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Juin-Juillet-Août 2002
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Solidarité avec le peuple palestinien

Colonisation de la Cisjordanie


Faute de pouvoir évacuer par la force la population palestinienne, la stratégie israélienne consiste à disperser des colonies de peuplement sur les territoires convoités, qui constituent autant d’abcès de fixation.


L’existence de chacune des colonies est un enjeu vital et l’évacuation d’une seule d’entre elles constituerait une menace pour l’ensemble du projet. Au lendemain de la guerre de 1967, le gouvernement de Levy Eshcol n’avait pas de politique claire en matière d’implantations de colonies de peuplement dans les territoires occupés. Cependant, le courant principal du parti travailliste insistait sur le caractère juif de l’Etat et s’opposait à l’intégration des Palestiniens, considérant que la seule option qui restait à ces derniers était de s’intégrer dans l’Etat jordanien.
Le premier fait accompli fut l’annexion de la partie Est de Jérusalem et la région de Latroun. Cette annexion avait nécessité la destruction de trois villages palestiniens proches de la ligne de cessez-le-feu entre Israël et la Jordanie. Une colonie a été créée, Kfar Etzion, entre Jérusalem et Hébron, près de la ligne verte. Peu après est créée à Hébron la colonie de Kiryat Arba, à l’initiative du rabbin intégriste Levinger. L’initiative est soutenue à la fois par les partis religieux nationalistes et par des responsables du parti travailliste.
Pendant toute la période où les travaillistes furent au pouvoir, la politique d’implantation israélienne dans les territoires occupés fut définie par le plan Allon, qui fournit en la matière un cadre de référence clair. Sans entrer dans le détail du plan, celui-ci prévoyait une concentration de colonies le long de la frontière jordanienne dans la vallée du Jourdain et la création d’une enclave arabe – dans une région à forte concentration de population palestinienne – reliée à la Jordanie par un corridor, l’enclave arabe étant elle-même bordée par un réseau de colonies juives.

La judaïsation de Jérusalem était également un enjeu capital, auquel le parti travailliste s’est consacré avec attention. L’annexion de la partie arabe de la ville elle-même n’était qu’un élément d’un plan d’ensemble beaucoup plus grand. Onze quartiers et faubourgs résidentiels juifs ont été construits dans la ville et autour d’elle entre 1967 et 1973, et 19 entre 1973 et 1977. Des sommes considérables ont été consacrées à la construction de routes, à l’extension des réseaux électriques et hydrauliques.

Lorsque le Likoud arrive au pouvoir en 1977, il ne fait qu’hériter d’une machine parfaitement huilée qu’il va perfectionner. Il va accroître les confiscations de terres et accentuer la colonisation. Le plan Sharon succède au plan Allon.
Ariel Sharon, le responsable du comité interministériel chargé des colonies de peuplement, a adopté un projet de « double colonne vertébrale » mis au point par un certain professeur Abraham Fokhman. Ce projet, adopté en 1978, sera appelé plan Sharon. Il s’agit : – d’établir, dans un délai de vingt ans, deux lignes de colonies de peuplement s’étendant, l’une le long de la plaine littorale, l’autre des hauteurs du Golan au Nord jusqu’à Charm el-Cheikh au Sud ; – de constituer six grands centres urbains au cœur même de la Cisjordanie ; – d’encercler la population palestinienne par des colonies civiles et militaires en isolant les secteurs urbains palestiniens tels que Naplouse, Ramallah, Bethléem, Jéricho et Hébron ; – d’accroître la segmentation des centres à forte population palestinienne en créant trois routes Est-Ouest reliant les colonies juives entre elles et avec Israël (routes évidemment interdites aux Palestiniens).

Un mois après la signature des accords de camp David entre Israël et l’Egypte, un plan directeur pour le développement de la colonisation en Cisjordanie 1979-1983, dit projet Drobless, prévoit l’établissement de près de 70 colonies de peuplement en cinq ans, l’augmentation de la population des colonies à 120-150 000 habitants, l’abandon des colonies existantes dans le Sinaï égyptien. Cette politique de colonisation devait être réalisée méthodiquement et prévoyait : – la création de vingt-deux blocs denses réunis entre eux et formant de grands centres urbains ; – la création d’une bande continue de colonies autour de la chaîne de montagnes de Cisjordanie afin d’encercler les zones peuplées par la « minorité » palestinienne ; – la création de colonies juives au sein même des zones habitées par les Palestiniens.

L’idée générale est que chaque implantation de colons juifs nécessite une zone de sécurité beaucoup plus large et que plus il y a d’implantations, moins il restera de surface pour les Palestiniens. L’exemple le plus caractéristique de cette politique de provocation est Hébron, où 450 fanatiques juifs au milieu d’une ville de 120 000 Palestiniens occupent, avec la zone de sécurité, pratiquement 20 % de la surface de la ville. On peut citer aussi les colonies d’Ariel et de Maaleh Adumim qui sont implantées au cœur de zones arabes.
D’une façon générale, les colonies sont considérées comme une partie intégrante du système de défense israélien : pendant les périodes calmes, elles assurent une présence et un contrôle, pendant les périodes de crise elles servent de point d’appui à la répression contre les Palestiniens.

Pour compléter ce dispositif, le gouvernement israélien envisageait au début des années quatre-vingts de porter à 165 le nombre des colonies en Cisjordanie – Jérusalem et la vallée du Jourdain non comprises – afin d’accueillir 1,3 million d’habitants. L’éparpillement des colonies devait à terme permettre de réclamer une continuité territoriale entre les zones de peuplement juif et d’accentuer la « bantoustinisation », c’est-à-dire la séparation des zones de population palestinienne entre elles. C’est exactement la politique qu’applique actuellement Netanyahou.
Les terres qu’il n’était pas possible de s’approprier dans l’immédiat étaient déclarées parcs naturels. Tandis que les travaillistes avaient établi 86 colonies en dix ans, sous le gouvernement du Likoud, entre 1977 et 1984, 115 colonies ont ainsi été constituées : 42 à Naplouse, 23 à Hébron, 15 dans la vallée du Jourdain, 19 à Jérusalem, 16 à Ramallah. La politique du fait accompli vise à créer une situation telle qu’il devient impossible d’envisager la séparation des colonies des territoires occupés.
Le gouvernement Shamir tentera d’accélérer le processus d’occupation jusqu’à son départ en 1992. En 1985 Israël avait confisqué 51 % de la superficie totale de la Cisjordanie ; en 1991, 66 %, soit une augmentation de 30 % de la superficie initialement occupée en 1985.
Cependant, Shamir ne suivit pas la même voie que ses prédécesseurs : il entreprit d’accroître la densité de la population occupant des colonies déjà existantes, afin de loger l’afflux des immigrés venant des pays de l’Est. Le nombre de nouvelles colonies constituées fut relativement faible. Huit des onze colonies implantées sous Shamir l’ont été pendant la première année des négociations de paix. A la fin de l’année 1992, le nombre des colons dans les territoires occupés était estimé à 200 000.

Il y a une logique perverse dans la politique d’implantation de colonies organisée par les gouvernements israéliens successifs. En effet, on installe des colonies de peuplement, c’est-à-dire des femmes et des enfants, en bordure, voire à l’intérieur même de zones à fort peuplement palestinien, pour défendre la sécurité d’Israël, ce qui implique l’implantation de nouvelles colonies, etc. Ilan Halevy cite les propos d’un Israélien sur cette situation absurde : « Chaque fois que nous conquérons et occupons un nouveau territoire, nous ne le faisons pas à cause de notre appétit pour les terres, mais parce que l’ennemi menace nos maisons, nos femmes et nos enfants. Nous devons donc repousser cet ennemi en repoussant sans cesse les limites des frontières qui protègent nos maisons. Puis, après que nous soyons devenus, contre notre gré, propriétaires de nouveaux territoires, nous ne pouvons supporter la vue d’une terre non habitée par des Juifs. Nous amenons nos femmes et nos enfants sur la nouvelle ligne de front et là, ils sont menacés par les tirs ennemis ; lorsque ces ennemis nous frappent, à nouveau nous n’avons pas le choix, nous sommes obligés d’élargir notre territoire. Et ainsi, avec l’aide de Dieu, nous arriverons à nous établir non seulement sur le mont Arasa, au nord de la Turquie, à l’emplacement où s’est échouée l’Arche de Noé, mais également au Yémen, patrie bien-aimée de notre roi Salomon, le sage bien connu ( ). »

A propos des kibboutzim
La création de kibboutz a été, sur le plan pratique, un des modes d’implantation de la population juive en Palestine ; elle a également été, sur le plan idéologique, un moyen efficace de légitimation de cette implantation auprès de l’opinion occidentale de gauche. Les militants qui ont constitué le mouvement des kibboutz étaient inspirés par la tradition socialiste européenne, par une culture, une expérience venue du mouvement ouvrier européen. Elément mythique de la colonisation juive de la Palestine, le kibboutz, sorte de commune égalitaire fondée sur des idéaux socialistes, a fourni à des générations de militants de gauche pro-israéliens, y compris dans le mouvement anarchiste, un argument légitimant la colonisation de la Palestine. Pendant longtemps, on parla de « l’expérience socialiste israélienne » au même titre que le l’expérience yougoslave ou soviétique. Mais tout communautaires qu’ils fussent, les kibboutzim exploitaient des terres qui pour l’essentiel avaient été confisquées aux Palestiniens.
Les choses étaient cependant moins angéliques que la gauche européenne ne l’a cru. La population des kibboutzim représente un peu plus de 2 % de la population d’Israël. Mais les kibboutzim ont accaparé plus de la moitié des terres les plus fertiles du pays qui appartenaient aux paysans palestiniens expulsés. Sachant par ailleurs que les kibboutzim consomment plus de la moitié des eaux agricoles du pays, à des prix largement subventionnés, la part du « miracle » agricole israélien doit être relativisée. Pendant la guerre de 1948, les kibboutzim, toutes tendances politiques confondues, prirent une part active dans l’expulsion des Palestiniens de leurs villes et villages.

Or le mouvement des kibboutz subit une grave crise qui a très longtemps été occultée. L’Institut de sociologie du mouvement kibboutznik unifié a publié en 1994 une étude qui révèle la profonde crise subie par le mouvement kibboutzim.
La crise du mouvement ne date certes pas de la publication de ce rapport mais pour la première fois elle la met en évidence de façon officielle. « Après des dizaines d’années de secret, de cachotteries et d’efforts pour repousser toute tentative journalistique de fourrer son nez dans ce qui se passe réellement à l’intérieur des kibboutzim, la direction du mouvement a enfin décidé de mettre son cœur à nu. » (Amnon Barzilaï, Haaretz, cité par Courrier international, 6-12 oct. 1994.)
Le mouvement kibboutz forme, dans le pays, un lobby important qui a eu les faveurs des gouvernements successifs et qui obtenait de nombreuses subventions. Selon le professeur de sciences politiques Shlomo Avineri, le kibboutz est devenu l’un des secteurs les plus conservateurs de la société israélienne ; ce qui en faisait autrefois un modèle social et national s’est brisé.
Le mouvement a réalisé de mauvaises affaires sur le marché boursier dans les années quatre-vingts et a englouti des millions de shekels (1 shekel = 1,85 F). Pour faire face à leur énorme endettement, de nombreux kibboutzim ont transformé des terres cultivables en patrimoine immobilier coûteux et en zones de prestige.
Les valeurs égalitaires qui ont caractérisé le kibboutz disparaissent. On constate notamment la disparition de l’égalité des sexes, qui était l’un des fondements du mouvement : les femmes sont écartées de toute position de pouvoir. Si la désertion des kibboutzim est le phénomène le plus grave, touchant 55 % des personnes nées au kibboutz, le pourcentage des filles qui partent est de moitié supérieur à celui des garçons.
Si la crise du mouvement n’est pas récente, il conviendrait de mener une réflexion sur son utilité économique. L’idée de kibboutz est en effet associée à celle d’un groupe de pionniers qui, par leur travail acharné et dans des conditions difficiles, ont « fertilisé le désert ». En fait, la plupart des kibboutzim sont implantés sur des terres agricoles précédemment exploitées par les Palestiniens, qui sont d’excellents agriculteurs. On a souvent pris garde de raser jusqu’à leurs fondations les maisons des villages, dont la deuxième ou troisième génération de kibboutzniks ignore même souvent l’existence.
Ainsi, Moshé Dayan déclara aux étudiants de l’Institut de technologie israélien en 1969 : « Nous sommes arrivés ici dans un pays peuplé d’Arabes, et nous construisons ici un Etat hébreu, juif. A la place des villages arabes, nous avons établi des villages juifs. Vous ne connaissez même pas le nom de ces villages et je ne vous le reproche pas, car les livres de géographie correspondants n’existent plus. Et non seulement les livres, mais les villages n’existent plus (...) Il n’y a pas une seule implantation de colons qui n’ait été faite sur les lieux d’un ex-village arabe. » (Moshe Dayan, Ha’aretz, 4 avril 1969.)
Dans un pays qui lui-même est totalement dépendant des subventions extérieures – aux traditionnels 3 milliards de dollars d’aide officielle américaine s’en ajoutent beaucoup d’autres ( ), – l’agriculture israélienne est largement dépendante des subventions, directes ou indirectes, ce qui en relativise largement l’aspect « miraculeux ». Lorsque l’eau est payée largement en dessous de son prix de revient, il n’y a pas de miracle. Un sociologue israélien, M. Seltie, pouvait ainsi s’interroger : « Si on fournit à un kibboutz du Néguev de l’eau apportée par la conduite nationale pour un septième ou un huitième de son prix de revient, pourquoi se priverait-on de l’utiliser pour l’irrigation du coton, qui dans le Néguev exige une allocation d’eau par hectare double de celle nécessaire sur la plaine côtière, et pourquoi économiserait-il de l’eau pour ses jardins ou sa piscine ? »


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