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Islamistes algériens, entre stratégie de prise du pouvoir et accointances douteuses



Dans la nuit du mercredi au jeudi 13 septembre dernier, un faux barrage dressé à quelques kilomètres de la ville pétrolière d’Arzew, en Oranie, a coûté la vie à sept personnes dont deux enfants. Quelques semaines auparavant, à la fin du mois d’août, un groupe de jeunes fut horriblement massacré sur l’une des plages de l’Algérois. Ce même été, une dizaine de militaires furent assassinés dans diverses opérations terroristes à travers le territoire national. Ce sont là quelques uns des derniers actes de terreur perpétrés par une guérilla islamiste algérienne dont le principal fait d’armes est l’escalade infinie dans l’horreur. En 10 ans de violence, il y a eu plus de 100.000 morts, essentiellement des civils victimes de massacres absolument épouvantables. Économiquement, la situation n’a cessé de se dégrader au point où l’on estime à 30% le taux de chômage et une infrastructure industrielle dans un piteux état. En dix ans le terrorisme islamiste s’évertuait à détruire systématiquement, notamment entre 1992 et 1996, toutes les infrastructures publiques, dévastant des entreprises économiques qui employaient des milliers de travailleurs, incendiant des écoles et des édifices culturels. Cela au moment où le pouvoir algérien se pliait chaque jour un peu plus aux exigences d’un FMI et d’une Banque Mondiale qui "préconisaient" toujours plus de libéralisation et de privatisation dans l’ensemble des secteurs.
Mais comment un pays considéré jusqu’à la fin des années 80 comme l’un des plus occidentalisés et des plus développés dans le monde arabe et dans le tiers-monde en est-il arrivéà une situation aussi calamiteuse ?
En fait, la violence qui a éclaté en 1992 après l’arrêt du processus électoral (élections qui allaient permettre au FIS d’occuper une majorité des sièges au parlement) n’était pas nouvelle de la part des mouvements islamistes. Les algériens se souviennent très bien des premières attaques intégristes à l’acide citrique dès la fin des années 60 contre les filles portant des mini jupes. Les procédés de ce genre n’ont en réalité jamais cessé. Ils ont simplement pris des formes plus organisées et surtout plus mortelles. Entre 1975 et 1982 les universités d’Alger et d’Oran ont régulièrement vécu des batailles rangées, parfois meurtrières, entre les étudiants islamistes et ceux qu’ils considéraient comme des mécréants parce qu’ils étaient communistes ou proches des milieux d’extrême gauche. L’un des épisodes les plus sanglants de ces affrontements fut celui qui a eu lieu à l’université d’Alger en 1980 et dans lequel des islamistes armés de haches et de couteaux se sont attaqués à des étudiants et à des enseignants qui préparaient une campagne de sensibilisation à la révolution agraire (L’un des trois axes de la politique socialiste mise en place par le Président Boumediene, avec la révolution industrielle et la révolution culturelle).
le premier maquis islamiste véritablement armé a été monté à la fin des années 70 par un groupe d’islamistes appartenant à une organisation appelée "Al Irchad Oual Islah". Une association officiellement à caractère caritatif mais qui a largement contribué plus tard à l’envoi de troupes de volontaires en Afghanistan. A sa tête un certain Mahfoud Nahnah, actuellement président d’un parti islamiste légal (MSP, ex HAMAS) faisant parti de la coalition gouvernementale du président Bouteflika. Ce premier maquis fut très vite démantelé et ses membres jetés en prison. En 1982, le MIA (Mouvement Islamique Armé), dirigé alors par Mustapha Bouyali, proche des islamistes égyptiens de la Gamaa Islamia, arrive à implanter l’un des plus importants maquis dans la région du sud d’Alger. L’armée n’a pu mettre fin à celui-ci qu’à la fin de 1987. Parmi ses principaux leaders, Un certain Ali belhadj, futur chef charismatique et très virulent dirigeant du Front Islamique du Salut. Il fut emprisonné durant quelques années, en compagnie d’autres figures marquantes de l’islamisme algériens qui n’allaient pas tarder à faire parler d’eux par la suite, avant d’être libéré par le président Chadli Bendjedid à la faveur de la grande amnistie de 1989. Une "mesure de détente" parmi celles ayant suivies les émeutes d’octobre 88.

L’ampleur du phénomène est monté d’un cran avec la création et la légalisation du FIS en décembre 1989. Une légalisation très contestée par l’opposition démocratique se référant à des articles de la nouvelle constitution (23 février 1989) qui interdisait toute formation politique fondée sur des bases religieuses. En fait la légalisation du FIS répondait à des calculs politiques du FLN de l’époque, alors seul aux commandes de l’État, préférant composer avec une opposition islamiste, à ses yeux plus facile à maîtriser et à manipuler, plutôt que de laisser le champs libre aux démocrates, à long terme plus "menaçants" pour la nature du système. La suite des événements fait malheureusement ressortir, 12 ans après l’adoption par le peuple de la première constitution pluraliste et démocratique de son histoire, que les islamistes semblent être les seuls à pouvoir tirer avantage de cet engrenage infernal malgré les coups qui leur sont portés sur le plan militaire. La fragilité dans laquelle se retrouve l’État algérien lui-même, au-delà de toute considération partisane, ne peux manifestement que favoriser des mouvements de type populiste comme le sont parfaitement les islamistes.

L’évolution du mouvement islamiste algérien semble être lié à deux facteurs. Le premier en relation avec la politique intérieur ; le second, il faut le replacer dans un contexte mondial plus complexe.

Le facteur interne relève de la pure stratégie de maintien au pouvoir suivie par le FLN dès l’indépendance en 1962 jusqu’aux élections de décembre 1991. Traversé lui-même par des courants islamistes épisodiquement virulents, le FLN est un parti politique ayant toujours tiré sa légitimité de la guerre d’indépendance mais aussi d’un discours faisant la part belle à des référents islamiques. Même si dans les faits, la construction du pays était basée sur une approche très moderniste, plus proche de l’Occident que la majorité des pays arabes, il faut dire que le discours est resté très ancré dans l’imaginaire collectif encore imprégné de tradition. C’est donc assez facilement que des mouvements islamistes, au départ très discrets, ont émergé dans la société, aidés il est vrai par des apparatchiks locaux du parti. Mais très vite le discours des islamistes se faisait plus virulent à chaque fois que l’Algérie paraissait se rapprocher des pays socialistes, les islamistes considérant les communistes comme les pires ennemis. La révolution islamique en Iran (1979) et surtout l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques allaient donner au mouvement islamiste algérien un souffle qu’il ne perdra plus jamais.

C’est là que le facteur étranger semble avoir été déterminant dans l’évolution fulgurante du mouvement islamiste algérien.

D’abord très proches des Frères Musulmans en Égypte, les islamistes algériens se tournèrent petit à petit vers l’Arabie Saoudite qui commençait à déversait des sommes colossales pour favoriser l’enrôlement de volontaires pour l’Afghanistan. C’est ainsi que, dès 1982, les premiers centres de recrutement ont pu voir le jour dans quelques grandes villes d’Algérie grâce aux dollars Wahhabites et à ceux de la CIA. Ce fut encore l’association Al Irchad oual Islah de Mahfoud Nahnah qui mit en place ces centres. Cela sous le regard bienveillant des autorités, croyant encore une fois montrer d’eux une image favorable à l’Islam. Des milliers de volontaires partirent vers l’Afghanistan, d’abord via Riad en Arabie Saoudite et ensuite Peshawar au Pakistan. A l’époque, l’homme chargé de faire le lien entre les services secrets américains, saoudiens, pakistanais et les volontaires arabes était un jeune richissime saoudien du nom de ... Oussama Ben Laden. Un autre islamiste joua un rôle important dans le renforcement des réseaux islamistes dans le monde arabe et en occident : Rachid Ghanouchi, un islamiste tunisien, jusqu’à récemment réfugié en Angleterre. C’est à lui qu’on doit le rapprochement des islamistes algériens avec la CIA via l’Arabie Saoudite. Manifestement appuyé par les services américains, il a même joué un rôle déterminant dans les contacts entre les différentes factions islamistes afghanes durant les années 80. Il fut salué en 1991 au sein même du congrès américain pour services rendus.

Nombreux sont les islamistes algériens, parmi les plus importants par la suite, qui sont des anciens d’Afghanistan. Said Makhloufi, Kamaredine Khebane ainsi que Abdallâh Anas, membres influents au sein du FIS, ont participé à la guerre d’Afghanistan. De même, Tayeb al Afghani (mort en novembre 1994), Djaafar Al Afghani (mort en mars 94), Cherif Gousmi (mort au cours de la même année), successivement chefs du GIA, sont tous des anciens moudjahidine.

Après la fin de la guerre en Afghanistan le soutien saoudien aux islamistes algériens ne s’arrêta pas, au contraire. Plus tard, les algériens apprendront que derrière les saoudiens ce sont les américains qui, en fait, faisaient tout pour renforcer les mouvements islamistes. C’est ainsi qu’en 1994 Anouar Haddam, personnage important au sein du FIS et fondateur principal du GIA, revendique à partir de Washington l’attentat à la bombe qui a coûté la vie à 48 personnes dans un bus au centre d’Alger. Il avait auparavant revendiqué des attentats contre des journalistes et des intellectuels ; le GIA ayant par ailleurs revendiqué certains assassinats de français, de croates et d’italiens, tous tués entre 1994 et 1995. L’administration de Washington a également longtemps caché le fait que le premier bureau que le FIS a ouvert à l’étranger l’a été sur leur territoire.

Cependant, la plus grande révélation était encore à venir : il y a quelques années un rapport détaillé de la CIA daté du 17 janvier 1994 a été dévoilé. Dans ce document il est fait état d’accords secrets entre le FIS et un haut responsable de la CIA, connu sous le nom de Peter Brown. On y apprend que dans le cas où le FIS arriverai au pouvoir, ce qui ne faisait aucun doute pour l’administration américaine, il devrait respecter quelques engagement en échange de l’aide présente et future de Washington.

Parmi ces engagements, on peut citer :
- respecter les droits de l’homme, en évitant les règlements de compte.
- Honorer tous les contrats pétroliers et gaziers en cours.
- Favoriser les investisseurs américains au détriment de Paris, jugée trop hostile aux islamistes.
- Cesser toute activité hostile à l’égard des monarchies du Golf, en particulier l’Arabie Saoudite et le Koweït, en plus d’un alignement sur Washington concernant l’Irak.
Selon Graham Fuller, ancien de la CIA au Proche Orient "La coexistence entre les États-Unis et de futurs régimes islamiques, notamment l’Algérie est possible". Et d’ajouter : "Le respect pour la propriété et le commerce est plus prononcé dans la tradition coranique que dans la doctrine traditionnelle de l’église ou le confucianisme". A ce propos, le "respectable et respecté" islamiste tunisien Rachid Ghanouchi réplique ainsi : "Il n y a pas de passé colonial entre les pays musulmans et l’Amérique, pas de croisades, pas de guerres. Je pense qu’une forme de coexistence est envisageable entre le monde musulman conduit par des islamistes et l’occident [américain], à condition que celui-ci respecte la réalité islamique".

Sur un autre plan, pendant ces dix années de violence qui ont endeuillé l’Algérie et alors que la plupart des compagnies étrangères ont plié bagages, les américains ont continué à investir des milliards de dollars dans l’industrie pétrolière et maintiennent encore quelques 7500 employés américains.

Plus Récemment, l’Amérique a accueilli en grande pompe le président algérien Bouteflika, au moment où celui-ci avait du mal à faire passer - auprès d’une partie de l’opinion publique algérienne et aussi auprès d’une partie de la hiérarchie militaires - ces projets de plus en plus affichés de réhabilitation du FIS et d’élargissement de l’amnistie des terroristes. Recherche de soutien étranger ? Peut-être.

Lotfi


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