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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°45 - Décembre 2005ÉMEUTES EN BANLIEUES Qui sème la misère, récolte la colère ! > Nîmes : les « complices » de Mourad arrêtés !

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Nîmes : les « complices » de Mourad arrêtés !


Alors que la justice ne se presse pas dans l’enquête concernant la mort de Mourad, ses deux copains de virée étaient jugés le 10 novembre 2005, en plein déferlements médiatiques sur les banlieues. Ils comparaissaient donc devant le tribunal correctionnel de Nîmes pour des cambriolages effectués dans la nuit du 1er au 2 mars 2003, nuit durant laquelle a été tué Mourad par des balles de gendarmes. Mais pour les juges, il était hors de question de parler de la mort de Mourad, « une affaire est à l’instruction », et surtout un refus total d’entendre le mal-être et la souffrance suite à la mort de leur ami.


Suite aux évènements de ces dernières semaines concernant les « jeunes des banlieues », les médias ont largement parlé, et à juste titre, des violences policières. Mais bien peu dénoncent ce qui se passe dans les tribunaux envers ces jeunes en question : une justice de classe, souvent raciste, des magistrats méprisants, humiliants, etc. A Nîmes les exemples ne manquent pas ! Et on ne peut que vous inciter à aller voir ce qui se passe dans les tribunaux près de chez vous, c’est vachement instructif vous verrez. Voir et écouter l’attitude des juges, leurs vocabulaires méprisants, etc. Vous pensez qu’on exagère ? Je ne prendrai qu’un exemple, avant de revenir bien sûr sur le jugement du 10 novembre.
L’histoire se passe le 4 mars de cette année et le procureur est Laurent Boyer. C’est au tour de trois gitans de comparaître pour vol. Le procureur félicitera les prévenus d’avoir reconnus leur faute et, de préciser, que c’est assez rare chez les gitans. Avant d’ajouter : « un gitan qui a avalé l’agneau et dont on voit encore la queue sortir de la bouche, vous soutiendra encore qu’il ne l’a pas mangé ». Grand malaise dans la salle, des commentaires s’entendent ici et là. Le proc demande le silence sinon « il fait évacuer la salle ». Ben oui, c’est lui le chef. Mais ça ne s’arrête pas là. Autre dossier : une affaire de travailleurs clandestins, maghrébins, employés dans une exploitation agricole spécialisée dans la production de melons. Le Gard étant un département de forte production fruitière et maraîchère, les besoins en main d’œuvre corvéable et exploitable à merci sont donc importants. Et heureusement que pour ces patrons il y a les immigrés, avec ou sans papiers peu importe. Mais se sont assez peu ces derniers qui intéressent les flics, les juges, les politiques et les médias. Pour caresser la bête immonde dans le sens des poils, il vaut mieux s’attaquer aux méchants immigrés.
Quant au procureur Boyer il ne pourra s’empêcher de faire des jeux de mots avec « melons ». Et bien oui, le fruit et l’arabe. Il trouve ça drôle mais devant les réactions de certains, il s’excuse un peu mais rajoute aussitôt « la plaisanterie a été faite avant moi ». Et alors, cela devrait excuser la connerie et le racisme ? A ce stade là de lecture, vous pensez sans doute que c’est bien suffisant pour un après-midi de jugements. Et bien non. M. Boyer ne s’arrête pas là. Affaire suivante : un jeune marocain qui a un jour pété les plombs à la préfecture. Il réclamait le regroupement familial, cela lui a été refusé. Résultat : il donne un coup de poing dans la vitre du guichet des étrangers et la brise légèrement. Les commentaires de Boyer ne se font pas attendre. En s’adressant au jeune marocain, il lui fait remarquer que « s’il n’est pas satisfait de l’administration française, il n’a qu’à envisager le regroupement familial dans l’autre sens », et donc de retourner dans son pays. Le message est clair, la France aime-la et ferme ta gueule ou quitte- la. Voilà donc quelques exemples qui se sont déroulés en un seul après-midi ! Les médias, les politiques et certaines associations se sont déchaînés ces dernières semaines en affirmant que les « jeunes des banlieues » ne respectaient rien. Avec des mots très durs, tous dénonçaient leurs comportements, leurs agressivités, leurs violences, leurs langages, etc .. Mais qu’en est-il du juge Boyer ? A-t-on entendu médias et politiques dénoncer ses propos ? Comment exiger du « respect des institutions », alors que les premiers à ne pas les respecter sont bien souvent les donneurs de leçons.
Mais revenons, à notre affaire ... Une atmosphère électrique dans le tribunal. Pour ce procès beaucoup de jeunes et des habitants du quartier de Valdegour se sont déplacés ainsi que des personnes de l’Association pour Mourad, des militants du Scalp et de la CNT . Mais nous n’étions pas les seuls, puisque de nombreux policiers étaient là. Beaucoup en civils, mais aussi discrets qu’un car de CRS dans une cité. Donc en plus de cette atmosphère particulièrement lourde, les premiers propos de la juge-présidente, Mme Laporte nous confirme tout ce qu’on peut penser de cette justice.
Tandis que Mohamed et Abdelhakim, intimidés et malgré tout craintifs, se présentent à la barre, la juge demande à Mohamed quelle est l’origine de son nom. Car à son grand étonnement, on peut s’appeler Mohamed et avoir un nom qui ne fait pas spécialement arabe. Et Mohamed de lui répondre que son père est alsacien, d’où le côté germanique de son nom de famille. Les présentations civiles se font donc par les accusés, on ne les entend pas beaucoup dans la salle. C’est vrai qu’ils parlent doucement sans doute en raison de la peur, de la crainte du jugement, des regards des juges, etc.. Ce qui fait dire à la présidente du tribunal : « lorsque vous faites des bêtises vous avez de l’énergie, alors là exprimez vous correctement ! » Mais son ton condescendant et méprisant ne s’arrêtera pas là. D’abord, elle ne parlera aux deux jeunes qu’en les appelant uniquement par leurs noms de famille. Pas de Monsieur ici, les règles de politesses et de respect dans les tribunaux ne s’appliquent que dans un sens. Ensuite, c’est au tour de Abdelhakim d’expliquer qu’il n’a pas de travail, contrairement à Mohamed qui à un travail avec un contrat à durée indéterminée. Et à la juge de s’emporter et de lui dire que s’il ne travaille pas « c’est que vous vous y prenez mal, car certains en trouvent alors pourquoi pas vous ? » et d’ajouter « mais faites un stage, bougez-vous ! ». Mais visiblement les réponses d’Abdelhakim ne l’intéressent pas. Peu importe pour elle qu’il ait effectivement déjà fait des stages (bidons pour la plupart), qu’il ait déjà eu des CDD. Et en affirmant ce genre de choses, cette juge qui très certainement vit bien loin des quartiers populaires et ne doit sans doute pas fréquenter des chômeurs, ne doit pas savoir que dans le quartier de Valdegour le taux de chômage atteint 57% chez les 20-25 ans.
Ensuite c’est à la partie civile d’intervenir, pour le vol du fourgon qui appartenait à un artisan. C’est donc à l’avocate de ce dernier de larmoyer sur son client qui « travaille dur, passe ses journées sur les chantiers et gagne sa vie honnêtement ». Et de dire que si ce dernier était en redressement judiciaire en été 2005, le vol du fourgon qu’il a subi n’y était pas pour rien. Rappelons tout de même que ce vol s’est passé.
il y a plus de deux ans, et que le véhicule lui a été rendu cinq mois plus tard ! Quant à l’intervention du procureur, il faut bien l’admettre, elle nous a plutôt agréablement surpris. Prenant en compte ce qui se passe dans les quartiers populaires en ce moment, il ne voulait pas jeter de l’huile sur le feu. Et d’ajouter que dans le cas de ces jeunes, la prison ne pouvait pas être une solution et que la mort de leur ami était une déjà une punition bien lourde. Pour éviter toute tentative de récidive, il explique qu’il demande 12 à 14 mois d’emprisonnement avec sursis avec mise à l’épreuve et obligation de travail pour rembourser l’artisan.
En attendant le verdict, on sort du tribunal plutôt rassurés. On se dit que la juge n’était pas très cool mais que ça va, le proc ne demande pas de la prison ferme. On discute avec Hakim et Mohamed, eux aussi vont un peu mieux. La mère de Mourad est là également, et tente de les rassurer encore. On patiente encore quelques heures ... et après 18h00 les verdicts sont annoncés. Et là stupeur, la sentence tombe ! Mohamed, 22 ans, et Abdelhakim, 21 ans, sont condamnés à verser plus de 11000 euros à l’artisan pour la perte d’exploitation liée à l’absence de fourgon pendant 5 mois. Mais surtout deux ans d’emprisonnement : un an ferme et un an avec sursis, avec aménagement si il y a un travail ou un stage. Décidément le Travail comme valeur salutaire et salvatrice, y’a mieux. Pour Abdelhakim, cela veut dire vite avoir un boulot sinon c’est la prison ! « Le travail rend libre », voilà ce qui rappelle de mauvais souvenirs.

G. (Scalp Nîmes)


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