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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°87 - Mai 2001
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Résistance à l’écran



Les glaneurs et la glaneuse

Documentaire français d’Agnès Varda

2000 - 82 min.

Réalisatrice issue de la nouvelle vague, ayant acquis ses lettres de noblesse par son Cléo de 5 à 7 (1961), le cinéma politique et social n’est pas nouveau pour Varda (on peut noter, entre autres, Black Panthers - 1968, Sans toit ni loi - 1985...). Pourtant, c’est avec une fausse naïveté assez cinglante que ce documentaire apporte un regard nouveau sur notre société de consommation et de gaspillage.

Depuis la récupération des patates non calibrées (en forme de coeur...), en passant par la fouille des poubelles, décharges et débarras, ou même le ramassage des restes des marchés, on assiste à un questionnement du mode de vie moderne. Des portraits tous plus touchants les uns que les autres se succèdent : cet homme-ci travaille et gagne sa vie, mais préfère manger dans les poubelles tant il est horrifié par le gaspillage de ses contemporains, cet autre préfère manger les restes des marchés et donner des cours d’alphabétisation à des travailleurs immigrés plutôt que de perdre sa vie à la gagner, ces jeunes gens racontent leur condamnation judiciaire (un directeur de supermarché leur interdit de se nourrir dans ses bennes à ordure)... On constate alors que non seulement certaines personnes exclues trouvent le moyen de survivre grâce au glanage, mais surtout que certaines d’entre elles vivent tout simplement autrement.

Voici donc une réalisation tout à fait étonnante, qui interroge autant le mode de vie moderne, que certaines angoisses, comme le temps et la mort. Car cet étrange parcours que nous fait vivre Varda, parfois drôle (à noter le " frigo-manifestation " rempli de playmobil récupérés et agencés en cortège revendiquant la libération des camarades emprisonnés), parfois triste et dur, est aussi son propre périple, vécu alors que le poids des ans l’accable. Cette horloge sans aiguilles, glanée au hasard d’une poubelle, semble la soulager de la peur du devenir. Allégorie de la vie vraie, retrouvée en s’écartant du " je consomme donc je suis ", cette horloge nous invite aussi à questionner notre propre existence.

Pas d’histoires !

12 regards sur le racisme au quotidien

12 courts métrages français (Vincent Lindon, Emilie Deleuze, Xavier Durringer, Yamina Benguigui...)

2000 - 70 min.

S’il y avait sans doute initialement une volonté didactique derrière le titre de ces douze courts métrages (réalisés dans le cadre de l’association Dire et Faire Contre le Racisme, qui vise à initier des partenariats entre cinéastes et acteurs sociaux), on peut noter ironiquement qu’ils semblent bel et bien mériter leur dénomination : c’est véritablement à " ne pas faire d’histoires " qu’ils incitent pour la plupart.

Des auteur-e-s très différent-e-s, des films très inégaux, rien d’étonnant à cela. Issus d’une pure lignée droits-de-l’hommiste, ils montrent, pour la majeure partie d’entre eux, combien il n’est pas bien et pas gentil de discriminer les pauvres gens de couleur... Sans jamais bien sûr interroger le différencialisme qui pousse à considérer comme autres (donc à traiter autrement) les gens qui ne se fondent pas totalement dans le moule blanc occidental, c’est-à-dire qui refusent de s’y assimiler, de s’y soumettre. Il y a bien quelques exceptions : Pimprenelle (de Yamina Benguigui, réalisatrice de Mémoires d’immigrés) et surtout Relou, par Fanta Régina Nacro.

Deux filles blanches dans un bus, une bande de quatre jeunes maghrébins monte. Et voici la drague violente, semi-sérieuse qui commence. Violence symbolique d’abord, puis le ton monte, et toujours aucune des deux jeunes femmes ne répond.

Premier intérêt : des relations de pouvoir sont mises à nu. Pouvoir des hommes sur les femmes surtout,mais aussi entre hommes (deux caïds, un moqueur, un récalcitrant). C’est cependant la chute de l’histoire qui donne toute sa dimension au court métrage.

Sur le point de se faire frapper, la jeune femme harcelée répond, excédée... mais en arabe. Et voilà les caïds bouche bée, scotchés. Fanta Regina Nacro nous fait comprendre en un instant, par un tour de force étonnant, sur quels préjugés s’appuyait la violence exercée sur ces femmes. C’était en tant que femmes blanches, donc différentes, qu’elles étaient violentées. Et dès l’instant où une partie de cette frontière disparaît, la donne entière des relations de pouvoir se modifie.

Ce que démontre brillamment la jeune réalisatrice, c’est la violence contenue dans le préjugé, dans la présomption que l’autre est différent. Par le simple fait de la prise de conscience que l’autre n’est ni lointain ni dissemblable, tout un jeu de pouvoir s’estompe. Et voici le film qui s’achève par la voix off de l’un des comparses (le moins virulent) qui répète inlassablement " Vous faites des trucs chelou, les gars, vraiment chelou "...

Trois huit

Film français de Philippe Le Guay

2001 - 95 min.

Trois huit n’est pas un film sur le travail. Fiction inspirée d’un fait divers réel, Trois huit retrace plutôt la mise en place d’un rapport de domination, où le harcèlement moral et physique intègre chaque jour un peu plus la vie de la victime : Fred clame haut et fort son amitié pour Pierre, ouvrier récemment arrivé dans l’équipe, alors qu’il ne manque pas une occasion de l’humilier.

L’un des intérêts majeurs de ce film est de révéler pas à pas les mécanismes de construction de l’identité masculine. Arrivant aux vestiaires de l’usine, Pierre récupère un ancien casier, et arrache les photos pornographiques collées à l’intérieur. C’est ce premier geste qui va tout déclencher. Par son refus de conserver ces images emblématiques d’une virilité exacerbée, Pierre attire dès le premier instant l’attention de Fred : par ce geste, il refuse tout bonnement l’appartenance stricte à la communauté masculine.

Pierre n’a pas totalement intégré toutes les valeurs viriles, et se retrouve pris dans une spirale qui l’amène à douter de son identité même. Son fils Victor trouve le " méchant " Fred (qui fait de la muscu et de la moto) beaucoup plus proche du modèle viril canonique, et en vient donc à vouloir renier son père.

Trois huit, par le parcours simultané de Pierre et de son fils, est une magistrale démonstration de la pression sociale qui amène une personne à intégrer certaines normes. Farid, collègue de Pierre, le met ainsi en garde : "c’est toi qui va devenir l’arabe si ça continue".

Les hommes construisent leur identité en se soudant au travers de la communauté masculine ou "maison des hommes". La violence est alors primordiale dans l’apprentissage des codes masculins : violence contre les femmes, contre les autres hommes et contre soi. Ces catégories développées par le sociologue Daniel Welzer-Lang sont des clefs inestimables pour comprendre les enjeux sous-jacents de ce film.

La plupart des étapes de la socialisation masculine y sont révélées. Le sport, entre père et fils ou entre camarades d’usine, les magazines pornographiques découverts dans le cartable de Victor, le dénigrement des tâches ménagères ("une vraie petite femme"... dit Fred au sujet de Pierre), l’admiration de Victor pour son père (alors qu’il relate une bagarre de rue) en opposition avec son mépris ultérieur (quand il découvre que Pierre ne veut pas casser la gueule à ce Fred qui l’humilie), la pression permanente qu’exerce Fred sur Pierre pour l’inciter à se battre, à "être un homme"... Toutes ces situations montrent l’apprentissage des codes virils ou leur application. Philippe Le Guay le dit de manière moins affirmée : "Ce que Fred fait subir à Pierre, c’est aussi une sorte d’épreuve initiatique".

Enfin, poussé à bout, Pierre se rend chez Fred pour se battre, et celui-ci, en réponse, se gifle, puis se cogne la tête sur le mur, clamant qu’il ne se défendra pas. Ici, Fred prouve à Pierre qu’il le domine en exerçant de grandes violences sur son propre corps. Ainsi il reste encore supérieur à lui dans la pratique des codes virils. Et, comme pour faire écho à cette situation, dans une tentative désespérée pour retrouver une identité d’homme, Pierre en vient à attraper à main nue une bouteille chauffée au rouge, avec un regard de défi en direction de Fred. Ce passage très fort montre bien ce à quoi Pierre est acculé pour prouver qu’il est capable de violence sur sa personne, qu’il est lui aussi membre de la maison des hommes.

On peut cependant reprocher deux choses à ce film. La première étant d’avoir fait de Fred un marginal, ce qui situe d’emblée l’oppression qu’il fait subir à Pierre comme une anomalie et non pas un fait structurel. Ensuite, sur la fin, les relents de happy end sont trop prégnants pour être innocents. Pierre est redevenu le maître chez lui, sa femme et sa mère sont fières de son indépendance et de son autorité, et il propose même à Fred qu’ils se revoient pour aller boire un coup ensemble. Si l’on excepte le visage de Pierre, sur le dernier plan, qui semble perdre son sourire avant de se figer pour le générique, cette fin apparaît beaucoup trop naturelle pour permettre une véritable prise de conscience : alors que Pierre a acquis des comportements presque dignes de Fred, on pourrait presque croire que tout est bien qui finit bien...

Pirouli (Paris)


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