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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°87 - Mai 2001
(ancienne formule)
> Débat sur l’unité des libertaires

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Débat sur l’unité des libertaires


Comme nous le disons dans le précédent No Pasaran, le débat sur l’Unité suscite des réactions diverses qu’il nous paraît intéressant de publier pour susciter de nouvelles réflexions.


Ca bouge dans les chaumières...

Comme le disait une célèbre formule, laissons le scepticisme pour des jours meilleurs. Certes, l’Appel " le chemin se trace en marchant ! " paru dans le No pasaran n°86 n’est pas exempt de reproches et le texte paru aux Editions du Monde libertaire signé par Babar et J-M. Raynaud comporte des approximations. Et alors ? Le mérite n’est-il pas d’ouvrir un débat et des discussions, qui sans remplacer les actions et les nombreuses initiatives locales dans lesquels les libertaires se retrouvent, pourraient permettre des convergences politiques pour peser encore plus fortement dans les luttes. Car si les libertaires ne veulent pas se trouver à la traîne des "citoyennistes" ou de la "gauche de la gauche" et ne pas rester dans un rôle de cabôt, eux qui sont souvent les porteurs de valises de nombreuses causes, doivent aussi se soucier de la parole et de l’expression publique, de leur capacité à faire vivre leurs idées et leurs pratiques dans les mouvements sociaux. Et cela aussi bien au niveau hexagonal qu’au niveau international. A ce sujet la rencontre de Madrid ouvre un nouvel espace entre les libertaires de toute origine (syndicalistes-révolutionnaires, communistes libertaires, mouvementistes...) et symbolise ce besoin de créer des passerelles et des lieux pour discuter et agir ensemble. Certes, il n’est pas question de se renfermer et d’oublier que plus largement, c’est la construction d’un mouvement de contestation radicalement anticapitaliste, de démocratie directe, solidaires, égalitaires, contre toutes formes de domination qu’il nous semble important à mettre sur pied.

De plus, ayant choisi de s’adresser aux individus et non aux organisations, l’appel permet de sortir des rapports de force et des querelles entre chapelles. Entre une CNT qui pense n’avoir besoin de personne et l’Alternative Libertaire qui après avoir lorgné sur la gauche de la gauche pendant quinze ans tente un retour comme si de rien n’était dans le mouvement libertaire, entre une FA écartelée entre ses multiples composantes et le Réseau No Pasaran qui se redéfinit, les démarches unitaires ont peu de chance d’aboutir autrement que dans des appels vagues sans conséquences sur le terrain. De plus des solutions de " cartels " au sommet, c’est la reproduction de schémas très bureaucratiques, sans aucune efficacité et contraire au fonctionnement libertaire. Car la convergence doit naître d’un désir collectif, de rencontres entre celles et ceux qui au-delà de leur appartenance trouve des axes politiques communs, ont la conviction que les dynamiques naîssent de la fusion entre idées et pratiques dans des initiatives palpables. Et cela aussi bien au niveau individuel que localement. Et après plus si affinités comme l’on dit…

Laurent "L’unité : oui, le dialogue aussi !"

Ce texte n’a pas pour objet de venir s’opposer à la volonté d’Unité du mouvement libertaire. J’affiche beaucoup d’amertume, mais si je l’ai écris, c’est justement parce que je n’ai pas cessé totalement de croire en ses qualités.

Tout n’est pas parfais, mais la situation n’est pas désespérée. Si nous arrivons à dialoguer et à exprimer un certain nombre de critiques, autrement que dans un but malveillant, nous pourrons faire le point du positif et du négatif pour aller de l’avant. J’entends bien que nous avons des qualités particulières, mais nous ne sommes pas exempt de tous défauts. Ce n’est pas parce que nous refuserions de les voir que nos adversaires ne les verraient pas. Les passer sous silence serait les aggraver.

C’était juste après le passage de l’oiseau blanc. Je regardai au loin scrutant l’horizon, lorsque j’ai aperçu les signaux de fumée. Le message disait "Appel pour un mouvement libertaire. Le chemin se trace en marchant !" J’ai regardé mes pieds, je les ai trouvé déjà bien usés. N’avons-nous pas déjà beaucoup marché, me suis-je dit, où irons-nous cette fois là ? Je ne m’étais toujours pas remis de mes courbatures et j’avais encore le goût amer de la sueur dans la bouche. Alors c’est avec beaucoup d’appréhension que j’ai déchiffré les petits nuages qui s’élevaient dans le ciel. Le lendemain, j’ai repensé à toutes ces choses mais ne sachant pas à quoi m’en tenir, j’ai demandé conseil au foin et à la paille. Le vieux chaman m’est apparu en rêve, il me disait : "parole vaut toujours mieux que silence". Alors, veuillez recevoir ces modestes signaux, que je vous envoie depuis ma prairie.

Je suis un déçu du mouvement libertaire. Si je l’ai rencontré par des luttes et des solidarités concrètes, c’est à travers ses embrouilles philothéoriques que j’ai fini par m’en dégoûter. J’ai trop souvent eu l’impression que nous passions à côté des grands problèmes de société au profit de luttes intestines et de slogans faciles. (exemple : "les papiers on s’en fout, on ne veut plus de frontières du tout").

Donc je préciserais que je sais modestement de quoi je parle... J’ai commencé à militer à la fin des années 80. Militer, bien sûr, mais des actes du quotidien comme differ, coller, porter les banderoles, être présent, nettoyer les chiottes du local anarchiste et j’en passe. Autant d’actions peu héroïques mais indispensables à la vie du mouvement.

Pour commencer, au sujet de la fameuse synthèse (c’est une critique adressée à une orga qui s’en réclame), je dirais qu’elle est dans la pratique une véritable plate-forme où quelques éminents représentants peuvent indéfiniment faire passer le même discours, toujours plus éloigné de la réalité sociale et de la base (dont ils ne manqueront pas de citer la bravoure, surtout lorsqu’elle est aux antipodes de leur discours), et cela au nom de l’union sacrée du mouvement. Je ne parle même pas du discours officiel mais de celui qui est tenu au sein de l’orga, d’une atmosphère lourde de mépris et de censure, que quelques individus se permettent d’imposer. Comment ce fait-il par exemple qu’un seul individu en son nom propre puisse décider de l’exclusion d’un membre en lui tapant dessus ? Et cela est sûrement arrivé plus d’une fois... une sans aucun doute, je m’en souviens comme si c’était hier.

Je trouve important que nous ayons un projet de société spécifique. Ce n’est certes pas cela que nous devons mettre de côté. Mais il y a toujours cette réalité quotidienne, dans laquelle notre capacité à engager un rapport de force est partie intégrante. Et autant dire que présentement elle est faible.

Je vois dans cette faiblesse, la résultante de notre incapacité à proposer un modèle de société démocratique (directe bien entendu), que nous puissions proposer à toutes et tous (aux " masses ") au delà des différences qu’il y a entre les individus. J’ai toujours eu l’impression, que pour être anarchiste, il fallait forcément correspondre à une certaine image, avoir un mode de pensée bien déterminé. Et dans la pratique, il est parfaitement impossible, même en créant des ghettos par affinité qui deviendront vite des régimes d’apartheid, que des millions d’individus pensent et vivent de la même façon. Et cela ne remet pas en cause la notion d’égalité économique et sociale. Par exemple, que la société sans Etat soit une société laïque voire athée, mais pouvons-nous réclamer à chacun(e) d’être férocement athée ? Non. C’est que nous devons distinguer l’individu et ses convictions, du contrat de société ou sociétal qui le lie aux autres individus.

Quant au rapport à l’Etat, il provoque parfois des réactions irrationnelles. Un coup on se fond dans le moule qu’il nous impose, l’autre coup on refuse de débattre sous prétexte de le combattre.

Vu depuis ma province je m’aperçois que les organisations libertaires dégagent de forte effluves de centralisme et produisent des petits chefs à gogo. Dites " A bas l’Etat ! " en français et vous êtes un valeureux anarchiste. Dites le en occitan, en basque ou en breton, et vous êtes un affreux nationaliste. Cela s’appelle du chauvinisme et il y a danger lorsqu’on s’abandonne à confondre impérialisme et internationalisme.

D’autre part, il me semble que souvent on propose une lecture des écrits anarchistes qui manque totalement aux règles de l’exégèse. Lire un auteur n’a aucun intérêt si on ne replace pas ses thèses dans son contexte historique, politique et géographique. Sans compter qu’on ne saurait lire un livre anarchiste comme un livre sacré…

Les Etats auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, ne sont pas les Etats auxquels s’affrontaient Kropotkine, Bakounine, ou encore Louise Michel.

Que tout Etat tende vers un accroissement de ses fonctions régaliennes au profit d’une classe bourgeoise toujours plus minoritaire est un fait incontestable. Mais dans les Etats régaliens d’aujourd’hui, le prolétariat a encore moins d’armes qu’ailleurs pour combattre… l’Etat. Et nous en revenons à la notion de rapport de force. Que nous soyons contre l’Etat est une chose, que nous prenions nos désirs pour des réalités en est une autre.

Il est faux de dire que nous ne devons rien réclamer à l’Etat, car d’une part il faudrait que nous soyons en mesure de nous en passer et de le détruire dans l’immédiat et d’autre part, cela ne ferait que renforcer ses fonctions régaliennes.

A moins que nous choisissions la voie de l’hypocrisie et de la démagogie facile. D’un côté nous profiterions comme les autres des lois sociales et des libertés démocratiques, et de l’autre nous ferions semblant de ne pas nous y intéresser. Nous le pouvons, mais nous pouvons aussi indéfiniment continuer à parler dans le vide.

En parlant de lois, je ne suis pas sûr que nous ayons bien retenu la leçon de l’anarchisme, car il me semble que dans certains cas, nous avons collectivement remplacés les lois écrites par l’arbitraire, si ce n’est pas par des lois non écrites encore plus rigides.

Aussi je terminerais par cette proposition : "Que rien de ce qui nous lie entre nous soit fait de paroles en l’air. Que tout ce qui sera décidé par tous et toutes soit écrit sur le papier. Que tout ce qui est dit en assemblée soit transcrit et disponible démocratiquement ".

Ce texte est peut-être sommaire, mais pas les efforts et le temps que j’ai déjà passé dans cette galère, aussi avant d’en faire un seul de plus, je veux voir ce qu’il en est. C’est bien de se décerner des médailles mais ce n’est pas suffisant. Je peux vous dire que je rencontre un nombre incroyable de gens, en dehors de tout milieux militant, qui ont connu le mouvement anar. Certains ne veulent plus en entendre parler, d’autre virent au stalinisme parce qu’il ont fini par croire qu’on y trouve plus de démocratie (!), nombre d’entre eux ont vécu l’expérience anarchiste comme un traumatisme. Et il serait trop facile de dire qu’ils ne sont pas restés donc qu’ils n’ont pas leur mot à dire, ce serait confondre les causes et les conséquences. Globalement le mouvement anar tire sa gloire de l’expérience espagnole, mais la pratique actuelle est toute autre et beaucoup de gens se sauvent en courrant.

Moi aussi ça me fait peur, qu’est-ce qu’il va encore falloir faire ? Combien d’affiches à coller ? Combien de tracts à distribuer ? Combien de réunion ? Combien de manifs ? Et faudra-t-il tout endurer au nom de l’idéal anarchiste ? Sustine et abstine ! Je crois que vous ne réalisez pas tous - dans la catégorie qui ne réalisez pas, vous êtes surtout des hommes est-ce un hasard ? -tous les sacrifices que représente une vie de militant(e). Personnellement j’ai trop été considéré comme une serpillière par certains militants, pas la moindre considération, mais quand il y a des affiches à coller, n’importe quel boulot à faire, il est là le bon bougre.

Si ça doit prendre ce chemin, ça ne va pas aller loin l’unité, alors autant le dire tout de suite... Les réponses paternalistes peuvent s’abstenir.

Il n’y a ni dirigeants ni dirigés ? Si non è vero, è bene trovato ! "

Michel Akhno, avril 2001


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