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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°2 - Octobre 2001 > L’horreur à Manhattan

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L’horreur à Manhattan


New York et Washington ont été frappés en plein coeur par un effroyable attentat dont le nombre des victimes n’est pas encore chiffré, mais on peut s’attendre à ce qu’il se monte à plusieurs milliers.


La symbolique des tours jumelles de Manhattan et du Pentagone est claire : désormais, le centre de gravité du système politique et économique qui domine la planète n’est plus à l’abri. Le traumatisme d’une population se croyant épargnée par le terrorisme doit en être d’autant plus grand.
Jamais aucun pays occidental n’avait subi une telle horreur. Certes, des avions étaient détournés, des attentats frappaient ici ou là, mais les cibles n’avaient pas de valeur symbolique particulière et le nombre des victimes, même si c’est terrible à dire, n’était pas tel que cela bouleversait l’ordre mondial des choses.
L’ampleur de cette catastrophe, dont les effets se feront sentir encore longtemps, dévoile un certain nombre de paradoxes.
1. Les Etats-Unis disposent d’un système de surveillance dont on n’a aucune idée à quel point il est sophistiqué. En Angleterre, des installations électroniques couvrant des hectares surveillent toutes les communications de la planète. Aucun coup de téléphone, aucun fax, aucun message par Internet n’échappe à ce système. Bien sûr, les services de renseignement américains n’ont pas connaissance de tous ces messages. Des filtres existent permettant de faire une sélection. Des mots-clés sont programmés : par exemple tout message contenant le nom d’un certain dictateur du Proche-Orient.
Il semblerait que les services secrets américains se soient un peu trop fondés sur ce système high tech pour assurer leur sécurité, au détriment du travail de terrain. Or, on a appris que les terroristes, sachant évidemment cela, n’ont communiqué que par des moyens "artisanaux" : messages remis en mains propres, etc. Ils étaient donc indétectables.
Le premier paradoxe est donc que la puissance technologique majeure de la planète a été mise en échec par de simples facteurs.
2. L’autre paradoxe est que cette puissance technologique, disposant d’armes d’une sophistication inouïe, dont les satellites sont quasiment capables de lire le journal par-dessus l’épaule d’un lecteur, de visualiser des gens à l’intérieur d’un immeuble, ayant des bombes capables de percer des mètres de béton, des avions échappant aux radars, a été mise en échec par des terroristes armés de cutters.
Le premier constat qu’on pourrait faire est que, manifestement, on entre dans une ère nouvelle des rapports internationaux, en particulier des rapports dits "Nord-Sud" et que, moins euphémistiquement, nous appellerons l’impérialisme. Les attentats de New York et de Washington ne peuvent être mis sur le même plan que les attentats que les pays occidentaux ont connus jusqu’ici : il y a un changement de nature.
Mais ce serait une erreur de dire qu’est désormais déclaré le premier conflit Nord-Sud. Ce premier conflit a été déclaré en 1991 lorsqu’une coalition dirigée par Bush le père a écrasé l’Irak de bombes, faisant 300 000 morts civils, auxquels il faut ajouter les dizaines de millers d’enfants qui meurent de malnutrition, d’absence de soins, à cause d’un blocus qui dure toujours.
Les Américains disent avec raison que rien ne sera plus comme avant. Ce constat ne laisse pas de nous inquiéter. On pourrait espérer que rien ne sera plus comme avant parce qu’il se crée une sorte d’équilibre de la terreur et que les hommes qui définissent la politique étrangère américaine vont se dire : on ne peut plus faire n’importe quoi et peut-être faudrait-il redéfinir cette politique, notamment en s’interrogeant sur les causes du terrorisme.
Ces hommes qui sont responsables du soutien aux dictatures au Chili et en Argentine, qui ont soutenu le gouvernement indonésien à Timor-Est, qui ont soutenu la dictature aux Philippines, qui ont soutenu les Taliban et littéralement créée un personnage comme Bin Laden, qui soutiennent le régime intégriste d’Arabie Saoudite, vont peut-être se dire : revoyons un peu tour cela.
Malheureusement, cela n’en prend pas ce chemin.
3. Et on arrive au troisième paradoxe : Bush et Bin Laden ont strictement le même langage. Leur perspective se place sur le terrain du Bien et du Mal.
C’est leur vision de la volonté de Dieu qu’ilva falloir imposer. Ils ont la même conception du problème, ce qui est tout à fait inquiétant quant aux capacités du président américain à régler le problème. Les alliés occidentaux vont donc être invités à se joindre à ce qui ressemblera plus à une croisade qu’à la mise en place de mesures destinées à régler un ensemble de problèmes politiques.
Arthur Miller, le grand écrivain américain, interrogé aujourd’hui sur une chaîne de télévision française, déclarait qu’il était temps qu’on se rende compte que l’humanité est une et que le problème du terrorisme devra d’abord se résoudre de l’intérieur par les populations elles mêmes. Nous partageons tout à fait son point de vue, à condition d’ajouter que cela vaut également pour les Etats-Unis eux-mêmes : une population anesthésiée par les préjugés, les idées reçues et la propagande ne peut être tenue indéfiniment innocente des effets de la politique étrangère de ses gouvernements successifs.
Selon toute vraisemblance, Bush Junior va tenter la même opération que lors de la guerre du Golfe en 1991 : former une coalition internationale qui cautionnera les seules décisions américaines de rétorsion, lesquelles enclenceront une spirale sans fin de terreur et créeront des Etats de plus en plus policiers. Toute opposition à un régime en place se verra "terrorisé", c’est-à-dire assimilé à du terrorisme. Ariel Sharon a déjà commencé, qui a accusé Arafat d’être le "Bin Laden palestinien", ce qui montre l’extrême ingratitude du chef de l’Etat israélien envers un homme qui a tout cédé à Israël : reconnaissance de l’Etat d’Israël, abandon de la lutte armée, sans la moindre contrepartie.
Il faut nous préparer à riposter contre l’hystérie anti-musulmane qui risque d’apparaître, contre la tentation à suivre les orientations de la politque étrangère américaine dans cette crise sans pour autant montrer la moindre complaisance envers l’intégrisme, quel qu’il soit.
Ajourd’hui, notre sympathie va sans aucune réserve aux victimes des attentats de New York et de Washington, comme elle va à toutes les victimes du terrorisme, qu’il soit religieux ou étatique.
Eric Vilain


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