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Permanence des ressources

LA PRODUCTION SOCIALE AU-DELA DE L’EMPLOI


L’un des principaux axes de la permanence des ressources, tout comme du revenu garanti, c’est la déconnexion entre les ressources et l’emploi. C’est à dire que tout le monde doit avoir de quoi vivre correctement, sur tous les plans, avec ou sans emploi salarié. Et que ce droit est inaliénable, non soumis à l’arbitraire d’un Etat, ce qui suppose d’autres organisations sociales pour remplacer ce même Etat. C’est donc une rupture, vers une autre forme de civilisation, dont il est assez difficile de mesurer la portée. Des formes de recherches, de créations auraient le temps de se dérouler sans la pression de l’argent à recueillir absolument, dans les plus brefs délais, pour assurer la manutention du quotidien...


L’offensive néo-conservatrice ainsi qu’une vision libérale qui se veut réaliste est portée par la droite, mais a aussi contaminé une bonne partie des gauches européennes, incapables de se projeter dans autre chose que l’existant. Il faut travailler plus pour faire face à la mondialisation et baisser le coût du travail. Le corps social pourrit par le pied et en Europe ce sont les chômeurs qui font les frais de ces politiques du workfare state (Etat du travail obligatoire, qui remplace le welfare state, Etat providence). Ainsi, le RMA et bientôt le RSA en France (sans compter le CNE) visent à précariser les contrats de travail et à baisser le coût de la main d’oeuvre dans les emplois « peu qualifiés ». L’Allemagne est en pointe de ce combat libéral avec le plan Hartz IV, votés par les « sociaux » démocrates de Schröder et dont un volet - appliqué actuellement - force les chômeurs récalcitrants à travailler pour... un euro par heure ! La droite fantasme, la gauche applique... L’idéologie travailliste va plus loin et condamne tout ce qui peut être assimilé à une forme de paresse ou d’égoïsme. La valeur travail est devenue centrale : ceux qui sont méritants sont ceux qui travaillent « beaucoup ». La question reste : travailler pour quoi, pour qui, et comment ?

Et tout ceci relève, en grande partie, d’une escroquerie intellectuelle. N’est comptabilisé comme travail que ce qui relève de la sphère salariale ou du monde de l’entreprise. Ce qui fait que quelqu’un qui donne des cours, dans une association qui lutte contre l’analphabétisme par exemple, ne travaillerait pas, alors qu’un professeur, si. Bien plus éloquent, un flic municipal qui fait sa ronde en baillant travaille, alors qu’un parent qui s’occupe de ses gosses, non. Réconforter son voisin déprimé n’est pas du travail mais fabriquer de nouveaux types de tranquillisants, oui. Estce bien raisonnable ?

Ouvrir les yeux sur les productions sociales

La sphère du travail, et plus largement de l’activité, dépasse largement le salariat. Les exemples abondent, encore faut-il vouloir les percevoir. Commençons par le bénévolat associatif classique. J’ouvre la radio et j’apprends que sans le travail de 3000 bénévoles le mondial de rugby ne pourrait pas se tenir. Sans les pompiers volontaires, les salariés ne pourraient pas faire face aux incendies. Sans le travail d’associatifs, la vie culturelle serait mise à mal et le tourisme chancelant, etc. Autre exemple : les mouvements sociaux et écologiques qui produisent énormément, sans que l’immense majorité des personnes ne soit rémunérée. Production de liens, de solidarités, de revues... sont évidents. Mais nos mouvements sont également producteurs de droits lorsqu’une revendication aboutit d’une manière ou d’une autre, les mouvements écologistes produisent du sens et de nouvelles manières de vivre ensemble, etc.

Des ressources inconditionnelles

Ce qui tranche, c’est la capacité qu’ont les entreprises capitalistes à « marchandiser » le travail, à le transformer en valeur et à rétribuer, à un coût bien inférieur, la personne. Bien entendu, réconforter autrui n’a pas à être considéré comme un travail - Gorz met lui-même en garde contre ce type de raisonnement utilitariste dans Métamorphose du travail, lorsqu’il critique le revenu parental et l’idée qu’il faudrait être payé pour s’occuper des enfants, avec tout ce que cela suppose comme perversion d’un lien qui n’a pas à être mesuré en terme d’heures d’investissement.

Mais c’est justement-là où l’inconditionnalité des ressources refait surface. Si la personne reçoit un pack de droit sociaux et de biens chaque mois, sans contrepartie, cela veut dire que les gestes ne sont plus mesurés selon une valeur arbitraire ou liée à un bénéfice marchand pour les capitalistes (car un travail salarié dans le privé sert à enrichir les patrons et les investisseurs : le reste, c’est une fiction pour compenser !). C’est ce que Gorz et d’autres appellent le salaire socialisé, ou le revenu garanti sans contrepartie (inconditionnel).

Mais... Et les « fainéants », nous rétorque-t-on souvent... Précisons qu’on se moque qu’il y ait des « fainéants » ou pas, surtout quand les « fainéants » en question ne participent pas à la production capitaliste : on trouve même ça plutôt salutaire... Néanmoins, partons de cette lecture travailliste, qui n’est pas la nôtre. Notre réponse, c’est de dire qu’il n’y a que peu de personnes réellement « fainéantes ». Connaissez-vous, dans votre vie, des personnes qui ne font absolument rien sur un laps de temps annuel, par exemple ? Nous, on en connaît très peu, et il y a des raisons à cela (alcoolisme, handicap lourd). Il ne faut pas oublier qu’il y a un désir cosubstanciel à l’être humain, celui de reconnaissance sociale. Une personne a besoin, pour son équilibre mental, d’être reconnue pour un apport particulier à la société. Ne pas être reconnu comme utile à qui que ce soit est la pire des punitions, c’est sans doute pour cela que la prison n’est apparu que tardivement et que bon nombre de société ou de collectivités se sont pendant très longtemps contentées de l’ostracisme (Grèce antique) ou du bannissement (la plupart des cultures, Celtes, Indiens...)

Redéfinition d’un champ des savoirs et des pratiques sociales

Revenons à la question de la production, du lien social. Nous parlions d’activités associatives ou liées au foyer. S’arrêtent-elles là ? Où commence, où s’arrête l’idée même de production ? Cela peut être un travail, c’est à dire un effort de transformation d’une matière au sens large (construire un meuble, faire de la musique...). Mais le champ peut être beaucoup plus large, et peut regrouper tout type d’interaction sociale (dans le sens de « produire des effets »).

Ainsi, on pourrait dire qu’un enfant, en dehors de l’école, ne travaille pas. Mais le jeu n’est-il pas une forme d’activité et de production ? Ne produit-il pas des rires, des larmes, des cris ou des joies ? Prenez un grand ensemble pavillonnaire et retirez les enfants, de quoi vont parler les parents, qu’est-ce qui assurera le lien entre les foyers, sans les enfants ?

Allons plus loin encore. Prenez l’idiot du village. Toutes les communautés rurales, de part le monde, ont entretenu ou entretiennent encore leur « idiot du village », ce ou ces personnes « improductives » (en fait, elles travaillaient souvent un peu : garde des troupeaux...). Pourquoi ? Sans doute par pur altruisme, le soi-disant « idiot » étant en fait souvent une personne fragile, handicapée ou impotente, en tout cas « différente ». Elle est protégée comme les ruraux aimeraient l’être en cas de pépin, c’est une forme de permanence des ressources. Mais peut être aussi parce que ses bizarreries rajoutent de la fantaisie à une vie trop réglée ? Comme, dans une entreprise, une personne plus faible ou sensible que les autres focalisent l’attention (mais bien souvent elle est mise en pièce, pour mieux se faire mousser).

En un mot comme en cent, on n’a pas besoin d’une société exclusivement fonctionnelle. Retirer toutes les personnes considérées comme inactives, et la vie va paraître parfois bien fade, ou trop bien rôdée. Ainsi, le champ des pratiques sociales peut être redéfinie selon de nouveaux critères, et c’est exactement l’un des débats en cours chez les « décroissants  » qui proposent de remplacer le produit intérieur brut par un indice de bien-être. Parmi ces critères :

- le maintien de la vie, avec une idée de qualité : nourriture, logement, énergie ;

- les services sociaux : éducation, soutien, organisation associative ;

- la création artistique et artisanale ;

- la recherche scientifique, technique, sociale ;

- les jeux et les sports ;

- la fantaisie, l’humour et l’imagination ;

- l’amitié, l’amour, la sexualité ou plus largement l’érotisme.

Je pense que la majorité des personnes que vous connaissez apportent une production dans ces domaines là, ou le cas échéant seraient prêtes à les développer ! On est bien loin des centaines d’heures passées dans un boulot de merde pour vendre des balais à chiottes (pipi caca, j’irais me faire psychanalyser quand Sarko ira !). Et vous, que savez-vous faire ou que pourriez- vous faire ? Si vous creusez cette question, audelà de l’emploi, je suis sûr que vous trouveriez des trésors en vous et chez vos proches... L’enjeu pour les mouvements sociaux : redessiner l’activité et la production autour de la liste citée plus haut, afin de proposer une vie sociale possible plus riche et plus passionnante que celle de la société actuelle.

Captation de la plus-value de la production sociale par le capitalisme cognitif ?

Dans Empire de Negri et Hardt (collec 10/18) et le récent Capitalisme cognitif de Moulier-Boutang (éd. Amsterdam) les auteurs mettent en avant le concept de production immatérielle dont la valeur est capturée par le capitalisme cognitif, l’économie de la connaissance. C’est-à-dire que toute forme de recherche et de production sociale est susceptible de se voir récupérer par le capitalisme. L’organisation du travail évoluerait vers la coopération et les réseaux... comme celle du nouveau mouvement social et/ou Internet. Citons par exemple la coopération des testeurs et des communautés de joueurs, dans les jeux on line qui sont améliorés ou conçus grâce à cet apport. Ou encore la production de fiction au sens large, la recherche universitaire, etc.

L’un des signes avant-coureur est l’apparition des chèques emploi services qui rémunèrent les services rendus à la personne, et qui organisent, peu à peu, tout un nouveau secteur d’emploi.

La limite de ce type de raisonnement réside dans l’emportement des auteurs qui glissent dans la métonymie, c’est-à-dire qu’ils prennent une partie de la production pour le tout, une tendance précise pour un devenir général. Or les centres d’appel ne participent pas d’un capitalisme cognitif : il n’y a ni création ni coopération et si les gens parlent c’est pour vendre un maximum de produits en un temps record : on est plus proche du travail à la chaîne. Idem chez les publicitaires et les journalistes, les sociétés de com’... Il y a bien un capitalisme cognitif mais il est à mon avis circonscrit à des activités précises de création ou de recherche.

Néanmoins, le mouvement des intermittents a montré la disparité de la répartition des richesses. Toute la présentation de leur travail (d’un décor de film à un spectacle) résulte de répétitions et de savoir-faire accumulés, d’heures de créations qui ne peuvent être décomptées en temps. D’où un revenu déconnecté de la représentation elle-même, qui n’est que l’aboutissement d’un travail.


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