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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°2 - Octobre 2001 > Interview de Noam Chomsky

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Interview de Noam Chomsky

Par Radio B92 à Belgrade


Réalisé le 18 Septembre 2001 "Les Etats-Unis ont pratiquement exterminé les populations indigènes, ont conquis la moitié de Mexico, sont intervenus violemment dans les régions environnantes, ont conquis Hawaii et les Philippines (tuant des centaines de milliers de Philippins), et depuis cinquante ans ont eut particulièrement recours à la force sur une grande partie de la surface du globe. Le nombre des victimes est colossal. Pour la première fois les fusils étaient pointés dans la direction opposée."


image 300 x 210Q : Pourquoi pensez-vous que ces attaques ont eu lieu ?
Noam Chomsky : Pour répondre à votre question, il faut d’abord identifier les auteurs du crime. On fait généralement l’hypothèse qu’ils seraient, certainement, originaires du Moyen-Orient et que ces attaques renvoient au réseau de Osama Ben Laden, une organisation complexe et répandue. Cette organisation est sans doute inspirée de Ben Laden, mais elle n’agit pas nécessairement sous son contrôle. Considérons que cela soit vrai. Alors, pour répondre à votre question, une personne sensée essaierait de s’informer sur les motivations de Ben Laden ainsi que sur les ressentiments des nombreux supporters qu’il a à l’intérieur de cette région. Sur ce sujet, nous avons une montagne d’information. Ben Laden a été interviewé considérablement pendant ces années par des spécialistes du Moyen-Orient fiables, notamment, Robert Fisk (London Independant), correspondant renommé, qui a une connaissance très précise de la région et une expérience directe depuis des décennies. Millionnaire originaire d’Arabie Saoudite, Ben Laden est devenu un leader pour les militants islamistes dans la guerre pour chasser les Russes hors d’Afghanistan. Il était un de ces nombreux extrémistes religieux recrutés, armés et financés par la CIA et leurs alliés pour causer un maximum de nuisances aux Russes - certains analystes suspectent que cela fut fait en retardant le retrait des troupes russes. Qu’il ait été en lien direct en lien direct avec la CIA n’est pas très clair, et pas franchement intéressant. Chose très peu surprenante, la CIA a choisi le plus fanatique et cruel des combattants qu’ils pouvaient mobiliser. Le résultat final a été de "détruire un régime modéré pour placer un régime fanatique à l’aide de groupes financés sans compter par les américains." (London Times, Simon Jenkins, lui aussi un spécialiste de la région). (...)
Et comme d’autres, Ben Laden met en contraste le soutien particulier des USA pour ces crimes avec les assauts américains (USA) et britanniques qui ont duré une décennie contre la population civile Iraquienne, qui a dévasté la société et causé des centaines de milliers de morts tout en fortifiant Saddam Hussein -qui était un ami et allié favorisé des USA et de la Grande Bretagne grâce aux pire atrocités qu’il commettait, y compris le gazage des Kurdes, comme les gens de la région se souviennent bien, même si les occidentaux préfèrent oublier les faits. Ces sentiments largement sont très partagés. Le Journal de Wall Street (14 septembre) a publié une étude d’opinion de riches et privilégiés Musulmans du Golfe (banquiers, professionnels, hommes d’affaires proches des USA). Ils expriment à peu près la même opinion : ressentiment à propos de la politique américaine de soutenir les crimes israéliens et de bloquer les accords internationaux par un processus diplomatique qui dure des années pendant qu’ils dévastent la société civile iraquienne, qu’ils soutiennent les régimes anti-démocratiques et répressifs de la région, et qu’ils imposent des barrières contre le développement économique "en maintenant en place les régimes oppressifs". Pour la grande majorité de gens souffrant d’une oppression et d’une pauvreté profonde, des sentiments similaires, mais plus acides, sont la source de la fureur et du désespoir qui ont mené aux attentats suicides, comme cela est généralement compris par ceux qui s’intéressent aux faits.
Les USA et la plupart des pays de l’Ouest, préfère une autre histoire, plus confortable. Pour reprendre une analyseclé du New York Times (16 septembre), les auteurs ont agi par " haine des valeurs qui sont portées par l’Ouest comme la Liberté, la Tolérance, la Prospérité, le pluralisme des Religions et le Suffrage Universel. " Les actions des Américains ne sont pas pertinentes, et par conséquent, n’ont même pas besoin d’être mentionné (Serge Schmemann). C’est une image pratique, et cette position est assez familière dans l’histoire intellectuelle ; en fait, elle est proche de la norme. Elle se trouve être en décalage complet avec ce que nous savons, mais elle a le mérite de l’auto-adulation et de ne pas du tout être critique du pouvoir. (...)

Quelles conséquences vont-ils avoir sur la politique intérieure des Etats-Unis et sur la perception d’eux-mêmes des Américains ?
La politique des USA a déjà été annoncée officiellement. Le monde se voit offert un choix très contrasté : "Rejoignez-nous ou affrontez un avenir de mort et de destruction". Le congrès a autorisé l’utilisation de la force contre n’importe quel individu ou pays que le président considérera comme impliqué dans les attaques, une doctrine que chaque supporter considère comme ultra-criminelle. Ceci est démontré facilement. Tout simplement, demandez aux mêmes personnes comment elles auraient réagi si le Nicaragua avait adopté cette doctrine après que les Etats-Unis aient rejeté le commandement de la Cour Mondiale de " mettre fin à cette utilisation illégale de la force " contre le Nicaragua et aient posés leur Veto pour une résolution du Conseil de Sécurité "appelant tous les Etats à observer la loi internationale. Et cette attaque terroriste était de loin plus grave et destructrice que l’atrocité vécue à New York.
Quant à savoir comment ces événements ont été perçus ici, c’est beaucoup plus complexe. Il faut se rappeler que les médias et les élites intellectuelles ont leurs propres problématiques. De plus, la réponse à cette question est, dans une certaine mesure, un problème de décision : comme dans beaucoup d’autres cas, avec suffisamment d’application et d’énergie, les efforts pour stimuler le fanatisme, la haine aveugle et la soumission à l’autorité peuvent-être retournés. Nous savons tous cela très bien.

Est-ce que vous vous attendez à ce que les USA changent radicalement leur politique face au reste du monde ?
Leur première réponse était d’appeler à l’intensification des politiques qui ont mené la furie et le ressentiment à l’origine des attaques terroristes, et de poursuivre le programme de la ligne la plus dure de leur commandement : augmentation de la militarisation, discipline intérieure, attaque des programmes sociaux. Tout cela est attendu. Encore une fois, les attaques terroristes, et les escalades de la violence qu’ils engendrent souvent, ont tendance à renforcer l’autorité et le prestige des éléments les plus durs et répressifs d’une société. Mais la soumission à cette perspective n’est pas inévitable.

Après le premier choc, vient la crainte de ce que la réponse américaine va être. Est-ce que vous avez peur, aussi ?
Chaque personne saine d’esprit devrait avoir peur de la réaction probable -celle qui a été annoncée répondent probablement aux prières de Ben Laden. Il est extrêmement probable qu’on assiste à une escalade de la violence,mais cette fois sur une plus grande échelle. Les Etats- Unis ont déjà exigé que le Pakistan mette fin aux stocks de nourriture et autres denrées qui tiennent en vie les afghans affamés et souffrants. Si cette demande est appliquée, un nombre inconnu de personnes qui ne sont pas liés aux terroristes vont mourir, peut-être des millions. Permettez-moi de répéter : les USA ont demandé au Pakistan de tuer des millions de personnes qui sont elles mêmes déjà des victimes des taliban. Ceci n’a rien à voir avec une vengeance. Et le niveau moral est encore beaucoup plus bas que çà. L’importance de la chose est redoublée par le fait qu’elle a été mentionnée avec très peu de commentaires et qu’elle ne sera très probablement pas remarquée. On apprend beaucoup du niveau moral de la culture intellectuelle régnant dans l’Ouest en observant les réactions à cette demande. Je pense que l’on peut être raisonnablement confiant que si les Américains avaient la moindre idée de ce qui est fait en leur nom, ils seraient totalement consternés. Il serait instructif de rechercher des précédents historiques.
Si le Pakistan n’accepte pas ceci et les autres demandes des USA, cela aboutirait certainement à des attaques directes -avec des conséquences inconnues. Si le Pakistan se soumet aux demandes américaines, il n’est pas impossible que le gouvernement soit renversé par des forces similaires aux taliban - qui dans ce cas auront des armes nucléaires. Cela pourrait avoir des conséquences dans la région, y compris dans les pays producteurs de pétrole. A ce niveau, on peut considérer la possibilité d’une guerre qui détruise beaucoup de la société humaine.
Même sans poursuivre de telles possibilités, il est probable qu’une attaque sur les afghans aura pratiquement le même effet que ce que prévoient les analystes : un grand nombre de personnes s’enrôleront pour soutenir Ben Laden, comme il l’espère. Même s’il est tué, cela fera peu de différence. Sa voix sera enregistrée et distribuée à travers le monde islamique et il sera probablement révéré comme un martyr, inspirant d’autres. Il est utile de garder en mémoire qu’un attentat suicide - un camion dirigé vers une base militaire - a fait fuir la plus puissante armée du monde du Liban, il y a de cela 20 ans. Les possibilités de ces attaques sont sans fins. Et les attentats-suicides sont difficiles à prévenir.

"Le monde ne sera jamais pareil après le 11.09.01". Qu’en pensez-vous ?
Les terribles attentats terroristes du 11 septembre ont quelque chose de nouveau dans le monde des affaires : pas dans l’échelle ou dans leur caractère, mais dans la cible. Pour les Etats-Unis, c’est la première fois depuis la guerre de 1812, que le territoire national est attaqué, même menacé. Ses colonies ont été attaquées, mais pas le territoire national. Pendant ces années, les Etats-Unis ont pratiquement exterminé les populations indigènes, ont conquis la moitié de Mexico, sont intervenus violemment dans les régions environnantes, ont conquis Hawaii et les Philippines (tuant des centaines de milliers de Philippins), et depuis cinquante ans ont eut particulièrement recours à la force sur une grande partie de la surface du globe. Le nombre des victimes est colossal. Pour la première fois les fusils étaient pointés dans la direction opposée. La même chose est vraie, peut-être plus dramatique, pour l’Europe. L’Europe a souffert des destructions meurtrières, mais de guerres intérieures, pendant qu’elle conquérait le monde de façon très brutale. Elle n’a pas été attaquée par ses victimes en dehors, à de rares exceptions (l’IRA en Angleterre par exemple). Il est alors naturel que l’OTAN se rassemble pour supporter les Etats-Unis ; des siècles de violence impériale ont des impactes énormes sur la culture intellectuelle et morale.
Il est exact pour dire que ceci est un événement nouveau dans l’histoire du monde, pas à cause de l’échelle de l’atrocité -regrettable -mais à cause de la cible. Comment l’Ouest choisit de réagir est une question d’importance suprême. Si les riches et puissants choisissent de suivre leurs traditions de centaines d’années de recours à la violence extrême, ils contribueront à l’escalade d’un cycle de violence, dans une dynamique qui nous est familière, avec à long terme des conséquences qui pourraient être impressionnantes. Bien sûr, cela n’est nullement inévitable. Un soulèvement populaire dans les sociétés les plus libres et les plus démocratiques peut diriger les politiques vers un cheminement plus humain et plus honorable


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