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Juin-Juillet-Août 2002
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Kurdistan : un combat oublié


Aux alentours du 21 mars, jour de la fête de New Roz, le nouvel an kurde est le moment où, traditionnellement, on parle des kurdes de Turquie. Cette tradition n’est pas due à une vision particulièrement festive de l’action militante des délégations humanitaires et associatives qui se déplacent. C’est la conjugaison d’un moment fort de l’identité culturelle des kurdes et de la pression militaire dans cette partie de la Turquie placée sous le sceau de l’état d’urgence. Le seul moment où cette identité culturelle peut s’exprimer malgré l’armée. Même si cette année encore, deux kurdes ont été tués dans la ville de Mersin et plus de 600 personnes ont été arrêtées à Istanbul, lors de la fête, interdite dans ces deux villes.


Comparé au nombre de morts dès années 80 et 90, la situation bien sûr s’est améliorée. Depuis que le PKK a déposé les armes en 1999, après l’arrestation de son leader Abdullah Ocalan, la répression est moins démonstrative. Mais tout autant présente. Acceptée à la candidature à l’entrée dans l’Union européenne en 1999 au sommet d’Helsinki, la Turquie doit intégrer « l’acquis communautaire », c’est-à-dire le minimum démocratique : liberté d’expression, libre circulation, fin de la torture, abolition de la peine de mort, droit à un procès équitable …. Les modifications constitutionnelles en ce sens, engagées le 3 octobre 2001, ont été un joli tour de passe-passe. Le commissaire européen chargé de l’élargissement, Gunter Verheugen, rappelant fréquemment (en enlevant les fleurs diplomatiques qui entourent son discours) qu’elles sont insuffisantes et surtout non appliquées. Les Etats européens restent frileux avec l’Etat turc de part les intérêts qu’il représente : vente d’armes,lieu stratégique de la plus haute importance, partenaire économique … Et si les milieux intellectuels, militants et associatifs turcs et kurdes sont acquis aux avancées que peut représenter l’entrée dans l’UE, la coalition au gouvernement est plus tangente. Le MHP, d’extrême droite, membre de la coalition tripartite gouvernementale développe ouvertement un discours anti-européen.

En tant que membre du Conseil de l’Europe, signataire de la Convention européenne des droits de l’homme, ce minimum démocratique devrait déjà être intégré. Mais les sanctions financières de la Cour sont toujours payées par la Turquie, tandis que les mesures préconisées pour plus de démocratie sont sans cesse repoussées et éludées. Ainsi, le 17 juillet 2001 la Turquie a été condamnée pour l’arrestation et l’emprisonnement de Laila Zana et de quatre autres députés, membre du DEP - parti légal pro-kurde, interdit depuis et remplacé par le Hadep - au motif qu’elle n’avait pas eu le droit à un procès équitable. La Turquie a intégré cette notion dans sa Constitution, mais Laila Zana reste en prison et les arrestations et procès contre les militants associatifs, des droits de l’homme ou du parti légal pro-kurde Hadep se multiplient. L’utilisation du pouvoir étatique, de la loi contre les revendications kurdes est l’arme actuelle, au coté de l’arme économique, de l’Etat turc. Les modifications constitutionnelles restent au mieux textuelles et inemployées, au pire elles sont les écrans de fumée d’un semblant démocratique que le militarisme utilise à son profit. Celles concernant les libertés individuelles et collectives restent « des modifications techniques » pour le TOHAV, association d’avocats, défenseurs des droits de l’homme. Un exemple concret. L’interdiction d’un parti, qui jusqu’à présent ne nécessitait qu’un seul motif, a été rendue plus difficile par les nouvelles règles constitutionnelles. Mais parmi les nouvelles raisons permettant l’interdiction, figure le fait que plusieurs membres d’un parti soient poursuivis en justice pour un même motif. Ce qui est actuellement le cas pour de nombreux responsables du Hadep. Exemple plus générique de la subtilité orientale de l’Etat dans l’utilisation de la loi : la transformation du New Roz kurde, qu’il n’arrive pas à empêcher, en fête nationale de New Ruz (fête des fleurs). L’inscription sur les affiches de New Roz à la place de New Ruz est une violation de la loi suffisante pour être poursuivi, arrêté et emprisonné… Bienvenue dans la quatrième dimension qui n’est qu’à deux heures d’avion de chez nous.

Détruire l’identité kurde

Alors certaines réformes déverrouillent l’appareil institutionnel, comme l’élargissement à des civils, désormais aussi nombreux que les militaires, du Conseil de Sécurité National, qui définit la politique du gouvernement. Les recours devant le Conseil constitutionnel, notamment au cours d’un procès, sont désormais possibles. Mais L’abolition de la peine de mort ne s’applique pas à l’Etat de guerre et aux actes terroristes, alors que « l’Est de la Turquie » est encore sous le régime de l’état d’urgence.
Que pèsent, face au pouvoir politico-militaro-mafieu turc, les revendications identitaires kurdes. Leur langue, différente du turc, peut être parlée en public depuis une dizaine d’années. La publication, jusque là tolérée et aujourd’hui permise dans les textes. Mais l’enseignement reste interdit (tout comme le suryani, parlé par les chrétiens orthodoxes, qui habitent eux aussi au Kurdistan). Les dix milles étudiants ayant demandé, à l’automne, par pétition l’enseignement optionnel du kurde (au même titre que l’anglais, l’allemand ou le français) en ont fait les frais. 2560 gardes à vue, pressions diverses, détention arbitraires, tortures à l’eau et l’électricité dénoncées par des étudiants détenus durant trois mois, interdiction d’études à vie pour 36 étudiants et pour un an pour 87 d’entre eux. Ce qui signifie aussi plus d’accès à la fonction publique et plus de formation possible dans un pays à l’économie ravagée. Plus l’ouverture de procès par l’Etat contre des étudiants. S’il fallait encore en faire la preuve, la différence entre les lois (le droit de pétition est protégé par la Constitution) et leur application est criante. Et les pressions sont continues, diverses, à tous les niveaux. 8 familles sont devant les tribunaux, depuis le début de 2002 pour avoir donné un prénom kurde à leur bébé. Et après la parenthèse de New Roz, parallèlement au départ des délégations européennes, les habitants de Diyarbekir voient les barrages de police se réinstaller au cœur de la ville.
A coté du flicage quotidien de leur vie et de leur culture, c’est par l’économie que l’Etat turc cherche à détruire leur identité. Dans les années 90, l’Etat a vidé et brûlé près 4000 villages, mettant 3,5 millions de kurdes sur les routes. Eleveurs, agriculteurs, ils se retrouvent stockés dans les villes à faire des petits boulots. Les difficultés économiques touchent forcément la structure sociale, même si elle existe avec force là-bas, dans un esprit tribal, clanique, à l’opposé de l’individualisme que nous avons développé en occident. Dans les familles déplacées, tout le monde travaille. Une grande préoccupation reste celle de l’éducation des enfants, de la transmission de leur culture et des valeurs qui y sont liées, notamment de respect, très fort. Comment le communiquer à ces 7000 enfants des rues, chiffre officiel pour la ville de Diyarbekir. Auxquels s’ajoutent les 9000 inscrits, parmi les 256 000 enfants scolarisés, qui ne se rendent pas en cours. Dont 6800 filles. L’illettrisme touche encore 13 % des hommes et 30 % des femmes. Les moyens accordés à cette zone du pays, « l’Est de la Turquie » sont délibérément faibles. A Diyarbebir, qui a vu sa population passer de 200 000 à 1,5 / 2 millions d’habitants, les canalisations d’eau sont encore en cours d’installation, essentiellement grâce à des financements et des prêts européens. Au seul centre municipal de soins gratuits, où 6 médecins voient plus de 350 personnes par jours, les pathologies sont souvent liées à la question de l’eau : salmonelles, infections amibiennes, paludisme. Les problèmes sanitaires et médicaux sont importants. Le chiffre de la mortalité infantile, qui est de 5 pour mille en France, est de 48 pour mille pour l’ensemble de la Turquie et de 73 pour mille pour le Kurdistan. Et depuis trois ans, les médicaments envoyés par des villes allemandes au centre de soin municipal de Diyarbekir sont bloqués à la douane ….
Et pourtant les kurdes sont en prise directe avec la vie. Une vie simple mais riche. Ce qui explique peut être leur vision politique, qui d’ici pourrait sembler naïve, qui ne fait que réclamer le droit de vivre en paix, dans un système démocratique, le tout emprunt d’un discours marxiste. Le PKK, qui vient de se transformer en Congrès de la démocratie et de la liberté du Kurdistan, ne sera pas accepté comme interlocuteur politique. En mars, l’annonce, infirmée rapidement, de sa transformation en PAG (parti populaire de la liberté) avait été qualifiée de camouflage par Bulent Ecevit, le Premier ministre. Le Hadep, en attente d’interdiction, reste sur des revendications de démocratie, de droits de l’homme, d’entrée dans l’union européenne. Mais toujours sans programme économique. Les seuls alliés objectifs avec lesquels ils pourraient s’organiser pour les législatives de l’année prochaine (où il faut un seuil minimum de 10% pour être représenté à l’assemblée) sont les membres de l’extrême gauche turque, comme le MHKPC, marxiste léniniste, dont plusieurs dizaines de membres sont en grève de la faim dans et hors des prisons. Malheureusement, ce n’est pas cette alliance qui va rassurer les partis sociaux démocrates européens. Leur soutien sera donc distant. Reste les associations, les militants, ce que l’on appelle « l’opinion publique » et sur lesquels les kurdes comptent. Alors faites circuler. L’information reste le premier pas vers l’action.

Maaz


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