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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°45 - Décembre 2005ÉMEUTES EN BANLIEUES Qui sème la misère, récolte la colère ! > Tout bouge pour que rien ne change !

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Quartiers-ghettos et apartheid social

Tout bouge pour que rien ne change !


Comment en est-on arrivé au fait qu’aucune revendication publique, ni expression collective ne s’exprime au travers de l’explosion sociale qui s’est déroulée dans les quartiers. Non pas que les émeutiers n’aient pas signifié par là un ras-le-bol du harcèlement policier et une dénonciation des conditions de vie, mais à la différence d’il y a quelques années la revendication reste à l’état brut.


Alors que les conflits antérieurs avaient aussi pour fonction d’établir un rapport de force entre institutions publiques et politiques et les collectifs ou associations, la violence auto-destructrice est ce qui reste quand celles et ceux qui l’expriment ont appris au cours des années que la relégation dans des zones ghettos n’est pas le fait du hasard mais de politiques économiques et sociales mises en place depuis une trentaine d’années et la stigmatisation des classes dangereuses. On est allé rechercher dans les archives du mouvement antifasciste radical les situations antérieures. Le laminage du tissu associatif depuis plus de vingt ans est à la fois la conséquence d’une désagrégation du lien social dans les quartiers due à la crise économique et à une politique des pouvoirs publics vis-à-vis des associations visant à écarter les plus remuantes et revendicatives.
Et ce constat ne date pas d’aujourd’hui. Ce qui s’est passé en novembre 2005 était déjà écrit il y a plus de quinze ans. Aucun politique ne peut être surpris par ce qui s’est passé, il en porte l’entière responsabilité.
De multiples émeutes éclatent dans les cités depuis le début des années 1980. Souvent c’est le même scénario, un jeune est victime d’une bavure policière (dans le langage officiel) et à l’annonce de sa mort la cité réagit en brûlant voitures, magasins et autres représentations publiques (école, centre social, etc.). On envoie les CRS pour rétablir l’ordre public, on promet de grandes transformations et on attend la prochaine explosion. En 1991, sous la gauche, des émeutes avaient eu lieu dans plusieurs cités : Vaulx-en-Velin, Mantes-la-Jolie, Ermont, Enghein, Sartrouville. Voilà ce que l’on pouvait lire dans le journal REFLEXes n°34 (été 1991). On y retrouve l’ensemble des éléments :
Dans un article intitulé « Exclusion sociale et développement urbain », l’auteur revient sur la politique menée depuis 1981 :
« Face à cette montée du péril jeune, le nouveau pouvoir (Mauroy en 1981) va mettre en place trois dispositifs sur les quartiers visant à s’attaquer à trois questions sociales d’importance :
- l‘écart entre jeunesse et monde du travail -le rapport Shwartz qui portait déjà sur l’insertion professionnelle des jeunes
- la ghettoïsation de certains quartiers dégradés (mise en place du développement social des quartiers)
- le développement de la délinquance (commission de prévention de la délinquance avec en particulier l’ilôtage). »

25 ans après les mêmes recettes viennent d’être remise à l’ordre du jour (apprentissage dès 14 ans, plan Boorlo de réhabilitation, retour des policiers de quartier après leur suppression en 2002). Sur la colère des jeunes, François Dubet écrivait dans son livre la galère-jeunes en survie : « L’exclusion des jeunes s’accompagnent d’une disparition de la conscience de classe. Pour eux le problème n’est plus de se libérer d’une société qui les exploite, mais de rentrer dans une société qui les exclue. D’où une colère sans objet ... Le jeune qui galère n’est pas simplement un chômeur, c’est quelqu’un qui se détruit parce que le monde dans lequel il vit est en train de s’anéantir lui-même ». Ou encore Denis Clerc : « Les jeunes sont les victimes de cette montée des inégalités et l’injustice est vivement ressentie : d’où la recrudescence des comportements de délinquance et des explosions brutales de colère, explicable par la grande pauvreté et non par le chômage dans une société qui continue à s’enrichir au profit exclusif des mieux lotis » (Le monde diplomatique, mai 1991). La conversion des socialistes au libéralisme en 1982 a soldé toute idée de transformation globale du système et l’apartheid social - développement séparé des populations - va créer les conditions d’une lente mais inexorable dégradation des quartiers populaires : « Les immigrés entrent dans un univers populaire français qui se décompose peu à peu sous les coups des mutations industrielles et urbaines. Rien ne l’indique plus clairement que l’accès des immigrés à un logement social qui est non plus le symbole du progrès social mais celui de la mauvaise vie, de pauvretés nouvelles et du vide social. Personne n’a choisi de vivre là... Ce ne sont pas les immigrés qui se marginalise mais toute une partie de la population française peu à peu décrochée de la croissance et de la participation sociale. (...) La société de consommation est proposée comme un modèle dans une société à deux vitesses : les friqués qui consomment et les chômeurs, les précaires et petits revenus qui regradent les vitrines ; ce qui conduit les jeunes à réagir et ce qui devrait conduire les autres à se révolter. C’est bien là le constat de la faillite d’une société par rapport à sa jeunesse et à la réalité sociale... La réponse des pouvoirs (mairie, Etat) à la révolte, c’est la répression des flics et des prisons qui n’ont jamais été aussi remplie que sous le règne socialiste-libéral (alors que les députés s’auto-amnistient). La répression qui a pour but de mettre les jeunes à l’index, de les criminaliser (les “ voyous ”, les “ casseurs ”) est vouée à l’échec car il s’agit d’un problème de société. (...) Le développement social n’est possible que s’il y a reconstitution du tissu social, émergence de nouvelles solidarités, reconstruction d‘une identité d’acteurs sociaux, et organisation sur la base d’une conscience de classe. Il faut mettre fin à la stigmatisation d’une partie de la population (les immigrés, les jeunes...) et lutter contre les solutions simplistes des partis politiques comme le Front national ” (Reflexes n°34 été 1991). Comme on le voit la lepénisation des esprits a depuis atteint les cercles politiques de pouvoir et Sarko peut parler de « nettoyer au karsher », De Villiers reprendre in extenso le discours de Le Pen, la droite en rajouter sur la polygamie, sur le rap, etc. et la gauche se taire, voire se couler dans le discours sécuritaire... La peur entretenue par les politiques a pour fonction de masquer les questions sociales au profit d’un discours moral et politique sur le bien et le mal. En 1991, c’est le recours à Tapie qui deviendra ministre de la ville, REFLEXes n° 34 : « Tapiner (de Tapie Bernard), nouveau verbe, “ distribuer des ballons et des chaussures adidas aux jeunes en leur faisant croire qu’ils deviendront riches et célèbres ” ».

Dépolitiser la révolte sociale

Après les grandes marches pour l’égalité de 1983 et Convergence 84, des centaines d’associations issues de la seconde génération voient le jour. Mais le pouvoir politique de gauche inquiète d’une trop grande indépendance va pousser à la création et à la mise en avant d’une association SOS Racisme. « L’association SOS Racisme, imaginée depuis le bureau de Mitterrand à l’Elysée dès la marche de 1983 mais mise en stand-by le temps de voir venir, bénéficie d’un lancement fulgurant lors de l’arrivée des mobylettes de Convergence 84 à Paris. Des centaines de milliers de badges sous forme de petites mains jaunes portant l’inscription “Touche pas à mon pote” sont distribués. La gent médiatique relaie l’opération en arborant à la télé ce nouveau talisman, hybride de la main de Fatma et de l’étoile jaune des Juifs sous le nazisme, conçu avec le concours de publicitaires. La dynamique sociétale portée par le mouvement beur et l’amorce du débat sur une nouvelle citoyenneté politique apparu lors de Convergence 84 sont désormais complètement occultées, au profit d’une mobilisation morale à grands renforts de concerts gratuits (500 000 personnes à la Concorde le 15 juin 1985). Comme le dit Pierre Bourdieu, “il y a deux façons de mentir, l’une de gauche, l’autre de droite. La gauche transforme les problèmes politiques en problèmes moraux. Quand un pouvoir politique fait de la morale et non plus de la politique, c’est suspect : pas de prêchi-prêcha, il faut transformer les conditions économiques et sociales”. » (J’y suis, j’y reste. Ed. REFLEX). La gauche porte une lourde responsabilité politique dans cette volonté de dépolitiser et de « déconflictualiser » les revendications des jeunes issus de l’immigration. L’autre versant de cette politique est bien sûr l’argent : « Par ailleurs, les associations issues de l’immigration, qui se comptent par milliers depuis la loi du 9 octobre 1981 accordant enfin aux étrangers le droit d’association, sont également mises à contribution. Ces dernières, de plus en plus dépendantes et contrôlées par l’intermédiaire des subventions, se transforment peu à peu en sous-traitants des pouvoirs publics. Elles s’institutionnalisent, se sclérosent, et leurs responsables se spécialisent au nom de la professionnalisation. On assiste alors à l’abandon progressif de la culture et des pratiques militantes de l’immigration et à une forte dérive vers la “gestion de la misère”. Les pouvoirs publics maintiennent la pression en ce sens : elles subventionnent les actions pour “l’intégration”, mais mettent en garde les associations contre toute aide aux “clandestins”. » (ibid.)
Tout ce processus s’inscrit dans une bataille idéologique où la « pensée de gauche » de transformer l’ordre existant a été laminée. La révolution conservatrice et libérale- dont la Nouvelle Droite a été un des fers de lance dans les années 1970-1980 - a imposé ses vues tant d’un point de vue culturelle qu’économique. Un auteur a un grand succès en annonçant la fin de l’histoire : Francis Fukuyama qui assure que la contradiction entre le capital et le travail, avec son corollaire, la lutte des classes, a été résolu en Occident dans le cadre de la Démocratie et de l’Économie de marché. Dans un article disponible sur http://lmsi.net, Saïd Bouamama affirme au contraire que la négation du conflit est génératrice de violences “ Nier idéologiquement le principe même de conflit, le présenter comme négatif, l’analyser comme uniquement destructeur permet de constituer dans l’opinion une tendance à diaboliser le conflit social... ; Interdire le conflit, sans supprimer son origine dans l’expérience d’oppression, conduit à transformer le conflit en violence. L’idéologie du consensus sans conflit conduit inévitablement au maintien de la situation d’oppression, à l’illégitimité d’une parole contre celle-ci, ne laissant comme seule voie que la violence... » A force de refuser tout zone de confrontation sociale, à renforcer le contrôle social et policier, à faire jouer à la religion une fonction de régulateur social et civique (lors des incidents entre jeunes et policiers), les pouvoirs politiques de droite et de gauche ont dévaloriser la parole politique portée par les associations qui ont perdu peu à peu toute légitimité vis-à-vis des jeunes.

L’impunité policière

En trente ans près de deux cents jeunes sont morts tués par des policiers. (voir le livre de Maurice Rajfus “La police et la peine de mort 1977-2001 : 196 morts). Dans la plupart des cas ces morts ont entraîné des révoltes spontanées dans les quartiers et des manifestations importantes. Des comités « Justice » se sont créés pour faire éclater la vérité et obliger la justice à ne pas classer les dossiers sans suite (voir encadre sur Rock Against Police). Ces mobilisations affirmaient la solidarité avec la famille, les amis et aussi le refus de voir les affaires classés sans suite. La dénonciation des « bavures », des comportements violents de la police, du racisme étaient posés à travers d’initiatives multiples. Mais la gauche au pouvoir, au travers de l’association SOS Racisme, va refuser toute mise en cause de la police ; on peut rappeler que Julien Dray, celui qui demande aujourd’hui encore plus que Sarkozy sur la vidéosurveillance, en était un des principaux leaders. Dès lors, SOS Racisme n’aura de cesse de vouloir faire jouer au foot, jeunes et policiers pour dédramatiser les relations... comme d’ailleurs la police de proximité créée par la gauche avait pour but de renouer les relations dans les quartiers entre habitant-e-s et policiers. Le gros hic à cette histoire, c’est que de la part de l’institution police, le mépris des jeunes et le racisme n’ont jamais cessé. Et l’histoire de rejouer la guerre d’Algérie pour certains d’entre eux étaient permanents. De nombreuses associations comme RDB (résistance des banlieues), puis le MIB (mouvement immigration des banlieues) ont été les fers de lance de cette volonté de ne pas faire d’un état de conflictualité, un simple problème de morale républicaine. Mais à part de quelques rares cas de condamnation, l’impunité dont jouisse les policiers - sans parler de la question du harcélement au quotidien - a décrédibilisé l’action collective des collectifs et comités, laissant penser que lutter n’avait aucune incidence et que la République protégerait toujours ses serviteurs. Depuis quelques années, ce sentiment d’impuissance a entraîné un délitement des associations combatives qui, pourtant, quoiqu’en disent les politiques remplissaient une fonction très utile lors des émeutes urbaines. Elles permettaient à une parole plus radicale de s’exprimer - les médias l’utilisant d’ailleurs qu’à ces moments-là. Aujourd’hui, les politiques ont misé sur le religieux, ce qui a été un échec total. Mais cela a une autre conséquence. Ecarter les associations combattives qui faisaient de l’égalité des droits leur principe fondateur augmente encore plus la fracture avec le milieu associatif militant et syndical. D’où l’impossibilité de redonner un sens et un contenu politique laissant toute la place aux discours sécuritaires de droite comme de gauche.
Les émeutes de ces dernières semaines n’ont donc rien d’étonnant et surtout elles peuvent resurgir car les conditions sociales et politiques se sont encore durcies. La gestion militaro-policière sera celle de l’Etat autoritaire aujourd’hui en place. Si le mouvement social ne s’interroge pas et ne développe aucune initiative pour remettre au centre du débat la question sociale, les 21 avril 2002 se répèteront. Une question sociale qui doit s’articuler avec la lutte contre les discriminations et l’idéologie et les pratiques sécuritaires. Refonder des lieux de parole, de rencontres, des espaces de convergences entre associations qui luttent pour l’égalité des droits, pour l’urgence sociale, pour d’autres rapports sociaux est donc indispensable pour que les révoltes ne soient pas que des feux de voiture, mais allument d’autres horizons que celles du profit, de la ségrégation, de la guerre entre pauvres au profit des riches et du pouvoir.

Xim


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