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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°9 - Mai 2002 > « Medef : Un projet de société »

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« Medef : Un projet de société »


image 85 x 134A l’heure d’écrire ces lignes, de nombreux signes laissent à penser que Chirac va poursuivre sa course élyséenne et qu’en cas de gouvernement à majorité de droite, les idées du MEDEF seront encore plus mises sur le tapis. Revenir sur ces dernières nous permettra de mieux en saisir la philosophie et de se dire qu’il serait temps d’y opposer à l’heure de la remise en cause des conquêtes sociales sur les retraites d’y opposer un projet global avec les associations qui refusent les diktats libéraux. Interview de Thierry Renard, coauteur avec Voltairine de Cleyre, de « Le Medef, un projet de société », paru aux éditions Syllepse.


D’où vous est venue l’idée, voire la nécessité d’écrire ce livre ?
La plupart des commentateurs, des journalistes et des militants regardent l’évolution du patronat sous l’angle de chacune de ses attaques. A chaque fois que le patronat avance une nouvelle revendication, il y a des réactions, des organisations prennent position mais il n’y avait pas, à notre connaissance, un vrai travail de réflexion sur les ressorts idéologiques qui motivent le patronat. Surtout ce qui nous a intéressé, c’est de mettre en évidence la mutation de l’ancien CNPF (Conseil National du Patronat Français) en Medef à l’automne 98. Il s’agissait de saisir ce qu’il y avait de nouveau dans leur conception idéologique, ce qui permettait aujourd’hui au patronat d’être à l’initiative de l’offensive.

C’est vrai que, comme vous l’expliquiez dans le livre, le passage du CNPF au Medef n’est pas un simple changement de nom. Il reflète des évolutions, des mutations de la vision du patronat. Quelles sont les prétentions du Medef par rapport à cette réflexion ?
Il faut d’abord revenir un peu sur cette transformation du CNPF en Medef, à l’automne 98, lors des assises tenues à Strasbourg. Ce n’est pas qu’un changement de sigle ou un ravalement de façade. Il s’agit bien d’une modification en profondeur. Le déclic de cette transformation émerge lorsque la direction du CNPF est désavouée par la "base" des patrons sur la question des 35 heures et les rapports à entretenir sur cette question avec le gouvernement. C’est une sorte de putsch d’un clan principalement incarné par Ernest-Antoine Seillière et Denis Kessler. Le nom lui-même n’est pas anodin, le mouvement des entrepreneurs de France : le "patron" devient entrepreneur... Cela atteste d’une volonté politique d’être considéré en tant que partenaires, comme un groupe de pression fort dans la société française.
Je crois également que cela reflète l’évolution même du capitalisme : l’irruption de la domination du capitalisme financier, qu’on pourrait dater des années 80-83. Ces dirigeants patronaux représentent cette tendance au sein du capitalisme. C’est-à-dire que, jusqu’à une certaine époque, le capitalisme fonctionnait avec une sorte de déconnexion entre les propriétaires et la technostructure qui faisait fonctionner les entreprises. Là ce sont les actionnaires qui prennent vraiment le pouvoir. Le putsch organisé par cette petite fraction du patronat représente cette tendance au sein du capitalisme français. Cette fraction veut s’imposer politiquement, et c’est un élément totalement nouveau. Je ne veux pas dire que les patrons ne faisaient pas de politique avant, ce qui change c’est qu’ils veulent faire de la politique directement. Auparavant, les patrons arrosaient largement toutes les forces traditionnelles parlementaires, à l’exception du parti communiste. Maintenant, ils décident de se passer de cette médiation pour exercer directement leur propre influence dans la société. C’est ce qui est totalement nouveau.

La gauche française, n’a plus vraiment de projet de société. Au contraire le Medef semble disposer d’une conception globale de la société. Sur quelles bases repose-t-elle ?
Il est juste de souligner ce désarmement idéologique, ce vide conceptuel à gauche et à l’extrême-gauche. Il faut aussi pointer l’incapacité, sinon le refus obstiné de tout le monde, dans tous les courants, d’avoir une discussion sur la société à construire. C’est paradoxal, parce qu’on pourrait dire d’une certaine manière que les patrons appliquent la conception du syndicalisme révolutionnaire qui consiste à affirmer qu’il n’y a pas de coupure nette entre l’économique et le politique, à la différence de la sociale-démocratie qui pose une coupure claire entre ces deux termes. Ils appliquent en quelque sorte, en la retournant, la conception même du syndicalisme révolutionnaire. Si les patrons passent à l’offensive, c’est qu’en face il y a un marasme de la réflexion politique. Même dans certains milieux, annoncer qu’on est pour une transformation radicale de la société, c’est presque vécu comme une conception totalitaire. C’est dans ce contexte que le patronat se dote d’outils théoriques. C’est aussi parce qu’ils savent qu’il n’y a pas d’actions sans outils théoriques forts et qu’il faut un guide à leur action. En fait, ils n’inventent pas grand chose d’eux-mêmes, ils s’appuient sur beaucoup de travaux de gauche et libertaires pour les détourner. Ils savent s’inspirer, détourner des idées et les mettre en scène. Je voudrais insister sur leur capacité à se mettre en scène, de ce point de vue, ils sont très proches des gauchistes, sauf qu’en plus ils ont les moyens et les relais médiatiques.

On a un peu parlé du Baron Seillière, la figure emblématique. Mais, derrière lui il y a des penseurs dont un assez connu : Denis Kessler. Il y en a aussi François Ewald, pourrais-tu nous en dire un peu plus sur eux ?
Le Baron Ernest-Antoire Seillière de la Borde, ne vient pas de la gauche, il vient du gaullisme. Il a été dans les cabinets ministériels, c’est un énarque, il a été un très haut fonctionnaire. S’agissant de Denis Kessler, et de François Ewald, ils sont issus de la gauche, et même pour François Ewald, de l’extrême gauche maoïste. François Ewald était le secrétaire de Michel Foucault, et d’ailleurs, quand vous consultez les livres concernant les cours de Michel Foucault au Collège de France, le nom de François Ewald apparaît... Ce n’est pas anodin, et je vais donner un exemple sur Foucault et les pouvoirs. On sait que Foucault a beaucoup réfléchi sur les questions du pouvoir. Il a élaboré cette théorie du bio-pouvoir et il a aussi réfléchi sur une conception historique du pouvoir. Il considérait que la question de la souveraineté et du contrat entre les citoyens et les politiques relevait de la pure invention. Il a démontré qu’en réalité il y avait falsification de cette question : il n’y avait jamais eu de contrat passé entre la population et les représentants. En réalité nous serions en permanence en guerre et, de ce fait, il retourne totalement l’aphorisme de Clausewitz qui dit que la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens. En retournant cet aphorisme Foucault montre de façon spectaculaire quelles sont les natures de pouvoir. Comment les pouvoirs se reproduisent, circulent, etc. Cette conception de Foucault sur le caractère bidon du rapport entre les citoyens et le pouvoir est totalement présente dans la réflexion de François Ewald. Pour être très concret, il affirme dans les colonnes des Echos qu’aujourd’hui les politiques ne précèdent plus l’opinion, ils ne font que suivre les sondages et n’ont plus aucune idée. Pour finir, il avance qu’il n’y a plus aucun enjeu, et dès lors qu’il n’y a jamais eu de contrat, que tout ça n’a aucun sens. Il relativise totalement la question politique, elle devient secondaire. Pour lui, les partis politiques, les politiques, ne sont là que pour occuper le pouvoir. Cela devient une sorte de jeu de conquête du pouvoir, sans enjeu pour la société car, tout le monde est d’accord, il n’y a pas de différence idéologique. A partir de cela, il bâtit sa construction sur l’entreprise en tant que lieu pertinent d’organisation de la société. On assiste à une sorte d’emprunt à la pensée de Foucault sur le pouvoir, pour y trouver une légitimité politique au patronat. Ce cheminement particulier a été emprunté par un certain nombre de penseurs du patronat.

Quelle vision pose le patronat sur les rapports salariés/patrons, salariés/entreprise ?
Pour eux, il est clair qu’il n’y a plus de luttes de classe. Les patrons considèrent aujourd’hui que la seule difficulté à laquelle ils ont à faire face, c’est la morale parce qu’ils considèrent que sur plan de l’idéologie, c’est déjà gagné. Ils n’ont plus d’adversaires, et il reste la morale. Sur cette question, ils sont totalement battus. Pour eux, il est important de démontrer que le capitalisme est moral. Il est difficile de démontrer que le capitalisme est moral quand la mondialisation sert au blanchiment du travail de 120 millions d’enfants. C’est là leur grand travail, expliquer que la capitalisme a une éthique. Tout est fondé sur l’idée du risque. On a dit qu’il y avait des risquophobes, des risquophiles et donc tout est fondé sur cette espèce de théorie où évidemment le risque n’est pas celui subi par le licencié... Le risque, c’est celui de l’entrepreneur. Tout ça est ancré par l’idée que nous serions tous des entrepreneurs, même les salariés. En quelque sorte, le salarié quand il rentre dans l’entreprise, il externalise son risque sur l’entreprise. Avec le système actuel qui reste le salariat, on rentre dans l’entreprise, on vend sa force de travail, on produit un certain travail, on s’en va. Pour le patron ce n’est pas bon. Il faut donc que le salarié se considère comme entrepreneur. Un débat comme ça peut paraître tout à fait abstrait, mais en y regardant de prêt, comment aujourd’hui est constitué la rémunération d’un salarié, on s’aperçoit que la partie du salaire direct a tendance à se réduire au profit d’un certain nombre d’autres considérations liées à l’intéressement, à l’actionnariat... Toute une série de mesures qui n’ont rien à voir avec le salaire direct et qui ont pour but, y compris idéologiquement, de démontrer que le salarié est lui aussi une sorte d’entrepreneur, et qu’il a les mêmes intérêts que les autres. Evidemment cette démocratie des actionnaires est une pure fantaisie puisque entre celui qui possèdera entre 15 et 20 000 actions et celui qui en aura 5 ou 6, ce n’est pas du tout le même type de rapport. Concernant le risque, on n’est pas dans un débat théorique éthéré, on est immédiatement dans des choses concrètes et sur une conception totalement individualisée des choses où l’individu existe comme propriétaire, comme actionnaire. Il n’existe pas socialement et il est toujours responsable de ce qu’il fait, cela signifie qu’il n’y a plus de protection sociale. Le chômeur est responsable de sa situation, c’est de sa faute si il est chômeur. C’est de sa faute s’il est malade, quant aux accidents de travail, c’est parce que le salarié n’a pas respecté les consignes. Il y a donc un renversement total des valeurs...

Depuis quelques temps le Medef mène le projet de refondation sociale, qui s’attaque aux piliers sociaux mis en place en France depuis 50 ans. Peux-tu nous dire ce qu’il en retourne de ce projet et ce à quoi il s’attaque ?
Déjà employer le terme c’est terrible... Parler de refondation sociale, c’est en quelque sorte montrer qu’ils ont déjà un avantage parce que nous reprenons leur propre langage. La refondation sociale, ça se décline à travers des dossiers très concrets. On compte huit thèmes au départ : la convention assurance chômage, qui a donné lieu au PARE, la question des retraites complémentaires, la santé au travail, les voies et moyens de négociation collective, la formation professionnelle, la protection sociale (l’assurance maladie, etc), la place des cadres, l’égalité professionnelle homme-femme. Aujourd’hui sur les huit, quatre thèmes ont vraiment été abordés. Le premier, c’est la convention assurance chômage qui a donné lieu à sept mois de feuilleton à rebondissement pour qu’un soir Ernest appelle son ancien camarade de l’ENA et du ministère des affaires étrangères, Jospin, et que ce dernier dise que finalement on va agréer la convention signée entre certaines organisations syndicales confédérées et le patronat. Donc cette convention a mis en place le PARE, tout le monde sait à peu près de quoi il retourne. Cela représente beaucoup d’économie pour les patrons, 30 milliards d’économie de cotisations. Cela ne veut pas dire que l’ancien système était mirifique pour les chômeurs mais on assiste à une aggravation considérable de leur situation. De plus en plus il est considéré comme responsable de sa propre situation. Certes au bout de ces sept mois, le patronat a sans doute lâché quelques concessions parce qu’il avait mis la barre très haut sur le régime des sanctions. Pourtant, le fond même de sa logique, qui est de rendre le chômeur responsable de sa situation, est passé. Il y a eu une absence de visibilité des réactions syndicales, de volonté politique de répondre à cette question. Dorénavant, c’est très clair, c’est le travail et n’importe quel travail, c’est-à-dire en finir avec une société d’assurance/assistance, de "rentiers" disent le leaders du Medef. Le travail constitue la valeur fondamentale et il faut mettre les gens au travail ! Dès lors qu’on considère l’entreprise en tant que lieu pertinent d’organisation de la société, il faut que les gens soient dans l’entreprise pour que les patrons puissent exercer leur pouvoir. Je ne dis pas que tous les libéraux pensent de cette manière, il y a encore des libéraux qui préfèrent l’assistance et l’assistanat... Mais là il y a une cohérence, dans leur conception de l’entreprise en tant que cellule de base de la société. Ce rapport au travail est en parfaite adéquation avec des positions syndicales comme celle de la CFDT qui est : mieux vaut n’importe quel travail, que pas de travail du tout. Il s’agit d’une logique où le travail est finalement "désidéologisé", la notion de classe disparaît, il n’y a plus que le travail en général. On voit que le patronat a marqué des points, il n’a pas obtenu la totalité de ses demandes, mais idéologiquement il a avancé.
Si on prend le deuxième point, concernant les retraites complémentaires, l’ensemble des forces sociales se mobilisent, des dizaines de milliers de gens descendent dans la rue. Le patronat est obligé de reculer. On sait maintenant que cette question des retraites sera le premier dossier social déterminant quelque soit la majorité qui sera issue des élections. Concernant la médecine du travail, le troisième thème, il y a eu un accord, mais le patronat a réussi, là encore, à développer sa conception d’une médecine libérale. Au lieu de bénéficier d’une médecine au travail comme c’était le cas, on peut maintenant faire appel aux médecins libéraux. On assiste a une destruction des règles en vigueur. Une nouvelle fois, on a un texte signé par certaines organisations syndicales...
Pour reprendre le quatrième thème concernant les voies et moyens de négociations collectives, on a aboutit à quelque chose qui n’est pas franchement un accord. Personne ne s’y retrouve, l’encre n’est pas encore sèche, et chaque partenaire a fait une interprétation différente. C’est un des traits de ces négociations : à peine le texte signé, personne n’est d’accord sur le contenu. Par exemple, pour revenir sur le premier thème, le Medef nous dit : le PARE est obligatoire et la CFDT affirme le contraire. Sur les voies et moyens de négociation collectives, sur la signature des accords, FO donne son interprétation, le Medef une autre, la CFDT une différente. Personne n’arrive à se mettre d’accord. Mais à chaque fois le Medef a fait progresser ses conceptions. Pour finir sur deux points : la formation professionnelle a été un échec, il n’y a pas eu d’accord. Pourtant, le Medef a réussi à faire discuter les "partenaires sociaux" sur ses positions. A savoir que le salarié doit participer lui-même : le co-investissement dans la formation professionnelle... Toujours concernant la formation professionnelle, il y a ce glissement de langage, le passage de la notion de qualification, à celle de compétence. En clair, l’adaptabilité totale aux besoins des employeurs. A chaque fois, qu’il y ait accord ou pas, le patronat fait progresser ses idées, ses pions. Pourtant, les cinq confédérations, avaient fait une déclaration très forte avant que les négociations ne débutent. Elles avaient dit, face à cette refondation sociale, qu’on allait voir ce que l’on allait voir. Il y a un thème qu’elles disaient pouvoir imposer : la précarité. Il n’y a jamais eu de négociations sur la précarité... (...)

Avec ces cinq grandes organisations, trois organisations patronales participent au paritarisme. En quoi consiste ce paritarisme ? Où et de quoi parlent ces gens, pour négocier quoi ?
Le paritarisme, on y a eu droit durant la tragi-comédie de la négociation sur la convention assurance chômage. Presque tous les soirs au 20 heures, on nous annonçait une catastrophe : le Medef menaçait de quitter le paritarisme. Il s’agit d’un système où le législateur délègue un quasi pouvoir réglementaire à des partenaires sociaux dans des organismes composés à égalité des patrons, et organisations syndicales. C’est notamment le cas de la gestion de la protection sociale, il y a des caisses, des assurances, etc. qui sont gérées par les partenaires sociaux. La paritarisme est une création relativement récente, postérieure à la guerre. Pour la protection sociale, les patrons y étaient en minorité au début. C’est un choix politique d’avoir mis tout le monde à égalité, et de mettre à égalité les patrons et les organisations syndicales, cela permet aux patrons de choisir qui fait la majorité. Il suffit aux patrons de s’allier avec une organisation pour pouvoir truster la plupart des postes. Cela a été le cas d’une alliance de fait entre le patronat et Force Ouvrière, il y a aujourd’hui une alliance beaucoup plus importante entre le patronat et la CFDT. Le paritarisme est aussi un système très juteux : les organisations qui y participent reçoivent des fonds considérables leur permettant de combler pour une large part leurs déficits. Grosso modo 180 millions de francs sont alloués pour chaque camp.

Le 15 mai 2001 Seillière saluait la victoire de Berlusconi en ces termes : "Un incontestable esprit de réforme souffle sur l’Europe"...
La patrons français peuvent se réjouir qu’un des leurs, même si il est particulièrement mafieux, soit à la tête de l’Italie. Il y a aussi Vicente Fox au Mexique qui est issu de Coca-Cola. Il y a eu en France, lors des dernières élections, des candidats pratiquement étiquettés Medef sur des listes de droite. Il y a une forte porosité entre les hommes politiques et les patrons, et les patrons sont très contents de voir Berlusconi au pouvoir. Ils sont également très heureux de voir ce que fait Aznar en Espagne. Pourtant celui-ci ne procède pas comme eux voudraient que cela se passe en France. Aznar procède par la loi. Or ces gens là disent que ce n’est pas la loi qui est déterminante. Cela prouve qu’il n’y a pas une grande cohérence politique ou théorique qu’il faudrait chercher systématiquement dans les positions du Medef. Ils sont des pures opportunistes qui savent reconnaître ce qui est susceptible d’accroître leurs intérêts.

Au niveau européen, vous soulignez, la vision de certains pays sur, ce que vous appelez, le "mythe de la singularité française"...
En France, les patrons veulent faire croire qu’ils seraient des victimes. Il y a une martyrologie. Les patrons seraient maltraités, il serait mal vu d’être proche du patronat, etc. En réalité, les positions que développent actuellement le Medef ont une certaines porosité avec les milieux politiques, ce sont des idées qui se développent dans toute l’Europe. Il n’y a pas de singularité particulière en France. D’ailleurs le Medef fait progresser ses thèses au niveau européen, développe considérablement sa conception de la refondation sociale, et il a des appuis très puissants au sein de la commission.

Quelle est la position du gouvernement par rapport au Medef, alors que ce dernier aimerait par moment se substituer à lui ?
Le Medef sur le terrain politique, est le seul aujourd’hui qui ose se poser la question du type de société qu’il faut construire. A partir de là, ils ont une certaine supériorité vis-à-vis d’une classe politique institutionnelle qui se contente de gérer le système. Finalement, ils réussissent à influencer, à la fois la droite (voir le discours de la droite sur les 35 heures), et la gauche, avec des éditorialistes du Monde ou Dominique Strauss Khan et Fabius qui défendent les fonds de pension et remettent en cause les retraites. Il y a indiscutablement une porosité très forte des idées du Medef sur une partie de la sociale-démocratie et sur les sociaux-libéraux. Cela va jusqu’aux journaux, aux magazines qui parlent de risques, des risquophiles, des risquophobes, du poids de l’entreprise, de la pression fiscale. On ne discute jamais du fond, de quel type de société on veut construire. Je crois qu’il y a une leçon extrêmement forte à tirer de cette histoire du patronat s’immisçant dans la vie politique. Ce n’est pas une fatalité, on n’est pas face à un bloc hégémonique superfluide que l’on ne pourrait pas combattre. Il gagnent par forfait, parce que en face il n’y a pas de luttes sociales à la hauteur, il n’y a pas non plus de réponse sur le plan politique. Ils donnent là l’occasion de se dire qu’il faut faire plus de politique : il faut que les syndicats fassent plus de politique, que les mouvements sociaux fassent plus de politique. On a ce signe d’espoir qui apparaît un peu, comme à Millau où on pouvait lire en grande lettres sur la colline : "Un autre monde est possible". Il faut travailler cette question là, et rien que l’idée d’un "autre" monde est totalement insupportable pour les patrons, parce que le monde actuel est présenté comme indépassable. L’idée même qu’on pourrait discuter de cette question commence à les faire trembler... Je crois que c’est vital pour nous de refonder pour tous en reprenant les mouvement sociaux tels qu’ils existent, les pratiques sociales très diverses, des tactiques multiples... Je crois que c’est tout à fait l’enjeu, et les patrons en quelque sorte nous lancent un défi. Jusqu’à mainteant, nous avons été dans le domaine de la résistance, à chaque fois on encaisse. Maintenant il s’agit de passer à l’étape supérieure, qui est le passage de la résistance à l’alternative. Je crois que pour être très concrets, il n’est pas question d’avoir un système bouclé. Pour agir évidemment, on est mieux armés si on a quelques idées sur le type de société que l’on veut construire. Par exemple, il n’y aurait jamais eu la lutte de Lip, si il n’y avait pas eu en 73, des militants syndicaux qui discutaient en réunion de réflexion de ce que pouvait être une autre société, ce qu’ils appelaient à l’époque le socialisme autogestionnaire.


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