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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°45 - Décembre 2005ÉMEUTES EN BANLIEUES Qui sème la misère, récolte la colère ! > L’État d’exception permanent

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L’État d’exception permanent


Personne n’a pu échapper à la proclamation le 8 novembre dernier de l’état d’urgence pour permettre le « retour à l’ordre » suite à ce que l’on a appelé la « crise des banlieues », et cela en vertu d’une loi datant de la guerre d’Algérie. En effet, en 1955 il s’agissait déjà de mâter une révolte dont on ne faisait qu’entrevoir la portée et qui entraînera les gouvernements successifs dans une surenchère répressive, fermant les yeux sur la torture et accordant des « pouvoirs spéciaux » à l’armée. Il ne s’agit pas ici de faire un parallèle excessif et à mon sens réducteur entre deux époques et situations bien différentes mais de nous interroger sur la logique qui sous-tend le recours à de telles mesures que l’on ne peut que qualifier d’ « état d’exception ».


Car, de quoi a t-on parlé à propos de cet état d’urgence ? Essentiellement de la possibilité pour les préfets d’imposer des couvre-feux. Or, il ne s’agit là que de la mesure la plus visible d’un dispositif sécuritaire qui marque de fait la sortie du régime démocratique dont se gargarisent tant tous les moutons qui nous ont fait le coup de la menace fasciste en 2002 et qui ont voté Chirac pour défendre leur chère démocrachie ! Alors, oui, il faut l’admettre, nous ne sommes plus dans une démocratie au sens libéral du terme dès lors que le pouvoir exécutif est habilité à museler la presse, à interdire tout rassemblement ou réunion susceptible de « provoquer ou entretenir le désordre », à fermer des lieux de réunion tels que des cafés, salles de spectacles etc..., à imposer des interdictions de territoire dans des zones déterminées, des perquisitions au domicile de tout un chacun de jour comme de nuit, et tout cela à la seule initiative des préfets.

De la banalisation des mesures sécuritaires

Mais ce qui est le plus étonnant dans tout cela (ou peut être pas finalement), c’est la quasi absence de réaction face à une telle annonce. La manifestation du 16 novembre dernier, jour de l’adoption définitive de la loi prorogeant l’état d’urgence pour une durée de trois mois, a tout juste rassemblé 2000 personnes pour marcher en direction du Sénat à Paris ! Et depuis, c’est presque le silence radio sur cette question. Tout au plus nous annonce-t-on une prochaine manif pour le 3 décembre...
Alors que dire, que penser de cette passivité et de la difficulté à se mobiliser et à mobiliser autour de la question sécuritaire ? Tout d’abord, il faut admettre que la propagande sécuritaire dont les médias bourgeois nous ont abreuvé depuis des années (avec une fréquence moindre, il est vrai depuis 2002) a bien fonctionné. Mais aussi que peu à peu chacun s’habitue à vivre dans un monde où sa marge de liberté se réduit de plus en plus à la portion congrue.Un monde dans lequel la police dispose de plus en plus de pouvoirs, la seule réponse donnée à la moindre velléité de contestation de l’ordre établi étant sévèrement réprimée. Est-il par ailleurs nécessaire de rappeler que nous vivons depuis maintenant dix ans sous vigipirate ? Les patrouilles de militaires dans les gares et les aéroports semblent apparemment s’être fondues dans le paysage.
Car bien avant la déclaration de l’état d’urgence on peut noter l’amorce de la mise en place d’un régime d’exception. En effet, dès 2001, avec le vote à l’unanimité de la loi sur la Sécurité Quotidienne (LSQ), du 15 novembre 2001, soutenue par Daniel Vaillant, ministre socialo de la flicaille, on s’était déjà engagé sur cette voie. Parce que ce n’est pas l’état d’urgence qui donne aux vigiles le droit de pratiquer des « palpations de sécurité », qui autorise les agents de sécurité du métro parisien à être armés et à jouer les flics au rabais, qui permet à un procureur d’autoriser les contrôles d’identité et les fouilles de véhicules dans un périmètre donné, bien utile aujourd’hui pour donner un cadre légal au rafles de sans-papiers ! Non, c’est une bête loi votée avec un consensus général quant à la nécessité de prendre des mesures fortes pour lutter contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre !

Des mesures provisoires que l’on pérennise

Or, on va encore nous dire qu’on radote, que tout le monde le sait et que c’est comme ça et tout et tout, et que les bonnes gens qui n’ont rien à se reprocher ne risquent pas d’être embêtées, que c’est contre les terroristes, qu’il faut savoir accepter une atteinte de plus à sa liberté face à une telle « menace ». Non seulement je ne peux souscrire à une telle accumulation de lieux communs mais la simple épreuve de la lecture des textes nous démontre la fausseté de cette affirmation : s’agissant des contrôles d’identité et des fouilles de véhicules, l’article 23 de la loi dit explicitement que si l’on découvre à cette occasions des infractions autres que celles que l’on cherchait initialement, cela n’annulerait pas la procédure. Ça nous montre bien qu’il s’agit là de légitimer l’action de la police et de couvrir les détournements dont elle pourrait être l’auteur.
Et surtout, il faut se rappeler une chose, dont peu de gens se souvienne, c’est que ces mesures prises dans le but avoué de lutter « efficacement » (il faudrait d’ailleurs revenir sur ce terme d’ »efficacité ») contre le terrorisme, ne devaient pas durer au-delà du 31 décembre 2003 ! Ça ne vous rappelle rien ? Or, entre temps, que c’est-il passé ? Et bien, tout simplement, on a voté une loi, du nom d’un ministre des poulets qui avant de revenir à la maison poulaga a fait un petit tour du côté de Bercy, le 14 mars 2003, intitulée loi sur la sécurité intérieure (ben ouais, quotidienne c’était déjà pris) et qui, a énoncé que les mesures provisoires de 2001 devenaient définitives...
Pour plagier le grimpeur de la roche de Solutré, on se trouve bien dans un état d’exception permanent.
Oui, l’exception tend à devenir la règle car le nombre de situation relevant de dispositions spéciales ne fait d’augmenter. Il suffit à ce propos de citer le cas de la garde-à-vue dont la durée maximale est censée être fixée en principe à 24 heures, renouvelable une fois, soit 48 heures maxi en tout. Or, en plus du grand banditisme et du trafic de drogue, on peut désormais être détenu 4jours en cas d’infraction commise « en bande organisée » (merci Perben II). Et les chanceux poursuivis pour terrorisme vont maintenant avoir la chance d’être interrogé pendant 6 longs jours. Et quand on sait à quel point le terme de terrorisme est une notion floue, dont la définition donnée par le code pénal est carrément tautologique : ce sont des actes qui ont « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». On peut difficilement faire plus vague... Rappelons à ce propos que la classification européenne de groupes potentiellement terroristes comprend à peu près tous ceux qui contestent le consensus capitaliste. Qui disait qu’on n’avait rien à craindre ?
Il y a fort à parier que le gouvernement et son ministre de la matraque et de la grenade lacrymo ne s’arrête pas en si bon chemin. Rien ne les empêche d’intégrer les mesures qui auront fait leurs preuves pendant les trois mois d’état d’urgence dans la loi anti-terroriste actuellement en discussion au Parlement. Pourquoi se gêner ? D’autant qu’ils pourront compter sur une bonne part du PS, qui, sous couvert de pragmatisme et d’efficacité (encore une fois) est acquise, au fond, à la politique du bâton.
Face à cela, on a toujours raison de se révolter ! Ni prison ni répression n’arrêteront nos rébellions !

Anthropos


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