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CONTRE-CULTURE

Résistances à l’écran


Comme chaque mois, voici une sélection partielle (et partiale) de quelques films, plus ou moins récents, jugés intéressants au vu des thèmes sur lesquels lutte le réseau No Pasaran…

Pirouli (Paris)


image 216 x 315Baise-moi
Film français de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi
77 min. - 2000

Deux femmes se rencontrent. Portées par leur désespoir et leur lassitude, elles se prêtent ensemble au jeu grisant du banditisme, du meurtre, mais aussi du sexe. Toutes deux initialement victimes, elles deviennent à leur tour bourreaux. Sans même chercher à échapper à leur destin, elles se laissent porter vers leur fin.
La réalisation de Baise-moi colle littéralement au thème (plans qui bougent, souvent très proches, avec des angles de caméras tordus, laissant apercevoir les imperfections des corps, le tout saupoudré d’un éclairage rougeâtre) et la violence des images frappe, agresse souvent.
Baise-moi est l’adaptation cinématographique, par son auteur, du roman du même nom. Il est visionné en séance plénière par la commission de classification des films le 23 mai 2000, et sort le 28 juin de la même année avec une mention " interdit aux moins de 16 ans ". Deux jours plus tard, l’association " Promouvoir " (très proche du MNR de Mégret), par l’intermédiaire de son président André Bonnet, porte plainte et en réfère au conseil d’Etat. En moins d’une semaine (temps incroyablement court quand on connaît la lourdeur des procédures administratives), gain de cause est obtenu et le film se voit interdit des salles normales car classé X. Seuls les MK2 de Marin Karmitz et les salles de Galeshka Moravioff jouent la résistance en l’interdisant d’eux-mêmes aux moins de 18 ans (mention officiellement abolie depuis le passage de Jack Lang au ministère de la Culture).
De la droite à la gauche caviar, la presse s’empare de l’affaire et en vient à insulter Despentes. L’événement du Jeudi qualifie le film de " répugnant " ; dans Libération, l’ancien Mao Michel Le Bris ironise douteusement : ce ne serait pas de l’art, mais du cochon ; et dans les mêmes colonnes de Libé, une chroniqueuse de Paris-Match se gausse "Ah ah, mais comme elle écrit mal" ; le Nouvel Observateur titre : " Pornographie. Violence. La Liberté de dire non ! " ; et Laurent Joffrin pose la cerise sur cet immonde gâteau : il qualifie le film de " fasciste ", car il inciterait au meurtre, à la violence gratuite, au repli sur soi et à la haine de l’autre.
Il est vrai, le film est très cru, violent et bourré de scènes de sexe (certain-e-s acteur-trice-s sont issu-e-s du porno*), mais pas plus violent que Kippour ou un Lynch, ni plus porno qu’un Breillat (qui a d’ailleurs défendu Despentes et Trinh Thi). Par contre, cette violence et ce sexe ne sont pas gratuits : les seules dix premières minutes du film suffisent à montrer l’horreur qui est celle des personnes au plus bas de l’échelle sociale : Manu et Nadine cumulent les violences subies en tant que précaires, femmes, et maghrébine (Manu). Le " Zoo ", collectif regroupant lesbiennes, butch, queer, trans-genres…, ne s’y est pas trompé, et a pris fait et cause pour le film, indiquant dans un tract : "Baise-moi est un film politico-sexuel d’utilité publique. Il se dresse contre la censure silencieuse mais productive, institutionnelle et insidieuse qui régule et contient la représentation de la sexualité et des genres dans notre société pour en exclure les minorités sexuelles et confiner les femmes à leur rôle de salope ou de mère".
Pétitions et réactions de soutien ont d’ailleurs suivi l’interdiction du film en salle, et le tribunal correctionnel de Paris a jugé qu’il n’y avait " pas lieu de statuer " sur les poursuites engagées par l’association " Promouvoir " contre Marin Karmitz et Catherine Breillat. Si le film avait pu sortir en cassettes vidéo (au 1er février 2001), le rétablissement de la catégorie " interdit aux moins de 18 ans " a permis sa sortie en salles le 29 août 2001.
N’en déplaise à Joffrin et ses ami-e-s, qui, sous couvert de défendre les bonnes moeurs, comparent le " cri " de Despentes aux pires atrocités charriées par l’histoire, Baise-moi est un retour de bâton de la société qu’ils défendent et perpétuent. Thuriféraires de la barbarie capitaliste vantant les bienfaits du libéralisme, collaborateurs actifs de la réification des femmes au sein des média, défenseurs de la transparence communicationnelle où tout peut et doit être montré (et où tout perd donc sa valeur), les chiens de garde du système refusent de reconnaître leur progéniture, l’enfant monstrueux qu’ils ont engendré, en pratiquant la censure bien-pensante propre à la bourgeoisie de gôche comme de droite.
Si Baise-moi n’est pas facile à regarder, on en sort changé-e, avec une sérieuse envie de ne pas rester à ne rien faire…
* Notamment Raffaëla Anderson (elle joue Manu), qui a largement pris position sur l’exploitation subie par les actrices dans le milieu du film X. Elle a décrit ses expériences passées et son dégoût du milieu porno dans " Hard ", aux éditions Grasset.
Pirouli


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