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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°16 - Janvier 2003 > La prostitution

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La prostitution


Aspects économiques, maffieux...kapitalistesLe phénomène prostitutionnel recouvre différentes réalités. Ce qui permet d’une façon générale de définir la prostitution, quelle que soit la façon dont elle s’exerce, c’est un paiement versé en contrepartie d’un acte sexuel. Nous ne traiterons ici qu’un seul des aspects du phénomène prostitutionnel : la prostitution générée par les réseaux maffieux et gérée par eux. La prostitution est un phénomène de type capitaliste : recherche du profit maximum, au moindre coût.


Nous pouvons même, tout du moins dans les cas de prostitution forcée qui nous intéresse, parler d’appropriation des moyens de production. Ici, les moyens de production, les produits mêmes sont les femmes (ou, dans une mesure moindre mais néanmoins grandissante, les hommes), et les propriétaires en sont les groupes maffieux. Nous verrons à quel point ce microcosme s’insère parfaitement dans le système économique capitaliste plus général qui sévit au niveau mondial.

1) Les réseaux maffieux, entreprises capitalistes...



Le recrutement profite de la pauvreté :

L’imagerie collective se souvient des campagnardes, fuyant la misère boueuse, arrivant à Paris, trouvant réconfort auprès d’hommes qui avaient tôt fait de les prostituer.

A l’heure actuelle, la translation se fait à une échelle beaucoup plus large. Lorsque l’on regarde l’origine des prostitu-é-es, il apparaît nettement que l’Est et l’Afrique (subsaharienne particulièrement) fournissent de grandes quantités de personnes et que celles- ci échouent sur les trottoirs européens. Or la misère économique que connaissent ces endroits n’est plus à démontrer. Le rapport de l’Assemblée Nationale (1) insiste sur les lourds déséquilibres économiques, et considère là le principal facteur de migration. Ce même rapport évoque le cas de femmes chinoises de 30 à 40 ans, arrivées en France, et sur le marché de la prostitution, peu après la fermeture massive d’usines du nord du pays...

Ne nous y trompons pas : le miroir aux alouettes de l’Europe occidentale est entretenu par les réseaux de passeurs, et de proxénètes. Plusieurs méthodes sont mises en oeuvre, pour faire venir ces personnes en Europe, et pour les prostituer :

- les personnes expriment le souhait d’émigrer en Europe occidentale. Mais vue la législation en vigueur, il apparaît souvent plus simple de se tourner vers des réseaux de passeurs... qu’il faut ensuite rembourser. Mais tout est prévu, le moyen le plus rapide est la prostitution. Il arrive qu’après avoir remboursé le passeur, les personnes soient libérées. Mais ce n’est pas toujours le cas.

- les réseaux de proxénètes anticipent le souhait des personnes et proposent eux-mêmes des postes de personnel de service, de masseuses, d’hôtesses, à des jeunes filles qui ne demandent qu’à améliorer leur situation économique. Ces fausses annonces ont un tel succès en Bulgarie que le gouvernement bulgare a initié une campagne pour " reconnaître " les fausses annonces, a instauré un système de reconnaissance, etc.

L’appât de la " richesse " apparaît bien comme un facteur de migration, et même parfois d’enclenchement pour une personne de l’entrée dans la prostitution.

La prostitution trouve donc un creuset formidable dans l’inégale répartition de la richesse entre les zones du globe. Osons citer l’OIT (2) : " les femmes ayant peu ou pas d’éducation gagnent souvent plus grâce à la prostitution que par tout autre emploi qui leur serait proposé ". Dans certains pays, comme ceux du sud - est asiatique, cette remarque paraît assez cynique : en effet, ces pays ayant adopté et appliqué à la lettre les recommandations du Fonds Monétaire International, comment s’étonner que les femmes ont peu accès à l’éducation, que les emplois qui leur sont éventuellement proposés, ne soient pas des mieux payés...
Les systèmes de prostitution savent parfaitement exploiter la détresse économique des femmes et des hommes qu’ils prostituent. Pas de salaire minimum, pas de garantie de conditions de travail dans cette " petite " entreprise. Mais une réelle organisation, une gestion du personnel, et des profits... similaires aux entreprises les moins sociales.

Gestion du personnel et profit maximum



Apres avoir convaincu les femmes de les emmener en Europe, celles -ci passent par divers " centres de formation " : des maisons de dressage, puis des marchés aux femmes, des entrepôts de stockage (3), des changements de ville fréquents, une rentabilité maximale : la chair vieillit vite, et rapporte de moins en moins.

Le rapport du Sénat lors de la description du fonctionnement des réseaux utilisant sciemment un vocabulaire jusque là réservé à l’entreprise (4).

Le rapport de l’Assemblée Nationale évoque un marché aux femmes, en Bosnie (5), des phénomènes de sous-traitance, où les organisateurs restent dans le pays d’origine ; les femmes transitent de mains en mains, jusqu’à être placées sous la surveillance d’un sous-fifre, dans le pays d’exercice. Elles peuvent parfois servir de monnaie d’échange (6).

Recrutement, rotation des lieux de prostitution pour échapper à la police, pour éviter que se nouent des liens avec les associations sur le terrain, répondre à la demande, maison de dressage-" centre de formation "... Tant dans le vocabulaire utilisé que dans la façon de gérer les femmes, il apparaît clairement que les réseaux maffieux utilisent les mêmes critères que les entreprises capitalistes. Lorsque l’on voit les sommes en jeu...

Le sénat (7) rapporte que l’Office de Contrôle et de Répression de la Traite des Etres Humains (OCRTEH) évalue que la prostitution rapporte de 15 à 20 milliards de francs par an, en France, dont 70% échoient aux proxénètes. Chaque prostituée rapporte entre 3 000 et 5 000 francs par jour à son proxénète.

L’Assemblée Nationale (8) estime que le seul acheminement des prostituées de l’Est a rapporté aux filières maffieuses plus d’1, 5 million de dollars.

En ce qui concerne les filières africaines, auxquelles les prostituées peuvent racheter leur liberté, le rapport est de 1 à 5 : les filles sont achetées 7 000 $ et le rachat de leur liberté est de 35 à 40 000 $.

Ne serait-ce qu’en ce qui concerne les revenus issus du système prostitutionnel maffieux, leur montant est impressionnant. Mais les revenus de la prostitution légale et réglementée rapporte également énormément. A tel point que l’OIT préconise, dans son fameux rapport de 1998, que l’industrie du sexe soit économiquement reconnue, afin que le PIB des pays en voie de développement augmente officiellement.

2) ... bien insérées dans le système capitaliste

Dans les états européens

1) Pays réglementariste

En Allemagne et au Pays-Bas, la prostitution est réglementée : elle est non seulement autorisée, mais les femmes et les hommes qui s’y livrent bénéficient de suivi de santé, d’une certaine sécurité sociale, etc, Les revenus faramineux ne sont pas seulement le fait de l’illégalité : dans la légalité, c’est aussi une véritable industrie (9).

A Amsterdam, par exemple, la location d’une vitrine équivaut à six passes par prostituée. Celles-ci s’y relaient. En Allemagne, l’Eros Center de Francfort rapporte 200 DM par jour et par chambre. Il y a une cinquantaine de chambres. Dans cette ville se trouvent une trentaine d’Eros Center. Trois cent mille DM par jour rentrent ainsi dans les caisses d’une seule ville allemande. Et ce sont les chiffres officiels !!! Sans rentrer dans la polémique, la réglementation de la prostitution n’empêche ni ne gêne la prostitution clandestine issue ou non des réseaux maffieux.

2) Pays abolitionnistes

En France, pays abolitionniste, la question des revenus est délicate : les prostitué-e-s doivent s’acquitter d’impôts au titre de bénéfices non commerciaux (BNC). Rappelons que la prostitution n’est pas interdite, que seuls le proxénétisme et le racolage le sont. Bref, les prostitué-e-s payent des impôts, mais ne bénéficient d’aucune aide, ni pour les retraites, ni pour les incitations au retour à l’emploi... Les débats sont vifs : abolir cet impôt serait-ce encourager la prostitution, faire bénéficier les prostituées de la sécurité sociale reviendrait à accepter, à légaliser la prostitution... (10) ?

Au niveau international



1) La Western Union Company

Les proxénètes, les Etats, ne sont pas les seuls à profiter de l’argent issu de la prostitution. En effet, dans tout ce brassage d’argent, les banques en prennent une part. Notre objet n’est pas ici les phénomènes de blanchiment d’argent ; nous évoquerons simplement le cas de la Western Union (11). C’est une compagnie privée de transferts de fonds. Elle transfère très rapidement les fonds déposés à l’intention d’une personne. La personne bénéficiaire n’est pas obligée de produire une pièce d’identité. " La Mission [de l’Assemblée Nationale] s’est vue confirmer le recours systématique aux services de la Western Union de la part des filières de prostitution originaires de l’Europe de l’Est ".

Certes, la Western Union ne s’est pas crée dans le but de faciliter les transferts de fonds issus de la prostitution. Néanmoins, c’est bien l’opacité des systèmes bancaires qui permettent aux riches de disposer de fonds acquis sur le dos d’autrui... ou entre leurs jambes.

2) LES PVD



Que ce soit dans les pays d’Europe de l’Est ou dans les pays du sud-est asiatique, les chiffres sont parlants. Nous avons déjà vu l’argent généré par l’acheminement des femmes de l’est vers l’ouest. Dans certaines zones géographiques, le commerce du sexe est devenu la principale source de revenus, notamment de devises. Nous ne sommes là pas seulement dans le cadre de la prostitution organisée en réseaux d’export de femmes, il s’agit également de pays où la prostitution fait parfois partie des circuits touristiques, comme en Thaïlande. Restons dans ce pays : la prostitution est la première source de devises, et rapporte au pays plus de 5 milliards de dollars par an (12).

Le rapport de l’OIT



Les richesses ainsi générées sont telles que l’OIT voit dans la reconnaissance économique de la prostitution " industrie du sexe " un moyen de voir augmenter les PIB desdits pays. Sans se poser trop de questions (13) sur les raisons qui poussent les femmes à se prostituer, l’OIT remarque par exemple qu’il est dommage de ne pas autoriser explicitement les hommes à acheter des femmes parce que le pouvoir d’achat de ceux-ci augmente.

Nous retombons sur le point que nous abordions en premier lieu : de la même façon que l’inégale répartition des richesses sur le globe pousse des femmes à se prostituer, ou à tomber dans les réseaux de prostitution, cette pauvreté au niveau des Etats poussent des instances (comme l’OIT) à préconiser la reconnaissance de la prostitution, " industrie du sexe ", au même titre que n’importe quelle autre industrie afin de voir le PIB de ces Etats augmenter.
Les situations économiques désastreuses de ces Etats ne tombent pourtant pas du ciel : pillage des économies du sud par celles du nord, politiques de réajustements structurels préconisées par le FMI et appliquées à la lettre, ont certes plus aidé à la croissance du phénomène prostitution, qu’à la mise en place de politiques sociales, d’éducation massive, de politiques spécifiques pour les femmes.

Mél.

Références :

-Assemblée Nationale, rapport d’information n¡3459, du 12 décembre 2001, déposé par la mission d’information commune sur les diverses formes de l’esclavage moderne

- Sénat, rapport d’activité sur les " politiques publiques et la prostitution ", cf : www.senat.fr/rap/r00-209/r00...

- http://www.catwinternational.org/ site de The Coalition Against Trafficking in Women (CATW), où l’on trouve la critique du rapport de l’OIT, non disponible en français.

- LONCLE, François , " Prostitution sans frontière, " in Le Monde Diplomatique.

- MONTREYNAUD, Florence, A vendre, Glénat, Grenoble, 1993, 104 p.

1-Rapport d’information par la mission d’information commune sur les diverses formes de l’esclavage moderne.

2-OIT, rapport de 1998

3-Rapport de l’AN p 40

4-Rapport d’activité du sénat, sous la direction de Dynah Declercke, sénatrice : politiques publiques et prostitution, consultable sur : www.senat.fr/rap/r00-209/r00..., pp 19 et suivantes.

5-Assemblée Nationale, p.28 et 29

6-Assemblée Nationale,p.31

7-p.20

8-p. 34

(9) les chiffres qui suivent sont tirés de A vendre, de Florence MONTREYBAUD

(10) voir pour plus de détails le rapport du sénat, p. 40 à 43

(11) Assemblée nationale, p 35

(12) voir la critique du rapport de l’OIT par CATW, page 4.

(13) ce rapport n’étant pas disponible en français, je n’e l’ai pas lu, et ce que j’en sais est tiré de la critique précitée.


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