au sein des Indigènes sur ce point précis : ceux qui sont pour une autonomie sur une base identitaire, et ceux qui veulent chercher des alliances sur des points politiques précis pour construire un mouvement autonome anticapitaliste.

Le tract d’appel montre cette contradiction entre volonté de convergence et affirmation identitaire : il s’adresse aux « immigrés, habitants des quartiers, noirs, arabes et musulmans... ». Sur le forum des Indigènes, quelqu’un demande : « Etant habitant d’un quartier [...], mais blanc et pas musulman ni immigré, suis-je le bienvenu à cette manif ? ». Quelqu’un lui répond : « T’es un "Habitant des quartiers", non ? Alors bingo, t’es le bienvenu. » Et les Chinois ? Et les Hindous ? Et les Indiens pas Hindous ? Et les anticolonialistes blancs qui habitent des quartiers populaires de Paris ? On peut ? On peut pas ? De toute façon on est là.

En arrivant place Clichy, des militants antisionistes prennent la parole. Le symbole de la Palestine occupée agrège facilement les hommes et les femmes qui haïssent la colonisation. Dans le cortège est porté horizontalement un très grand drapeau palestinien. L’orateur invite à s’asseoir pour une minute de silence pour la Palestine et ses martyrs. Après trente secondes de silence, on commence à entendre « Allah akbar », slogan repris par une partie de la foule. Pourtant, il n’est pas sûr qu’Allah soit contre la colonisation (il faudrait pouvoir lui demander).

Nous voulons une convergence des luttes, et en même temps nous sommes pour l’autonomie des luttes. Ce n’est pas contradictoire. Nous sommes pour nous rassembler, mais sans centralité, un peu à la façon que proposent les zapatistes : que toutes les minorités opprimées et exploitées se mobilisent ensemble, dans le respect des stratégies des autres, contre l’oppression et l’exploitation. On n’est donc pas là pour « coloniser » les luttes des autres, et ceci n’est pas un jugement mais un appel : la lutte contre le colonialisme passe par une lutte contre le capitalisme. Lutte qui doit nous amener à nous rencontrer sur des bases politiques, plutôt qu’identitaires. Il est possible que la convergence des "quartiers" ait besoin de l’identitarisme pour se rassembler dans un premier temps, mais il faudra qu’elle clarifie ses positions sur le racisme et l’antisémitisme si elle veut pouvoir trouver à ses côtés l’extrême gauche radicale et libertaire lors des prochains grands fronts de lutte. Quand nous apprendrons enfin à nous écouter et à nous serrer les coudes, beaucoup de choses redeviendront possibles !

Umma & Gumma


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