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Longo Mai

Une mise en pratique de l’autogestion dans le secteur agricole depuis 35 ans


Tu milites pour l’autogestion ? Tu rêves de sortir du salariat ? Eh bien, Longo Maï le fait depuis 1973 en Provence. Ainsi, quelques personnes se sont installées dans l’après mai 68 pour sortir des beaux discours et des bonnes intentions et se mettre à la pratique en expérimentant des « alternatives possibles » au système d’exploitation et de consommation capitalistes.


Je ne vais pas revenir ici sur les éléments historiques de Longo Maï : pour cela il suffit de se référer à l’excellent ouvrage de Beatriz Graf Longo Maï  : révolte et utopie après mai 68. Vie et auto - gestion dans les coopératives européennes. Je souhaite seulement revenir sur quelques impressions et bouleversements personnels qu’ont entraîné mon passage de quatre semaines au sein de Longo Maï cet été.

Aller à Longo Maï, c’est participer aux activités de la semaine, discutées en réunion hebdomadaire. Y’a les récoltes de framboises, surtout dédiées à la vente sur le marché et la récolte du jardin, surtout dédiée à l’autosubsistance alimentaire. Parce qu’il faut les nourrir, les cinquante personnes présentes. C’est préparer le repas, faire la technique à la radio locale « radio zinzine » après une récolte de foin. C’est se balader dans les magnifiques montagnes pour récolter de la lavande fine sauvage et non pas du lavandin de merde cultivé pour les « touristes ».

Mais venir à Longo Maï, c’est surtout s’interroger sur les promesses de la croissance, du progrès scientifique et du système productiviste, défendues tant par l’État que par une certaine fraction du milieu militant (« CDI pour tous ! » durant les manif anti- CPE). Sans oublier qu’au printemps 2008, des émeutes de la faim ont éclaté un peu partout dans le monde : en Haïti, en Égypte, en Mauritanie, au Mexique, au Maroc, en Bolivie, au Pakistan et en Malaisie. Si la FAO (Food and Agriculture Organisation), organe de l’ONU, reconnaît enfin timidement qu’il faut revenir sur vingt ans de politique agricole productiviste et industrielle, Longo Maï agit sur ce terrain depuis ses débuts : « Lutter contre la concentration des terres agricoles et la spéculation foncière en essayant de maintenir les petites exploitations, échapper à la domination de l’agriculture industrielle et de l’industrie agro-alimentaire »1. Enfin un regard sur l’écologie qui se veut politique, au-delà d’une quête personnelle pour le « bien être » ! Quand le groupe SCALP de Paris a décidé de quitter le collectif anti-OGM d’Île-de- France qu’il avait rejoint quelques mois auparavant, nous étions devenus las des discussions stériles sur le bien-être personnel. Las des pétitions aux députés sur les questions de santé et las de s’entendre dire qu’il ne fallait surtout pas politiser la question des OGM ni parler d’autre chose que de malbouffe. On retournait enfin vers un discours sur l’agriculture paysanne, un discours de lutte contre le productivisme qui me parlait beaucoup plus.

Mais j’avoue que là où j’étais été complètement prise de dépourvue, c’est sur les références. Je suis arrivée avec le livre d’Hervé Ke m p f : Comment les riches détruisent la planète, que j’avais hâte de lire depuis quelques temps, et je me suis dit qu’à Longo, cette figure du journalisme écologique au Monde devait être une référence et que je pourrais facilement en discuter. Mais voilà qu’Hervé Kempf n’est qu’un citoyenniste (ce qui est indiscutable), et je me fais presque taxer de citoyennisme. Kempf ne prend pas suffisamment position par rapport au rôle de l’État et je me retrouve plutôt embarquée dans des discussions en référence à des situationnistes que je ne maîtrise pas du tout. On débat et on commente de manière animée un ouvrage qui vient de paraître : Catastrophisme, admi - nistration du désastre et soumission dura - ble de René Riesel et Jaime Semprun, figures qui me sont inconnues. Je me sens dépassée, je ne suis même plus sûre de suivre le cours de la discussion. C’est enivrant, un nouveau monde s’ouvre à moi. Un monde qui aurait opposé Riesel et Bové sur la spectacularisation de la désobéissance civile et sur la critique de l’État, il y a quelques années. J’apprends plein de choses  ; j’suis grave à la ramasse.

On ne peut pas vraiment dire que les longos se soient contentéEs de s’assurer un beau cadre de vie peinard et tranquille loin des emmerdes de l’intérim, des courses au supermarchés, des vidéo-surveillances en bas de chez soi et des flics qui expulsent les sans papiers régulièrement. Non, illes se sont pas endormiEs dans une routine, illes gardent toujours leur refus radical de la société de consommation, leur refus du travail salarié, de ses contraintes et de sa tendance à l’uniformisation, et illes continuent leur combat écologique dans un souci libérateur. Et ce souci libérateur vis-à-vis de l’État, illes le gardent bien en tête car il se pourrait bien en effet que le rôle de l’État dans les années à venir sur les questions écologiques soit un enjeux majeur, comme le dit le citoyenniste Hervé Kempf (et toc !) : «  La ruse de l’histoire serait même qu’un pouvoir autoritaire se targue de la nécessité écologique pour faire accepter la restriction des libertés sans avoir à toucher aux inégalités sociales. La gestion des épidémies, les accidents nucléaires, les pointes de pollution, la « gestion » des émigrés de la crise climatique sont autant de motifs qui faciliteraient la restriction des libertés. »2 Ce qui me rappelle aussi les écrits d’André Gorz (encore un autre citoyenniste), l’un des principaux théoriciens de l’écologie politique liant anti-productivisme et anti-capitalisme, qui craignait également cette dérive autoritaire sur l’écologie : « La décroissance est [...] un impératif de survie. Mais elle suppose une autre économie, un autre style de vie, une autre civilisation, d’autres rapports sociaux. En leur absence, l’effondrement ne pourrait être évité qu’à force de restrictions, rationnements, allocations autoritaires de ressources caractéristiques d’une économie de guerre. ».

Mais il est évident qu’à Longo, il n’y a pas de doctrine fixe ou de pensée unique, chaque discussion avec chacunE va éveiller de nouveaux enjeux, de nouvelles perspectives et d’autres points de vue. CertainEs vont même se contenter de nous regarder avec un air strict et professoral et nous faire la morale sur la manière de faire une vinaigrette, que seule une personne habitant à Longo depuis trente ans saurait faire. Heureusement, les rencontres sont diverses et riches, et c’est justement cette diversité qui en fait un monde tout à fait intéressant à rencontrer. Il y a aussi les gens de passage qui, comme moi, passent quelques jours et qui repartent. CertainEs viennent pour apprendre les herbes médicinales, d’autres pour voir la vie en communauté et en collectivité, d’autres pour un stage professionnel, d’autres on ne sait pas trop pourquoi. Moi, c’était pour vivre, même brièvement, l’autogestion en collectivité et pour les discussions politiques.

Dans le milieu militant, on parle souvent des « communautés » qui ont pu se créer dans l’après mai 68 comme des zones de repli : globalement, « les alternatives », ça fait peur. Mais à Longo, avec le passage des gens, le mouvement entre les différentes coopératives Longo à travers l’Europe, on a plutôt l’impression d’être dans un carrefour de gens polyglottes, pour qui l’autogestion ne se résume pas à « l’assemblée générale souveraine », mais à l’ouverture d’un champ du possible vers de nouvelles relations sociales et de nouveaux modes de vie en collectivité qui se veulent non autoritaires : en somme, vers une véritable mise en pratique qui vienne en appui des beaux discours.

Les plus sceptiques me rétorqueront qu’il n’y a rien d’utopique à l’auto-exploitation. Eh bah oui, quand on cherche à tendre vers l’autosubsistance (pas l’autarcie pour autant) et pas vers le lidl du coin, il faut les cultiver, ces légumes, il faut même les planter avant ça. Ca pique et on se chope parfois des grosses irritations. Pour les gens de passages à Longo Maï, on est même souvent regardé avec méfiance et suspicion au début (mais pourquoi elle est là, celle-là, et en plus elle a oublié une framboise sur cette branche). Mais la question est alors : on la veut ou pas l’autogestion pour tendre vers l’autosubsistance à l’échelle locale et vers un système basé sur le don et l’échange ? Pour se défaire le plus possible des questions de rentabilité, Longo Maï fait appel à un réseau de donateurs, des gens qui soutiennent leurs projets : des profs, des syndicalistes, des militants, des individus... ce qui fait aussi sa spécificité. Beatriz Graf explique : « À l’intérieur de Longo Maï, cette méthode de financement a souvent été mise en question. Le problème principal est toujours de garder la plus grande indépendance. Ici, les opinions divergent [...]. En gros, le rapport entre l’argent collecté et les subventions d’une part et les ventes des produits d’autre part est de 50/50, avec des variations d’une coopérative à l’autre. La part des ventes a plutôt augmenté les dernières années. »3

Autant d’options qui sont intéressantes à étudier, et qui montrent en même temps les difficultés rencontrées dans les choix à faire. Il y en a aussi d’autres, difficiles à régler : la répartition de genre des tâches, du poids des « anciens », et de la cohabitation parfois difficile et rude en collectivité... ■

Puck

1. Graf, Beatriz : Longo Maï : Révolte et utopie après 68, p. 140. 2. Hervé Kempf.


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