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AccueilJournalNuméros parus en 2007N°62 - Octobre 2007 > SANS-PAPIERS

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Immigration

SANS-PAPIERS

Interview de Cedric, militant FASTI



On a vu que les discours de chasse aux sans papier pouvaient conduire jusqu’à la mort comme dans le cas de Mme Chunlan LIU. En voulant atteindre le chiffre de 25000 expulsions, n’y a-t-il pas un risque de voir les “bavures” se multiplier ?

Si, c’est clair que plus on aura une politique du chiffre, et plus on aura ce genre de bavures. Il est évident qu’il va y avoir un renforcement des contrôles au faciès, aux sorties des restos du coeur... A partir du moment où on annonce une politique chiffrée, avec des incantations du style 25 000 expulsions dans l’année, il faut, dans la logique droitière, trouver les personnes à expulser sans que cela heurte trop une partie de la société. La difficulté pour Sarko, c’est d’atteindre ce chiffre alors que les Roumains et les Bulgares font désormais partie de l’Union Européenne. Du coup il doit se rabattre sur d’autres populations pour atteindre son chiffre. On le sait très bien, ce sont les personnes isolées qui ont le plus à craindre de cette orientation. De ce fait, on commence à voir ou à revoir apparaître, selon les villes, des rafles ciblées : aux abords des chantiers de construction, des foyers... Ce qui est paradoxal, c’est qu’en mettant la pression sur les préfets et par ricochets sur les policiers, les arrestations sont quelquefois faites en dehors des cadres légaux, ce qui permet parfois de gagner en contestation devant les tribunaux administratifs.

Désormais, c’est un climat de terreur qui s’installe et la volonté du gouvernement est bien là : il y a eu le cas de Mme LIU, il y a eu cet été le cas de cet enfant dans le coma, et ça, ce sont seulement les cas que l’on connaît. Combien de descentes de police dans les squats... dont nous n’entendons pas parler et qui engendrent ce style de bavures ?

N’est-on pas dans un décompte macabre avec ces morts, ces expulsé-es, ces refoulé-es, ces noyé-es de la Méditerranée ? N’est-on pas en train de vivre une période où les Français et les Européens, pour garder leurs richesses, ne mettent plus de visage à tous ces hommes et femmes (qui sont né-es par hasard quelque part), d’Afrique ?

Toute la volonté de la politique actuelle, c’est de déshumaniser la question de l’immigration. Par le langage technocratique, du chiffrage... on tente de nous faire oublier que derrière le cas de 40 personnes mortes au large des Canaries, il y a des femmes, des enfants et des hommes qui ont une histoire, un parcours de vie. C’est là une de nos difficultés en tant que soutien. Comment réhumaniser les politiques d’immigration, dire que derrière ces décisions iniques et xénophobes, c’est avant tout la vie de personnes, d’êtres humains. Cependant, il ne faut pas non plus tomber dans l’humanisme bon teint, et effacer les revendications politiques en tentant de faire pleurer dans les chaumières sur des cas individuels. On sait très bien que c’est en globalisant la lutte, en arrêtant de séquencer les Sans-Papier-es en différentes catégories que l’on va réussir à redynamiser la lutte.

La xénophobie d’Etat n’est pas qu’une question de lois mais aussi de conduites quotidiennes (traques, rafles, chasse au faciès). Avec le vote par l’Assemblée Nationale de l’amendement du député UMP Mariani sur l’ADN, est-on encore en train de franchir un nouveau cap ? Vit-on une lepénisation sans fin des discours et des pratiques ?

C’est clair qu’on est dans une droitisation profonde de la société, et donc les questions en lien à l’immigration sont les premiers indicateurs de cela. La mise en place de tels tests démontre bien que la volonté de cette nouvelle droite décomplexée, poreuse aux idées les plus xénophobes et racistes, est de mettre en place des moyens de contrôles les plus complets possibles de la population. En plus on jette le doute et la suspicion permanente sur une catégorie de la population. On n’est même plus en train de parler de personnes Sans-Papiers : on jette le doute sur des personnes qui sont installées régulièrement depuis des années. C’est là où le discours sarkozyste se lézarde : il dit fermeté avec les Sans-Papier-es et aide à l’intégration de ceux qui font « l’effort » d’être en règle. Sauf qu’en mettant en place des tests ADN, et en l’argumentant sur le fait qu’on est pas sûr des états civils des pays d’origine, on est clairement dans le discours néocolonialiste dans lequel toute personne étrangère est suspecte d’être une fraudeuse. On est dans le discours du bouc émissaire et ce sont les mêmes méthodes qui sont employées par les fascistes.

- En 4 ans quatre lois sur l’immigration, et on voit bien que ce n’est pas fini. La prochaine sera sur les quotas. (A ce sujet, on peut se rappeler que J. Dray, député PS - fondateur de SOS Racisme - en parlait déjà il y a dix ans). Dans ce cadre, les lois sur les immigré-es ne remplissent- elles pas plus une fonction idéologique que d’encadrement des migrant-es ? N’est-ce pas devenu un bon “sujet” de communication pour la droite qui ainsi pique le fonds de commerce du FN ? Comment expliques-tu la faiblesse des réactions ?

Vaste question. Il y a depuis des années une division profonde entre les soutiens sur la question de la liberté de circulation et d’installation ; les uns se limitant à la liberté de circulation, les autres posant plus la question de l’installation dans une redéfinition plus globale des rapports Nord-Sud, et s’appuyant sur la citoyenneté de résidence. De ce fait, il est souvent compliqué de faire front uni quand de telles dissensions existent. La mise en place de Uni-es Contre une Immigration Jetable l’année dernière avait un peu atténué cette division mais le clivage demeure, accentué par les oppositions sur des stratégies : faut-il revendiquer une autre politique d’immigration ou oser clairement affirmer que la seule politique d’immigration possible, c’est justement de ne pas revendiquer une modification des politiques d’immigration, de ne pas rentrer dans ce jeu de la légifération et rester dans le cadre des revendications émanant de l’égalité des droits ; et donc ces tensions se déclinent sur droit de vote à toutes les élections ou seulement les élections locales, se mobiliser exclusivement sur les familles ou sur l’ensemble des personnes sans papiers...

Ensuite viennent les oppositions de stratégies ponctuelles : fallait-il accepter l’invitation de Horetefeux ou pas ? Fallait-il aider le PS à rédiger des amendements sur le CESEDA 2006 ? ou maintenir que le seul amendement possible, c’était... le retrait du CESEDA ! L’autre grand clivage, c’est la place des Sans-Papier-es dans la lutte : Faut-il accepter de garder notre place et n’être que soutien, quitte à être parfois en désaccord, ou faut-il mener la lutte par délégation ? Enfin le dernier souci, c’est ce traditionnel clivage Paris-Province. L’exemple le plus frappant, c’est la mobilisation contre le nouveau texte de loi. Il n’y aura pas de mobilisation nationale parce que Paris ne veut pas le faire. Et on sait très bien qu’en France, si Paris ne bouge pas, rien ne bouge (du moins aux yeux des médias). La « blague » c’est que du coup quasiment toutes les villes de province appellent à manifester le 2 Octobre car c’est le jour du passage de la loi au Sénat... sauf Paris ! Et du coup, on considère qu’il n’y a pas d’appel national.

- La figure de l’immigré-e est une pièce centrale du discours sécuritaire, basé sur la peur. A gauche, rien de nouveau ; Manuel Valls veut une politique “humaine”, mais avec les mêmes recettes que la droite. N’est-il pas temps d’affirmer un discours autre que moraliste et humaniste ?

Pour nous, c’est clair, c’est en favorisant l’auto-organisation des personnes Sans-Papier-es, et en continuant à revendiquer clairement l’égalité des droits entre immigré-es et français-es dans une cadre de liberté de circulation et d’installation qu’on est le moins décrédibilisé-es parce que justement on ne cherche pas à être crédibles ou « réalistes » : pas de contre-propositions, pas de contre rapports, pas de nouvelle politique d’immigration mais seulement une naturelle et légitime revendication d’égalité des droits. La logique c’est de s’appuyer sur les demandes des personnes concernées et de mettre en avant les injustices qu’elles subissent. On est dans l’égalité des droits, et ce qui que ce soit qui soit au pouvoir.

- Sur les 20 préfets rappelés à l’ordre par Hortefeux, 6 sont de la région Bretagne/Pays de Loire, comment expliques-tu cela ?

Bretagne et Pays de Loire sont des régions de « fin de parcours ». De ce fait, il y a moins de personnes Sans-papiers que dans les régions parisienne, lyonnaise, ou marseillaise. De ce fait, très peu nombreuses sont les personnes immigrées coupées des contacts avec les associations de terrain. Donc les réseaux sont plus facilement mobilisables ; et donc les préfets ont relativement moins de marge de manoeuvre. En plus, historiquement et sociologiquement, il y a une mobilisation, même légère, des réseaux catholiques ; et ceux-ci ont parfois leur importance dans des rapports de force avec les agents de l’Etat. Autant c’est facile pour un préfet d’envoyer chier les gauchos habituels et de pouvoir expulser qui il veut, autant c’est moins facile quand les Sans-Papier-es sont dans des foyers du Secours Catholique ou des églises.

Et puis il est vrai que la mobilisation reste importante sur la question des immigré-es. Les réseaux comme la Coordination Bretagne/Pays de Loire sont les pierres angulaires de mobilisations régionales qui permettent de redynamiser des luttes locales qui ont souvent des périodes de creux. La mobilisation de février sur le Centre de Rétention de Rennes en est l’exemple. Alors que Nantes, Rennes, Brest, Laval, localement, ont du mal à élargir la lutte et à remobiliser le mouvement social, on était plus de 2 000 personnes à manifester, et ça, ça fait du bien. On a besoin pour rester mobilisé-es de ce genre de manifestation.

- A l’occasion du 40e anniversaire de la FASTI, un débat s’est tenu à Nantes sur l’enfermement, peux-tu nous en présenter les grandes lignes ?

On avait la volonté de faire le point sur les différents lieux d’enfermement des personnes étrangères et leur évolution durant ces quarante dernières années : zones d’attente, prison, centres de rétention, frontières de l’Europe. Mais surtout on voulait mettre l’accent sur la lutte et les différents témoignages de toute la France sur les techniques des groupes locaux face à ces lieux. Le constat, c’est qu’il manque un espace de coordination nationale de ces luttes. Tous les témoignages faisaient le constat d’un manque à ce niveau. C’est là tout le travail auquel on doit s’atteler aujourd’hui : la mise en place d’une plateforme des luttes, de transmission des différentes mobilisations pour tenter de coordonner les différents groupes ; c’est par ce biais qu’on pourra remobiliser et aider l’ensemble des groupes locaux. Le deuxième débat aura lieu du 1er au 4 novembre à Lille sur la question de l’évolution des rapports Nord-Sud.

Il semble que la question fondamentale qui se pose aujourd’hui pour la défense des migrant-es soit celle de la politique européenne. Quels en sont les grands aspects ? Comment agit le réseau Migreurop ?

Toutes les politiques européennes d’immigration vont dans le sens de « contrôler les flux migratoires, et de décaler la gestion de ces populations ». De ce fait on assiste à un marchandage entre les nouveaux pays entrants, les candidats à l’intégration dans l’Union, les pays d’Afrique ayant une étroite collaboration avec l’Europe. On négocie aide au développement, promesse d’intégration dans l’Europe, aide économique contre gestion des flux migratoires. La Lybie a renégocié son retour en grâce contre le fait de jouer le rôle de gendarme pour l’Union en bloquant les populations sub-sahariennes désirant arriver en Europe. La Pologne fait de même, la Turquie risque de faire le même travail d’ici quelques années. L’Europe ferme ses frontières, verrouille ses pays et n’assume pas, puisqu’elle demande à d’autres de contrôler tout cela pour elle.

Migreurop fait parti, avec UNITED, de ces réseaux européens qui tentent, dans un premier temps, de conscientiser sur la question de la politique européenne d’immigration, de travailler dessus, et de tenter d’agir en réunissant différentes organisations européennes. Par le biais de campagnes communes, de réactions unitaires, on tente, par le biais de Migreurop, de nous opposer à ces nouvelles orientations européennes. Là où c’est difficile, c’est de trouver un angle d’attaque unitaire et de s’y tenir. L’inconvénient des réseaux européennes, c’est de créer une synergie par le biais d’acteurs associatifs qui n’ont pas, loin s’en faut, les mêmes pratiques, les mêmes traditions de rapports de forces et d’opposition aux Etats... Néanmoins, Migreurop comme UNITED ont leur utilité et doivent être développés. On sait très bien que désormais, c’est la politique européenne qu’il faut combattre. Le petit souci que l’on devrait dépasser rapidement, c’est de faire en sorte de sortir des cercles initiés les informations et les mobilisations qui se passent un peu partout en Europe, afin de faire prendre conscience localement que la lutte n’est pas orpheline, mais que partout des réseaux et des groupes se mobilisent et agissent au quotidien.


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