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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°87 - Mai 2001
(ancienne formule)
> On se lève tous pour dire : STOP

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Danone, Marks&Spencer, Moulinex...

On se lève tous pour dire : STOP


Comment se montrer solidaires des salariés de Danone, Marks&Spencer, Moulinex ou d’autres boîtes qui licencient ? En dehors des manifestations, comment peser sur les multinationales ? Si on a vu fleurir des appels au boycott présenté comme une arme du consommateur face aux entreprises "non citoyennes", ne devrait-on pas aussi mettre en avant des actions de réappropriation des richesses ?


Les campagnes de boycott dans l’hexagone ont toujours été marquée par une faible participation à la différence de pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne ou les pays nordiques. Car le boycott suppose pour être efficace un mouvement massif pour handicaper réellement les firmes transnationales. L’année dernière lors du naufrage de l’Erika, un appel au boycott avait été lancé contre Total. Non seulement celui-ci n’a eu aucun effet, mais les bénéfices de Total n’ont jamais été aussi juteux que cette année (+67 milliards). En l’absence de démarche collective, de campagne-relai devant les stations, la désapprobation citoyenne face à la marée noire s’est arrêté là où commencait les intérêts particuliers des automobilistes. Dans le cadre de Danone, la donne est quelque peu différente. Une fraction de la gauche plurielle s’est rangée derrière les salariés et a voulu être au premier plan de la contestation pour se racheter à bas prix de toutes les acceptations libérales depuis 1997.

Mais entre la compassion pour les salariés et la leçon de morale : "c’est honteux de licencier quand une entreprise fait des bénéfices", la gauche plurielle ne prend toujours aucune mesure politique réelle pour stopper les restructurations dont l’objet est de faire baisser la masse salariale au profit du capital pour les actionnaires. Comme le disait déjà Jospin à propos de Michelin : l’Etat ne peut pas tout faire.

Rejoignant une fois n’est pas coutume les positions du MEDEF pour qui le boycott est indécent et illégal - la vie de centaines de salariés jetés à la rue n’étant pour ces carnassiers que juste récompense pour les actionnaires-, la CFDT dénonce le boycott. Car l’entreprise Danone est citée pour ses relations cogestionnaires par la CFDT (il paraîtrait que A.Riboud, l’ancien PDG était de gauche), qui revendique une participation plus grande du syndicat dans l’évolution du groupe, et notamment au point de vue financier et stratégies de développement. Le syndicat devenant de plus en plus un des outils pour la conquête de nouveaux marchés, ce que dit en d’autres mots JF Amadieu, prof à l’université Panthéon-Sorbonne qui écrit dans Libération du avril 2001 "Les syndicats devraient jouer un rôle croissant et déterminant dans la mise en place de système de cotation ou de notation sociale des entreprises. Il ne s’agit pas de boycotter des entreprises mais plutôt de parvenir à les labeliser convenablement." Il est sûr que l’annonce brutale de licenciements fait tâche dans le tableau et renvoie la CFDT à son rôle de béquille du patronat. La CGT a par contre, elle, inscrit sa démarche dans un double sens Boycott de solidarité et manifestations. Alors qu’en est-il de ce boycott ?

On peut dire qu’il y a plusieurs aspects dans l’actuel boycott des produits Danone, qui recouvre un panel très large de positions.

1) Le boycott s’inscrit dans la démarche du citoyen-consommateur. Celui-ci doit se faire entendre non pour changer les règles du jeu, mais pour les améliorer, pour que les entreprises dont le profit maximum reste l’unique motivation, devienne "écologiste" et "respectueuse" des êtres humains. C’est-à-dire que les licenciements, l’exploitation devienne soft et tout en douceur, que Franck Ri(p)boud le PDG, dégraisse - licencie - sans faire de vagues. On ne parle pas d’exploitation, de société capitaliste basée sur la production et la consommation, élément essentiel à la reproduction du capital où il s’agit de multiplier les objets de désirs, de créer des besoins, de les renouveler sans cesse dans tous les domaines marchands. Et les multinationales qui contrôlent la production et la distribution deviennent les véritables maîtres comme le suggère B. Heilbrunn dans Libé du 19 avril 2001 "Peut-être sommes-nous alors à l’orée d’une démocratie marketing fondée sur la prise de pouvoir des marques gouvernantes ?" Démocratie marketing ou dictature qui repose sur la domination des transnationales qui contôlent l’ensemble des activités humaines ? Comment associer le mot démocratie et marketing dont l’objet est de présenter un produit pour en tirer la meilleure vente et que la démocratie devrait être un ensemble d’éléments appropriés par le citoyen pour qu’il puisse exercer des droits politiques, sociaux, culturels.

2) Le monde n’est pas une marchandise disent les militants d’ATTAC, mais la marchandise est bien devenue notre monde de référence et notre unique horizon. Alors que pendant longtemps la lutte politique avait comme objectif la réalisation d’un autre Futur, les citoyennenistes (entre autres), et les partis politiques de gauche font de la régulation du système leur objectif majeur. La dénonciation du capitalisme comme système de valeurs fait ringard et la lutte des classes rangées au rayon des antiquités. Le citoyen devient le modèle et l’acteur politique. Dans la campagne pour le boycot de ces associations citoyennenistes, on retrouve toutes les ONG’s para-institutionnels dont l’objet est le lobbing au travers d’envois de cartes, de campagnes ciblées, etc. et qui ces derniers temps on choisit de se lancer dans la mise en place de l’éthique sur les étiquettes. Comme le dit Claudia Senik dans Libération du 20 avril 2001 "Si les citoyens estiment qu’il faut aller plus loin, il existe de nombreux moyens d’infléchir la manière de produire des entreprises. Pour ne donner qu’un exemple imaginons un label "éthique" ou "social" ... Les véritables préférences sociales des consommateurs s’exprimeront alors par l’achat des produits labellisés, quitte à les payer un peu plus cher à cause des contraintes que s’imposent les frimes éthiques". L’expérience de Nike New Balance et autres fonds de placement éthiques prouve qu’il est possible d’infléchir les conditions de travail des salariés en respectant les choix individuels des producteurs et des consommateurs." Dans le même ordre d’idées, un tract signé entre autre par la ATTAC, la CNT, les Alternatifs, la LCR… à Nantes en appelle au boycott, "moyen concret d’action pour tous les citoyens. A terme il peut obliger les actionnaires à modifier leur choix et à prendre en compte les aspects sociaux et environnementaux des politiques des entreprises. " Donc le capitalisme n’est pas en soi condamnable, seuls ses excès et son manque de morale doivent être revus et corrigés par les consommateurs-citoyens. Il faut donc favoriser l’émergence d’un mouvement consommateur qui agirait comme contre-pouvoir, comme on peut le voir aussi dans le cas des OGM ou de la vache folle. Une partie de la classe moyenne de gauche, pilier de l’association ATTAC, se veut être le représentant de ce mouvement d’opinion. "Le boycott reflète un refus du fatalisme de la part d’une large partie de l’opinion publique et sa volonté d’une action concrète." Pierre Khalfa, Libé 17 avril, membre d’ATTAC.

3) Mais à travers cette question, doit-on seulement poser la question des licenciements d’une entreprise ayant fait 4,6 milliards de bénéfices et qui veut encore réduire sa masse salariale pour augmenter les profits, ne doit-on pas s’emparer de ce débat pour poser toutes les questions y attenant : Quel type de production et de distribution pour quel type de société ? Quel type de croissance et de progrès ? Quelle place a le Travail dans la production des richesses et quelle finalité à ce dernier ? Il nous semble que soutenir les salariés de Danone ne doit pas empêcher d’avoir de nouvelles propositions à débattre. Car enfin, les restructurations ne sont pas une nouveauté. Déjà dans les années 70, on disait "Halte à la casse des usines" avec des manifestations monstrueuses sans que cela n’ait arrêté le Capital et les gouvernements. Car faut-il sauvegarder des emplois ou faire que les richesses créées par les salarié-e-s de Danone ou d’autres firmes transnationales leur reviennent. C’est-à-dire développer les idées et pratiques de réappropriation de la richesse sociale et économique par ceux qui la produisent, faire cesser l’emprise du capital financier sur le capital productif et développer au niveau international une solidarité entre les travailleurs, mais aussi de toutes celles et tous ceux d’en bas pour refuser les diktats libéraux. Car le leurre est de penser que les actionnaires peuvent être toucher par le boycott. "Quand les actionnaires en auront marre de perdre de l’argent, de voir l’image de Danone se dégrader, ils feront retirer le plan par la direction." dit un élue CGT de Lu à Calais (mercredi 11 avril). Mais les actionnaires n’ont que faire du boycott qui touchera en premier lieu les salariés de Danone, car eux iront investir ailleurs sans états d’âme.

Notre arme c’est la solidarité. Le boycott s’il s’affirme comme un acte individuel n’aboutira pas aux objectifs qu’il se fixe. Pour être efficace, il doit donner lieu à la création de Comités, de collectifs (réunissant des associations ou des individu-e-s). Il ne doit pas agrandir le fossé entre les travailleurs d’une même multinationale, mais permettre de créer les liens aujourd’hui très faibles déjà au niveau d’une région, encore moins au niveau d’un pays et presqu’inexistant au niveau international.

Soutenir les travailleurs, c’est refuser l’écrasement et l’arrogance de ceux qui gouvernent (financiers, politiciens...), qui à l’image d’un Madelin arborrent fièrement un sourire en parlant du retour au plein emploi quand des millions de personnes vivent dans la pauvreté et d’autres dans une précarité extrême. Mais la vie de ces personnes dominés, exploités, sérialisés dans un rapport extrême à la société de consommation de masse mérite d’autres réponses politiques qu’un ouvriérisme éculé à la Lutte Ouvrière. Réponses politiques et syndicales nouvelles, révolutionnaires tant dans les pratiques (action directe) que dans les idées (partage des richesses, autogestion). C’est bien de nouvelles convergences qu’il s’agit de faire naître lors des conflits sociaux entre des syndicats de lutte, des associations et des mouvements de résistance et de contre-pouvoirs pour offrir des alternatives au citoyennisme et aux idées de replis sur soi, toujours aussi présentes dans le corps social.

Petit Lu vengeur


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