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> N°64 - Décembre 2007
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Mouvement universitaireLES BLOCAGES ET LES SIGNIFICATIONS DE L’"ANTIBLOCAGE"Par Jérôme Valluy (Paris 1)Contrairement à mes collègues “ syndiqués “ C. Ramaux (MdC économie Paris 1 / MATISSE) et à J.M. Monnier (PU économie Paris 1, MATISSE, membre de la CGT Paris 1) je ne pense pas que la stigmatisation des actions de “ blocage “ des universités par les étudiants soit le reflet de valeurs démocratiques.
En effet, la démocratie que nous connaissons aujourd’hui est le résultat de plus de deux siècles de révolutions et de mobilisations sociales qui ont exercé des contraintes sur la société pour la faire progresser. Or le “ blocage “, sous des formes diverses et variées, à toujours fait partie du répertoire d’action dans ces luttes progressistes qui bénéficient aujourd’hui à tous : personne ne conteste le principe des manifestations de rue qui pourtant, et inévitablement, “ bloquent “ la circulation routière. De même, toute action de grève dans la fonction publique a nécessairement pour effet de “ bloquer “ l’accès des usagers à certains services publics (transports, communication, écoles, etc.). Chaque fois que des enseignants font grève ils réalisent un “ blocage “ en interdisant à la totalité de leurs étudiants ou élèves de suivre des enseignements : peut-on admettre ce pouvoir de blocage des enseignants et le refuser aux étudiants ? La CGT et d’autres syndicats seraient-ils aujourd’hui contre le droit de grève des enseignants ? Il serait très étonnant qu’après avoir contribué au blocage du pays tout entier, au moment des grèves dans les transports publics, des syndicats puisse répondre positivement à ces deux questions. Si les réponses sont négatives, il faut alors reconnaître que la stigmatisation, par certains collègues, des “ blocages “ étudiants est, politiquement, de nature réactionnaire. L’opinion publiée par Le Monde et rediffusée par la CGT Paris 1 est d’autant plus séduisante pour les pouvoirs en place (le gouvernement, les présidences d’université...) qu’elle se présente comme une opinion de gauche voir d’extrême gauche, donc plus difficile à rejeter par les étudiants. Pourtant, ils doivent savoir que c’est un geste classique des anciens socialistes, communistes ou trotskystes, faisant avancer aujourd’hui la deuxième moitié de leur carrière universitaire, installés dans les institutions et ayant acquis des positions de pouvoir dans l’appareil universitaire et/ou syndical, de disqualifier toute forme d’opposition ou de perturbation au nom et à l’aune des seules vraies luttes sociales qui sont celles auxquelles ils ont participé dans leur jeunesse. Les collègues précités font ainsi de leurs luttes de jeunesse à la fois un geste titanesque et un moment irénique où la mobilisation sociale aurait pu se faire sans contraintes ni violences, de manière intellectuelle et délibérative, portée par la seule force argumentative des militants engagés. Non seulement cette reconstruction de l’histoire des luttes étudiantes est sociologiquement fausse (et pour tout dire d’une niaiserie pitoyable), mais elle est aussi méprisante à l’égard des nouvelles générations d’étudiants. Ceux-ci sont implicitement présentés comme des décérébrés incapables de soutenir des débats de fond sur les enjeux politiques de la réforme contestée, obnubilés par le “ blocage “ et incapables même de choisir lucidement les moyens adéquats pour agir efficacement en fonction de la conjoncture historique et politique dans laquelle ils se trouvent. Ce discours d’anciens combattants revendiquant pour leur génération le monopole de la science et de la vertu militantes et refusant aux suivantes de choisir les moyens qu’elles jugent adaptées à leur situation est une autre dimension de cette réaction “ de gauche “. Il y a enfin dans cette position “ antiblocages “ et dans celle qui s’exprime minoritairement dans les AG en faveur d’une discussion immédiate sur les futurs statuts des universités - ce qui reviendrait implicitement à accepter le cadre juridique de la loi LRU et à proclamer ainsi l’échec du mouvement demandant son abrogation - un diagnostic erroné sur le déroulement de ce mouvement universitaire. Il est vrai que certaines universités sont bloquées depuis près de cinq semaines et que certains collègues syndiqués ont pu se sentir isolés durant cette première phase du mouvement... jusqu’à considérer aujourd’hui que le mouvement est achevé au double sens du terme. Cette analyse ne tient pas compte de la structure des opportunités politiques qui s’offre au mouvement et qui évolue avec lui, semaine après semaine : durant cette première phase de cinq / six semaines, le mouvement a subit une conjonction de facteurs défavorables dont certains disparaissent depuis quelques jours : · la grève des transports paralysait les déplacements nécessaires au développement du mouvement notamment dans les grandes villes ; · les luttes sociales dans d’autres secteurs (régimes spéciaux, fonction publique,...) ont détourné les regards du monde universitaire ; · l’inféodation officielle des mass médias au pouvoir exécutif et au v˛ux du Président de la République de ne pas relayer les protestations étudiantes, a exclu le mouvement de toute médiatisation objective ; · les intérêts électoraux à court terme du parti socialiste, jouant sa survie dans les prochaines élections municipales, l’ont amené à se positionner contre le mouvement et a entraîner ceux qui sont aujourd’hui dépendants de lui ou qui veulent faire carrière chez lui, notamment l’UNEF ; · la réforme favorisant une sorte de bonapartisme de gouvernance des universités au profit des Présidents et, indirectement, des mandarins qui pourront composer avec eux font de ces acteurs les fers de lance du gouvernement dans la répression des oppositions à cette réforme... ceci souvent, dans les AG, en l’absence des plus gradés d’entre nous : les “ Professeurs d’Université “ (PU) dont les fins de carrières sont moins menacées et qui laissent les étudiants, Doctorants, ATER, Moniteurs et Maîtres de conférences assumer l’essentiel de la mobilisation pour défendre une conception de l’université dont les PU ont pourtant eux-mêmes bénéficié depuis des décennies. Pour l’ensemble de ces raisons, les enseignants et les lycéens ont tardé à se mobiliser et ne le font que depuis cette semaine... et cela grâce aux blocages étudiants qui ont permis de maintenir le mouvement jusqu’à aujourd’hui. Une nouvelle phase du mouvement commence. La paralysie du mouvement par la grève des transports disparaît cette semaine, notamment depuis le 26 novembre. Les blocages étudiants ont forcé les enseignants à s’informer sur cette loi et ses conséquences, ce qui explique la tenue des premières assemblées générales d’enseignants le mardi 27 novembre et la première réunion interuniversitaire d’enseignants à Jussieu le jeudi 29 novembre. L’embargo médiatique décrété par le gouvernement commence à être légèrement contrebalancé par les médias libres de l’Internet qui, depuis le début de la semaine, organisent la diffusion des informations que les télévisions, la presse nationale et régionale refusent de publier. Les mass-médias étrangers, qui ne dépendant pas du gouvernement français, commencent aussi, en faisant simplement leur travail, à compenser la subordination politique des médias français. On peut donc considérer que le mouvement universitaire est entré cette semaine dans une seconde phase de son déroulement : c’est peut être là son véritablement commencement marqué par l’engagement croissant des enseignants et par celui des lycéens. Si ces deux engagements se confirment la semaine prochaine (3 - 7 décembre 2007), le mouvement peut atteindre son objectif d’abrogation de la loi LRU par suspension de sa mise en oeuvre et d’ouverture d’un chantier national pour une autre réforme, progressiste, de l’université. Il reste néanmoins un facteur incertain dans cette configuration : le comportement des enseignants syndiqués et / ou les plus gradés, c’est-à-dire de ceux qui participent avec le plus de privilèges, d’une manière ou d’une autre, au système de gouvernance interne à l’université, (surtout si ce système se transforme dans le sens de la loi LRU). Selon qu’ils s’aligneront sur l’orientation du gouvernement et des présidents d’université ou qu’ils rejoindront les lycéens, étudiants et enseignants mobilisés, ils pèseront - au moins dans une certaine mesure - sur l’issue du mouvement. A cet égard les focalisations de certains sur la levée des blocages étudiants ressemblent, dans ce contexte sensible de démarrage (en deuxième phase), à une entreprise de casse symbolique et politique de la même nature que l’appel aux forces de l’ordre contre les étudiants. De même la précipitation à vouloir négocier les statuts d’université avant que les pouvoirs en place n’aient été contraints à reculer par un rapport de forces ressemble à certaines stratégies syndicales déjà observées, ces dernières semaines, au bénéfice de quelques dirigeants professionnels de syndicats et aux détriments des mouvements sociaux. Cependant, ces catégories de personnels sont quantitativement minoritaires dans le monde universitaire : la quasi-totalité des enseignants précaires et peu gradés sont statutairement menacés par cette réforme, et une grande partie des plus gradés le sont aussi lorsque leur spécialité pédagogique et scientifique ne relève pas des critères de financement politiquement favorisés par le gouvernement. On peut donc penser que la mobilisation enseignante va se prolonger dans la dynamique impulsée par les étudiants (http://www.sudetudiant. org/), certains syndicats enseignants (http://actu.fsu.fr/), les collectifs “ Sauvons la recherche “(http://www.sauvonslarecherche.fr/) et “ Sauvons l’université “(http://www.sauvonsluniversite. com/). |
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