Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2005N°45 - Décembre 2005ÉMEUTES EN BANLIEUES Qui sème la misère, récolte la colère ! > Témoignages

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Témoignages

Clichy-sous-Bois : zone de non-droit ou zone d’injustice ?


Un professeur d’histoire-géo de Clichy-sous-Bois témoigne de ce qui se passe réellement sur le terrain. (extraits)


La ville s’est « embrasée » du jeudi 27 octobre au soir au lundi 30 au soir. Je livre ici ce que j’ai vu, entendu, compris, et ce qui m’a été rapporté.
Deux jeunes morts (Zyad et Bounna, 17 et 15 ans, du collège n°3) semblent bien avoir été poursuivis pas la police, contrairement à ce qu’affirmait la version officielle qui niait toute course-poursuite (version Sarkozy et Parquet). Pourquoi aller dans cette ruelle et escalader une palissade pour se cacher dans un transformateur EDF alors même que leur cité se trouvait non loin du lieu du drame ? Les jeunes, une dizaine, alors qu’ils jouaient au foot, ont fui un contrôle de police car certains n’avaient pas de papiers (entre autres, le troisième électrocuté, Metin, en cours de régularisation). Jamais ils n’ont commis de vol sur un chantier comme le prétendait la version officielle, reprise pourtant par de Villepin jeudi, et qui n’est plus défendue aujourd’hui par personne puisque samedi, le procureur de Bobigny a reconnu à son tour qu’il s’agissait d’un simple contrôle d’identité. D’ailleurs les jeunes garçons interpellés ont été relâchés une heure après leur arrestation, preuve qu’ils n’avaient rien à se reprocher. Metin, gravement brûlé, « ne se souvient de rien » selon la version officielle... Ce silence a-t-il un lien avec son statut juridique ?
Des rumeurs de toute sorte se sont ainsi développées dans la ville : pourquoi ces mensonges policiers ? que cachent-ils ? Des émeutes ont éclaté : spontanées jeudi, elles ont été encadrées vendredi par des « anciens ». Les premières cibles sont : la poste (voitures brûlées), les pompiers (un camion caillassé), les abris bus, une école (début d’incendie). Les émeutes de vendredi ont été particulièrement violentes (tirs de coup de feux sur les cars de gendarmes et de CRS, jets de projectiles...). Elles ont eu lieu dans les grandes avenues qui bordent la cité du Chêne pointu (près de la Pama). De très nombreuses voitures ont été brûlées : leurs carcasses calcinées jonchaient les rues encore samedi matin.
Samedi matin, une marche silencieuse a été organisée par les associations religieuses et la mosquée. (...) On a compté un peu plus d’un millier de participants. Pour éclaircir les circonstances du drame de jeudi, le maire PS de Clichy, Claude Dilain, épuisé et ému, qui semble bénéficier d’une réelle écoute auprès de la population clichoise, jeunes compris, a demandé officiellement à Nicolas Sarkozy l’ouverture d’une enquête sur la mort des deux jeunes. L’avocat des familles des victimes, de son côté, à la sortie d’une réunion qui a lieu à la mairie après la marche silencieuse, affirmait vouloir déposer une plainte pour non-assistance en personne en danger pour faire toute la lumière sur les circonstances du drame. Tout paraissait calme dans la journée et les forces de l’ordre demeuraient invisibles.
Samedi soir, au moment de la rupture du jeûne (vers 18h30), les 400 CRS et gendarmes, dont une partie vient de Chalon s/Saône, sont sortis un peu partout dans la cité du Chêne pointu. Comme à l’accoutumée, il s’agissait d’encercler - « de boucler » - le quartier. Don quichottisme policier : en cohorte, à la façon des légions romaines, au pas de course, visière baissée, bouclier au bras, et flashball à la main, ils parcourent les rues une à une contre des ennemis invisibles. A cette heure, tout le monde mange et personne ne reste dehors. Pourquoi cette démonstration de force alors même que les rues étaient particulièrement calmes ? « Provocations policières » répondent à l’unisson les habitants interrogés. C’est un leitmotiv depuis vendredi soir. Au bout d’une heure, quelques jeunes sortent et se tiennent face aux policiers : tous attendent le début des affrontements. Quel sens donner à cette stratégie policière à part celui qui consiste à vouloir “marquer son territoire”, c’est-à-dire appliquer une version animale et musclée du retour à “l’ordre républicain” ? (...)
4. Dimanche soir, en guise de témoignage, un coup de fil désespéré et indigné d’Ibrahim, le fils d’un imam, à 20h55 : la police vient, en pleine prière, de gazer la mosquée des Bosquets. Des femmes - dans la salle de prière qui leur est spécialement réservée- se sont presque évanouies, me dit-il. A leur sortie, elles sont insultées par des membres des forces de l’ordre, me rapporte-on : “pute, salope...”. Toutes les médiations avec la police s’avèrent impossibles, et ceux qui s’y risquent ont pour toute réponse un “dégage” cinglant et risquent d’être blessés par un flashball. (...) Dès lors l’embrasement total menace, les affrontements reprennent et de nouvelles voitures sont brûlées : les positions se radicalisent d’autant plus que dans la nuit les forces de l’ordre nient avoir utilisé des grenades lacrymogènes contre la mosquée. Le modèle de grenade utilisé contre les fidèles de la mosquée ne correspondrait pas à celui qu’utiliserait la police. Dorénavant, il y a deux affaires : la mort des deux adolescents et l’attaque de la mosquée. Au même moment, Sarkozy à la télévision justifie et défend le déploiement policier à Clichy et prône une nouvelle fois la « tolérance zéro » : le poing fermé dans une main, et dans l’autre...rien, à part la main invisible du marché.
5. Lundi matin, l’ambiance est tendue. A 11 heures, Sarkozy réunit à la préfecture de Bobigny les forces de l’ordre : félicitations et soutien sont les mots d’ordre de la matinée. La version officielle du gazage de la mosquée a subi quelques inflexions durant la nuit. Le modèle de grenade utilisé correspond à celui de la police, mais le doute subsiste : qui peut bien avoir jeté ces grenades dans la mosquée ? Une nouvelle fois, la version officielle ne paraît en rien correspondre à la vérité. (...) Pourtant, le ton change : la presse et les chaînes de télévision se font plus critiques. La version officielle et de la mort des deux enfants et du gazage de la mosquée est remise en cause, du moins interrogée.
A 14 heures, conférence de presse à la mosquée des Bosquets. Un film, pris grâce à un téléphone portable, fait office de preuve. Il est projeté devant les journalistes nombreux : il donne à voir la panique qui a saisi les fidèles pendant le gazage. (...) Le grand frère de Bouna, devant la presse, annonce qu’il refuse de rencontrer Sarkozy, jugé « incompétent » et demande, avec la famille de Zyad, une entrevue avec le premier ministre. Tous demandent que la police évacue le quartier, condition nécessaire pour retrouver un peu de calme et pacifier la situation. En périphérie de cette conférence de presse, des militant(e)s associatifs reviennent sur les causes socio-économiques des événements trop souvent occultées : Clichy occupe toujours une place de choix dans le palmarès des communes les plus pauvres de France et les associations ont de moins en moins d’argent pour travailler. (...)

Antoine Germa, le mardi 1er novembre 2005


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net