Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2005N°45 - Décembre 2005ÉMEUTES EN BANLIEUES Qui sème la misère, récolte la colère ! > Pourquoi l’État n’arrivera jamais à donner un visage humain au capitalisme

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Politique de la ville

Pourquoi l’État n’arrivera jamais à donner un visage humain au capitalisme


La politique de la ville naît dans les années 80 pour répondre aux difficultés auxquelles doivent faire face certains quartiers dits sensibles ou défavorisés. Les contours de ses quartiers sont délimités suivant un périmètre et défini par des critères : chômage de masse de 20 à 30 %, spécialement parmi les jeunes, familles aux revenus précaires, échec scolaire, délinquance... Tous les voyants sont au rouge. Le tout donnant aux habitants de ces quartiers le sentiment à juste titre d’être victimes de discriminations et d’injustices. A l’origine : le premier choc pétrolier et la progression du chômage frapperont en premier lieu ces quartiers, habités souvent par des salariés non-qualifiés sacrifiés sur l’autel des restructurations industrielles.


Certains quartiers sont considérés comme prioritaires, et l’Etat entreprend d’intervenir à plusieurs niveaux : difficultés urbaines, sociales et économiques. Le but de cet article est de retracer les actions de la politique de la ville qui se sont succédées, répétées et superposées pas forcement de manière très cohérente. La politique de la ville a beaucoup été critiquée pour « courir » après les problèmes sociaux engendrés par le capitalisme et d’agir dans l’urgence au lieu de s’attaquer au problèmes de fonds. D’autant plus que d’une considération sociale, la politique de la ville a bradé les banlieues aux entreprises et au patronat et n’a vraiment pas négligé non plus le côté sécuritaire. Aujourd’hui, Borloo se fait l’héritier de la politique de la ville, mais qu’a-t-il donc à démolir tous ces logements sociaux de manière compulsive ? Le côté médiatique de son action ne l’a certainement pas rendu plus efficace. D’autant qu’agir sur le « bâti » n’a jamais résolu les problèmes sociaux qui se cachent derrières.

L’enjeu électoral des banlieues et la politique de l’urgence

À partir de 1973, les germes de ce qui sera la future politique de la ville naissent avec la création d’un groupe de réflexion « habitat et vie sociale » (HVS) , initié par Robert Lion et des hauts fonctionnaires du ministères de l’Equipement. Son objectif est d’améliorer les relations sociales dans les grands ensembles. Dés le départ la stigmatisation des « quartiers » est amorcée et les préoccupations s’articulent autour des questions de délinquance, comme le démontre la création en 1976 du « comité d’études sur la violence, la criminalité et la délinquance » au sein du Ministère de la Justice. Pour ne pas attiser les problèmes et rester dans le politiquement correct, le Comité publie un rapport sur la délinquance dans lequel il insiste sur la nécessaire mise en place d’une prévention active. Les conclusions du Comité vont s’avérer rapidement payantes puisqu’en juillet 1981, aux lendemain de l’élection de Mitterrand à la Présidence, la France découvre à la télé ses premières émeutes urbaines dans la banlieue lyonnaise. Pour répondre à cet état d’urgence, le gouvernement en place lance le grand chantier de la Politique de la Ville. L’État et les français découvrent la misère à leur porte, ses banlieues vides de tous services publics de proximité. L’opinion publique va se mobiliser sur ces questions par une médiatisation féroce de ces évènements qui n’hésitera pas à montrer, voire à orchestrer ces banlieues à leur image comme étant les derniErs reliquats du Territoire que la République unitaire, démocratique et indivisible doit conquérir. L’État, soucieux de paraître un tant soit peu préoccupé par ceux que la crise économique n’épargne pas, va donc estimer que les banlieues constituent un enjeu électoral. Les banlieues qui s’embrasent, ça fait forcément un peu désordre dans cette république post-coloniale et à un moment où la gueule de bois des « trente glorieuses » commence à se faire de plus en plus ressentir.
Devenue enjeu électoral, la politique de la ville va naître officiellement en 1981 par la mise en place du développement social des quartiers (DSQ). La création ex nihilo de ces périmètres témoigne de la mise en place des premières interventions publiques territorialisées (qui vise un territoire particulier). Dès lors, chaque gouvernement, sous couvert d’afficher son intérêt pour ces « quartiers », va contribuer à la complexification du processus. Du quartier avec le DSQ à la réflexion sur la ville avec les GPV (grand projet de ville), la politique de la ville change d’échelle sous couvert de vouloir intégrer les quartiers dans la ville. Souvent construits en périphérie des centres urbains, ces quartiers souffrent de l’absence de services publics, initialement prévus par l’Etat. Qui a donc refusé de les intégrer à la ville dès le départ ?
En 1989, avec Michel Rocard, le DSQ devient DSU (Développement Social Urbain), pour apporter un changement d’échelle qui permet de rétablir les problèmes dans leurs globalités. 400 quartiers sont délimités. Les banlieues s’embrasent à nouveau (Val Fourré, cité des Indes à Sartrouville) en 1991. Est alors adopté la procédure Grands Projets Urbains (GPU) qui remplace les DSU. Les GPU deviennent d’ailleurs les Grands Projet de Villes (GPV) en 1999 et l’on en comptera une cinquantaine. Un nouveau gouvernement, une nouvelle échelle, un nouveau nom, quoi de plus cohérent qu’une politique déstructurée ? L’intérêt des politiques pour ces quartiers ne reflète-il pas une récupération électorale des banlieues ? Cette démultiplication des actions ne reflète en aucun cas une rupture des politiques précédentes, mais ne fait qu’en modifier et superposer différents contours.

Les banlieues bradées au patronat !

D’une intervention sur le bâti, la politique de la ville s’élargit aux questions de l’école et de l’insertion par l’économie tout en continuant son action sécuritaire.
Ainsi, naissent les Zones d’Education Prioritaires et les missions locales pour l’emploi : nouveaux outils pour lutter contre la « ghettoïsation » des quartiers défavorisés et pour puiser dans ces banlieues de la main d’œuvre exploitable. En 1992, Bernard Tapie, amuseur public, est nommé ministre de la ville et entreprend le parrainage de quartiers par des grands groupes industriels. L’année suivante, ce sont les Plans Locaux d’Insertion par l’Economique qui vont apparaître.
Afin de tenter de restructurer l’action de l’État, des Contrats de Ville sont lancés par Simone Veil (gouv. Balladur) et 214 contrats de villes sont signés en 1994. La priorité affichée est encore une fois celle de réintégrer les quartiers dans la ville et comporte les mêmes volets qu’auparavant (habitat, social, santé, éducation), mais celle-ci se limitera trop souvent aux centres villes et non pas aux quartiers qui en ont le plus besoins.
L’insertion par l’économie est une nouvelle fois mise en avant. La solution trouvée offre de nombreux avantages servis sur un plateau d’argent au patronat. Entre 1994 et 1998, des contrats de ville vont se mettre en place avec 1500 quartiers en Grand Projet Urbain (qui remplace le Développement Social des Quartiers). Derrière quelques préoccupations sociales, se cache toute une panoplie d’outils de défiscalisation des entreprises. Parmi les 1500 quartiers en Grand Projet Urbain , 750 seront en Zones Urbaines Sensibles (ZUS), 350 Zones de Rédynamisation Urbaine (ZRU), dite loi Pasqua et 44 en Zones Franches Urbaines (ZFU : exonération de charges patronales pendant 5 ans pour les entreprises). Les ZFU vont voir leur programme doubler en 2003 et 41 nouvelles vont naître en 2004. En 2003, les résidents représentent 27 % des salariés recrutés en ZFU dans les établissements implantés avant le 1er janvier 2002 et 32 % des établissements plus récents. En quoi cela nécessite-t-il une exonération ? Le foncier y est déjà moins cher, le patronat se fait, grâce à l’état, de l’argent sur le dos des habitantEs des quartiers sensibles.
Il est également remarquable de constater qu’en 2004, 69 % des entreprises qui s’installent en ZUS n’ont pas de salariés mais conserve leurs exonérations fiscales. Cette démarche n’a pas nécessairement réglé les problèmes de l’emploi, mais a toute fois permis de conserver un tissu de commerces de proximité. Un bien pour un mal ? Toutefois, les emplois crées par certaines entreprises ne bénéficient pas aux habitantEs, mais elles bénéficient quand même des réduction de charges.
Tout de même pour permettre aux habitantEs de partager leur misère et non pas les richesses, des associations de quartiers et de « maison de citoyen » sont mises en places.

Pluridimensionnelle au départ, la politique
de la ville se fixe de plus en plus sur le sécuritaire ...
En 1983, le gouvernement Mauroy crée le Conseil National pour la Prévention de la délinquance (CNDP). Sa création précédera de peu le meurtre d’un enfant de la cité des 4000 à la Courneuve. La première marche des beurs est en cours en 1984 et divers dispositifs sont mis en place telles que les régies de quartiers ou encore le « Comité Interministériel des Villes » chargé de coordonner les actions, ainsi que la création d’un Fonds Social Urbain. La réflexion continue au niveau interministériel, d’ailleurs se crée la Délégation interministérielle à la ville (DIV) qui reprend, sous la direction d’Yves Dauge, les activités de banlieue 89 (aide pour les banlieues afin d’y ramener les services publics).
En janvier 1996, Jean Claude Gaudin lance de Marseille un projet de pacte de relance pour la ville que Juppé appuie fortement. Jean-claude Gaudin est Ministre de la Villle et de l’aménagement du territoire, Alain Juppé est alors chef du gouvernement et Eric Raoult, ministre délégué à la Ville et à l’Intégration depuis fin 1995. Il convient de rappeler que les personnalités impliquées dans la politique de la ville à la fin des années 1990 semblent s’être démarquées par leurs intérêts pour les même thématiques : l’immigration et l’insécurité.
Eric Raoult, personnage politique connu pour avoir des bonnes fréquentations au FN, est chargé dès 1992 de suivre « les problèmes des villes, de l’immigration et de l’insécurité » au sein du groupe RPR de l’assemblée nationale, tâche qui sera également la sienne dans le cadre de la campagne du candidat Jacques Chirac pour l’élection présidentielle de mai 1995. Pour sa part, Jean-Claude Gaudin a su cultiver une tolérance constante vis-à-vis du Front National. C’est en 1985 que Jean-claude Gaudin accorde la vice-présidence du Conseil Régional PACA à un élu FN. C’est effectivement à la fin des années 1990 que la préoccupation pour l’insécurité se diffuse à droite comme à gauche pour devenir une priorité partagée, comme le montre la création des plans locaux de sécurité. Le discours de Lionel Jospin au colloque de Villepinte (Seine-Saint-Denis) en 1997 cristallise ce tournant politique et marque le virement d’une politique dite sociale vers une politique plus sécuritaire (mise en avant de la responsabilité individuelle et d’une politique plus « répressive ».) C’est d’ailleurs lors de ce colloque que Chevènement crée le concept de "police de proximité"

... et sur une obsession compulsive de virer les pauvres et de démolir leurs logements.

La loi « Borloo » de 2003 (puis celle de cohésion sociale de 2004), est particulièrement centrée sur le bâti : sa mesure-phare prévoit la démolition de 200 000 logements . Elle pose question aux acteurs locaux par son ignorance totale des dispositifs existants. Pour faciliter la coordination des démolitions, Borloo met en place une Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU) dont l’articulation avec la DIV est particulièrement nébuleuse.
Mais elle pose une autre question : est-il opportun de démolir alors que la pénurie n’a jamais été aussi grave ? On arrive au bout d’un système mais plutôt que de se poser des questions sur les vrais problèmes, on croit les liquider par la démolition. Si le modèle des grands ensembles est obsolète, un contre modèle n’existe même pas en théorie. Les élus ne disent rien de plus que des « gens plus riches dans des petits ensembles c’est mieux que des pauvres dans des grandes cités ».
Une fois de plus, le nouveau dispositif Borloo met en parallèle une intervention forte sur le bâti et une politique d’insertion par la création de la charte nationale d’insertion et les maisons de l’emploi. Ne s’agit-il pas une fois de plus d’un changement de nom sans véritable changement ? Quelles différences réelles existent-ils entre la démolition et les maisons de l’emploi de Borloo et la politique massive des réhabilitations et les missions locales de Mauroy ? Reflet de vingt de politique de la ville à tourner en rond sans régler les problèmes ?
« La crise de la politique de la ville, dont on a sabré les crédits depuis quelques années, car, finalement, la seule réponse a été la transformation et la démolition du bâti aux dépens de toute politique sociale de proximité », affirme Christophe Robert, l’un des auteurs du rapport sur le mal-logement de la Fondation Abbé-Pierre. « Lorsque l’État a bouclé le financement de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU), il a pris les budgets consacrés aux associations des quartiers, soit 250 millions d’euros, sans les remplacer », précise Christian Chevé, administrateur de la Foncière Logement, émanation du 1 % logement, qui construit dans les quartiers ANRU. Évidemment, les petites associations locales qui interviennent au quotidien font moins de bruit et leurs actions sont moins spectaculaires que la démolition d’une tour de 300 logements en grande pompe. Rendez-vous dans vingt ans.

puck et cri-cri


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net