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Cheminots

QUAND LE TRAIN SYNDICAL PERD DES WAGONS...

Entretien


Rencontre avec trois cheminots de Nantes, Mickaël de la CGT, Harold de Sud et Nicolas de la CGT qui ont animé la grève qui a duré du mardi 13 au jeudi 21.


1- Pouvez-vous nous rappeler en quelques points en quoi consistent les régimes spéciaux ?

Les retraites de la SNCF ne pèsent en aucun sur le budget de l’Etat car elles sont financées par la SNCF. C’est le déficit démographique qui est pris en charge par l’Etat , dans le régime général les activités décroissante (ex le textile) sont compensées par les activités croissantes. Si l’on intègre les régimes spéciaux dans le régime général ça sera à lui de compenser, donc aux salariés du privé, ce déficit démographique, ce qui le mettrait à mal et on pourrait très facilement demander au travailleur de faire encore des efforts compte tenu de la situation. Pour les droits spécifiques, les cheminots cotisent plus (12 points) pour partir en retraite avec moins d’argent à 55 ans (par rapport au dernier salaire 73% en moyenne au régime général et seulement de 63% au régime sncf). Le régime tient aux contraintes liées à la continuité de service (pénibilité 3X8, 365 jours par an). La r é f o r m e consiste donc à passer de 37,5 a 40 ans de cotisation, d’appliquer une décote supplémentaire lorsque l’on ne cotise pas les 40 ans, et l’indexation des retraites sur les prix (comme dans le privé) et plus sur les salaires (soit une différence de 15% depuis 1993).

2- Comment s’est déroulée votre mobilisation  ?

Sur Nantes, comme dans quelques autres dépôts, nous avons créé une assemblée générale inter-services qui permettaient à l’ensemble des métiers - guichetiers, roulants, contrôles, agents d’exécution... - de se retrouver le matin à la Gare Sud après les rassemblements dans les différents secteurs ; il y avait l’exposé de l’Intersyndicale - qui s’était réuni la veille - puis ensuite il pouvait y avoir quelques prises de paroles. L’échange avait lieu surtout au piquet de grève et aussi avant de débuter l’AG et après ainsi que pendant les manifs mais pas pendant l’AG les prises de parole n’étaient pas suivies de débat. Ceci est très important car cela permet de se rencontrer et de discuter avec les autres corps de métiers, d’échanger, de réfléchir ensemble. Les syndicats sont assez réservés avec ce type d’Assemblées générales car cela les met sur un même plan alors qu’il y a des corps de métiers où il n’y a qu’un ou deux syndicats de représentés. De plus, cela ouvre plus de possibilité aux gens de la base de pouvoir exprimer leur position, donc que le syndicat contrôle moins la parole.

Les secteurs les plus mobilisés sont la traction, les contrôleurs et matériel (environ 70% de grévistes) et cela pendant toute la grève à l’exécution cela avoisinait autour des 40%. Les cadres ont fait grève 1 jour ou deux, mais il y aurait eu des pressions pour que ces derniers reprennent.

Dès 6h30 du matin on faisait des piquets de grève ; ce qui est sûr c’est que le nombre de personnes a été en augmentant aux piquets de grève et on s’est mis à discuter et débattre de comment nous organiser, comment lutter, comment aussi pouvoir exprimer nos propres points de vues et que cela ne soit pas toujours confisqués par les OS (délégués syndicaux). Car lors de l’AG était voté seulement la reconduction de la grève ou non ; il y avait très peu d’échanges et de faire des propositions ; tout était décidé avant par l’intersyndicale. on a pu constater aussi que l’intersyndicale fonctionnait parfois difficilement ; par exemple lorsque l’on avait décidé de faire les marchés lors du week end du 17-18 novembre pour aller à la rencontre de la population, l’intersyndicale avait dit qu’elle ferait un tract, ce qu’elle n’a pas fait, il a donc fallu les pousser pour pouvoir les faire le dimanche. Les piquets de grève ont été un lieu important où la parole était libre et où l’on pouvait mettre en place des initiatives ; certes trop peu et ça été trop court, mais ça été très positif.

3- Comment a été perçue l’attitude des syndicats par les grévistes ? De la CGT ? De SUD-Rail ?

- Harold de SUD-Rail : je suis déçu par l’attitude de certain syndicat ; notre position était contre cette réforme et pour la reconduction de la grève. On a bien senti que la direction de la CGT était prête à négocier dès lors qu’il y avait des réunions tripartites (SNCF, Syndicats, gouvernement). Et le mardi 20 novembre lorsque la CGT s’est allié avec la l’ UNSA/CFTC/CGC pour appeler à la reprise du travail laissant SUD-Rail et FO rompant avec l’unité syndicale, et qu’il y a eu des votes de suspension de la grève - d’arrêts - cela a agi comme un effet mécanique, en deux jours tout s’est arrêté.

Ce qui est certain c’est qu’à la CGT comme à SUD-Rail, on estime que si l’on avait pu garder cette unité, on aurait pu poursuivre le mouvement. En tout cas, il y a eu de la déception.

- Nicolas CGT : je suis pas tout à fait d’accord avec Harold ; certes la CGT par la voix de Thibault avait annoncé la couleur sur le fait de vouloir des négociations tripartites. Mais Sud aussi le dernier jour n’appelle à la poursuite du mouvement en ne donnant pas de consigne de vote. Mais bon il est vrai que la CGT n’a pas poussé à la roue car par exemple dès le lundi à Rennes, la CGT ne donnait plus de consigne de vote.

4- L’unité à la base n’aurait-elle pas pu permettre des coordinations à la base ? Comment construire une autonomie vis-à-vis des organisations syndicales ?

Il y a un certain scepticisme vis-à-vis des directions syndicales (SUD ou CGT) ; il est sûr que lorsque les dirigeants sont peu positifs en minorant les chiffres des grévistes, en ayant un discours défaitiste, cela ne donne pas le moral pour continuer. Mais de là à s’organiser d’une manière indépendante en faisant des comités de grève, il y a un pas. Et alors là c’est très mal vu par les syndicats. Mais c’est très tentant, cela permettrait de pouvoir maîtriser notre parole et nos revendications, de pouvoir élaborer nos propres stratégies ; Ce qui a été vraiment différent qu’en 95, c’est qu’à l’époque personne ne pouvait donner une idée de ce que serait la fin du conflit alors que là beaucoup disait que de toute façon s’était perdu d’avance ; on savait dès le départ que pour la CGT les 40 ans c’était acté. Et en 95 une unité s’est faite autour de la sécurité sociale alors que là les cheminots sont apparus seuls défendant leurs acquis.

5- On a senti une certaine frilosité lorsque les étudiants sont venus vous voir, qu’en pensez-vous ? N’y aurait-il pas été profitable pour les deux mouvements des mobilisations communes ?

Oui, c’est sûr ; une partie des gens ont eu peur d’un mélange des genres. A Sud des cheminots ont été dans les amphis et inversement ; ce qui est sûr c’est que l’intersyndicale aurait dû préparé les gens ; de plus comme il y avait pas beaucoup de temps lors de l’intersyndicale cela ne permettait pas beaucoup d’espaces d’interventions extérieures.

6- Y a-t-il eu de la solidarité de la part d’autres secteurs avec votre lutte ?

Il y a un mec d’Airbus de la CGT qui est venu nous voir ; mais ce qui est vrai c’est que ce qui faisait à une époque comme des caisses de solidarité n’ont pas eu lieu ; il faut aussi dire que les gens avaient dû mal à comprendre notre grève et par exemple lorsque l’on a été au péage d’autoroute du Bignon distribuer des tracts et discuter avec des gens là tout de suite c’était plus facile, les gens comprenaient notre mouvement et se sentait concernés.

C’est sûr qu’ avec le matraquage des médias sur “les prises d’otages”, les “nantis” on a eu que des reportages négatifs surtout de la part des médias nationaux. Quel contrôle on a sur ce qui va être retranscrit de notre lutte ? Aucun...

7- Sud-Rail et la Fédération des usagers des transports et des services publics (FUT-SP) ont remis le sujet de la grève de la gratuité sur le tapis. Soit au lieu de ne pas circuler du tout, mettre les trains en marche mais en faisant voyager les usagers à l’oeil. Pourquoi cette idée n’est pas reprise ?

A l’heure actuelle juridiquement c’est impossible ; car lorsque tu achètes un billet de train tu es assuré, donc en cas d’accident tu est couvert. Mais il ce peut qu’avec l’Europe cela soit possible, donc on est en train d’étudier cela. Ce serait peut-être un moyen de peser financièrement car ça coûterait cher à la SNCF et les gens seraient peut-être moins hostile à la grève.

Cette idée de gratuité est attrayante mais pose un problème dit Nicolas car faire grève c’est arrêter l’outil de production, donc on ne travaille pas ; faire voyager les gens gratuitement, cela revient à ne pas être en grève. Le but d’une grève ce n’est pas de faire rouler les trains. Mais pendant la grève, on s’est très bien que les gens peuvent voyager sans payer. Pour avoir l’opinion avec nous, il faut faire un travail d’information plus large.

8- Pensez-vous possible si les négociations ne sont pas satisfaisantes à une reprise du mouvement ?

Ce qui est à craindre c’est que si les négociations aboutissent à un résultat moyen, que l’on mette en valeur les quelques mesures obtenues et que l’on dise voilà on a obtenu cela par la grève, donc cela a été utile. Alors il faudrait avoir l’honnêteté de dire la vérité ; il est certain que les cheminots sont amers mais ont encore la rage.

Ce qui pourrait convenir au cheminots c’est soit le retrait de la réforme soit de faire en sorte que les compensations (augmentation des salaires, de ce qui est pris en compte pour le calcul de la retraite...) compense la réforme et permette de partir toujours à 55 ou 50 ans avec le même montant de retraite ( un taux moindre mais sur un plus gros montant), ne pas oublier l’indexation sur les prix , on peut perdre gros, ainsi qu’avec la réévaluation de la durée de cotisation par rapport à l’espérance de vie (ce qui existe déjà dans le régime général).

Sarkozy s’en est pris aux cheminots car il savait que c’était là qu’était le noyau dur de la résistance. On peut donc considérer le mouvement de grève comme une première riposte, comme un enclenchement d’une résistance pour les futures réformes qui de toute façon vont venir et qui vont toucher tout le monde.

9- La question de la convergence des luttes a été absente alors que l’on va se faire tondre sur tous les fronts : franchise médicale, retraites en 2008, baisse du pouvoir d’achat, etc. Diviser pour mieux régner est la stratégie du gouvernement et du MEDEF pour atteindre ses objectifs ultra-libéraux. Pensez-vous que les directions syndicales manquent de stratégie offensive, de discours unificateur face au diktats libéraux des dominants ?

L’unification des luttes ne se fera jamais à partir des directions syndicales ; c’est toujours à partir de la base, des travailleurs qui se mettent en lutte que peut venir une convergence des luttes comme l’ont démontré les mouvements dans l’histoire (36, 68, 95).


A la RATP

Des sifflets. Puis des huées. Dans le hall du siège de la RATP, hier en fin de matinée, le responsable de la CGT redescendu de la négociation tripartite, a du mal à terminer son compterendu. "Trahison !", "Vendu !", lance une grande partie de l’assemblée, pourtant composée en majorité de cégétistes. L’ambiance est électrique. De petits groupes se forment, s’engueulent. Assis à l’écart, Jean-Pierre a "envie de vomir". Ce conducteur de bus de 58 ans ne veut rien céder. "Mouton noir" de la CFDT "viré par Notat dans les années 90", il a atterrit à la CGT après un court passage chez Sud. Mardi, à la manif des fonctionnaires, il reconnaît avoir participé à la bronca contre Chérèque, le patron de la CFDT. Radical, oui, mais à l’image d’un mouvement qui se veut solidaire des autres catégories de salariés. Car à deux mois de la retraite, c’est "pour les autres" que Jean-Paul dit vouloir se battre. "Accepter les 40 ans, c’est faire basculer ensuite tout le monde à 42, puis à 45 ans. Ma femme est dans le privé, je n’ai pas envie qu’elle bosse jusqu’à 70 ans".


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