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Hors piste

Entretien avec un médiateur du métro toulousain


"Médiateur" est un terme largement usurpé, car la personne interrogée exécute plutôt un travail de sécurité, de suppléance aux forces de l’ordre déjà présentes dans l’enceinte du métro toulousain. Cette interview est le fruit du hasard, d’une rencontre fortuite. Elle n’a pas vocation à faire plaindre la personne interrogée mais plutôt de montrer ce que pense un individu de son travail, qui consiste à fliquer des personnes qui ont à peu près les mêmes conditions de vie que lui.


La personne interviewée a souhaité conserver son anonymat.

No Pasaran : si l’on commençait par les présentations ?
Haffid : j’ai 26 ans et je suis célibataire. Je suis médiateur depuis 1998.

Cela consiste en quoi, faire de la médiation dans le métro ?
Notre taf’, on peut le résumer en quatre mots : prévention, accueil, médiation, sécurité. Par contre, si l’on fait le contrôle des tickets, on a pas le droit de mettre des PV. C’est au contrôleur de le faire, et on travail avec eux.

Présente-nous ton employeur…
C’est l’association " Vivre en ville ". Elle loue les services d’une soixantaine d’adhérents à la société SEMVAT, une entreprise d’économie mixte qui exploite le métro et le bus toulousain. Parmi eux, 25 à 30 personnes bossent pour les transports, alors que les autres sont à l’EDF, l’Office des HLM ou l’association " Métro Vélo ". " Vivre en ville " est une association d’insertion très connue sur Toulouse, qui a été lancée lors de l’ouverture du métro en 1993.Ce sont des jeunes des quartiers qui y travaillent. Généralement, ils sortent juste du lycée ou d’un boulot précaire. Ce sont souvent des anciens délinquants aussi. La plupart sont embauchés en CDI/emplois-jeunes, qui se termineront en 2003. (...)

Quelle formation avez-vous reçue ?
Aucune. Personnellement, je connaissais déjà un peu le boulot car quand j’étais nettoyeur j’avais pas mal observé les médiateurs ou encore les vigiles. Pour le reste, j’ai appris sur le tas. Au début, on nous a filé un planning, un parka et débrouille-toi ! Mais maintenant, les nouveaux sont formés – d’ailleurs c’est moi qui m’en occupe. On a eu qu’un type de formation. On est passé devant un psychologue pour qu’il étudie nos réactions, pour voir si l’on savait garder nos nerfs et notre sang-froid en cas de situation tendue. Cela se faisait sous forme de théâtre (ndr : ou " jeu de rôles "). L’un d’entre nous jouait le rôle du médiateur, et l’autre celui d’un fraudeur, sous forme de dialogue. Le psychologue voulait savoir comment l’on réagissait, et on a pas mal appris avec ça…

Pourrais-tu nous décrire tes conditions de travail ?
On travaille 7 heures par jour, avec des horaires alternant suivant des périodes (5 h – 12 h ; 12 h -19 h). Le soir, on est remplacé par les vigiles, qui tournent jusqu’à minuit, heure de fermeture du métro. En plus de travailler dans le métro, il nous arrive de tourner en voiture, afin de suivre les chauffeurs de bus pour intervenir en cas de problème. Mais ces temps-ci, nous subissons beaucoup de pression suite au plan Vigipirate, depuis les événements du 11 septembre.

Quel style de pressions ?
La direction du métro a supprimé les poubelles. Maintenant, nous sommes obligés de faire des rondes supplémentaires afin de voir s’il n’y a pas d’objets qui traînent : de la poudre blanche, des matières suspectes, etc. Nos conditions de travail se sont également dégradées : avant nous avions droit à un quart d’heure de pause, maintenant c’est cinq minutes par jour. (...)

Quel est le nombre de caméras ?
Je ne sais pas, j’ai jamais compté… Attends… Il y a au moins 5 caméras par station, sans compter celles des halls, ça fait facile 150 caméras. Et elles sont toutes reliées directement au poste de police. En plus, il y a un petit commissariat dans une des stations, mais les flics ne sont pas très nombreux.

Tu me parlais de médiation dans ton travail…
Oui, c’est vis-à-vis de la fraude ou encore des gens qui zonent. Des fois ça dégénère, si la personne ne veut pas payer son ticket. Mais on pas le droit de toucher la personne, même si elle vous frappe, c’est ça que je reproche. Nous on fait notre boulot, mais ça doit être donnant-donnant. Eux ils ne font pas leur boulot.

Qui ça,"eux" ?
La direction, les pouvoirs publics.

Quel "type" (sic) de personnes fraudent ?
Ah ! (ton sérieux) Tout type de personnes, tout type de personnes sauf les aveugles ou les handicapés. Il n’y a pas que les jeunes. Non, ce n’est pas les jeunes qui font tout. Y’en a, ils ont les tickets, ils te font quand même chier. Ils refusent de te le montrer, etc. Ce sont souvent des vieux d’ailleurs, ils font tout pour te faire chier ceux-là.

Des vieux ?
Oui, parce qu’ils sont racistes. (...)

Apprécies-tu le travail que tu fais ?
Moralement, c’est très dur. On travaille un week-end sur deux, et on peut bosser neuf jours d’affilé avant d’avoir deux jours du repos, qui peuvent tomber soit en semaine, soit le week-end. La journée de travail dure sept heures, mais le travail est particulièrement pénible puisqu’on doit rester sept heures sans rien faire ou presque, immobile en tout cas. Tu vois, c’est pas comme un ouvrier qui bouge ou qui fait quelque chose de ses mains. Le temps passe pour lui, il bosse, il regarde la pendule, elle a bien avancé et il n’a pas vu son heure passer. Nous on regarde aussi la pendule mais elle reste immobile. On doit rester debout comme ça et faire bonne mesure devant les clients. ça n’a pas l’air mais c’est très dur. Je gagne 5.500 francs net, le SMIC quoi. Avec les tickets resto cela me fait l’équivalent de 5900 F. Heureusement qu’ils sont là, les tickets resto. Le CDI, je ne vois pas à quoi ça me sert. C’est pas vraiment un boulot, ce que je fais. On est comme des statues, pendant sept heures, debout. On ne fait rien d’autres que surveiller. C’est pas comme si je faisais du jardinage, du nettoyage ou du bâtiment. On n’a aucun retour dans notre travail.
Après il y a d’autres problèmes : par exemple les week-ends travaillés ne sont pas comptés dans les congés. Ils font ce qui les arrange. Tout est calculé pour arranger les patrons, la SEMVAT. Ils sont très très malins. Si un agent porte plainte, ils sont très très forts, la plainte se retourne contre l’agent. Le témoin, c’est la caméra pas l’agent. On ne peut rien faire car ils diront dans ce cas-là " désolé on a rien filmé ". C’est arrivé que des gens sortent de leur boulot et se fassent attraper et massacrer par des jeunes qui les attendaient à la sortie. Un collègue, comme ça, 21 jeunes lui sont tombés dessus. Ils lui en voulaient vraiment et il a failli y passer. De plus, on risque de nous reconnaître dès que l’on sort. Même sortir en boîte de nuit, ça peut être risqué parfois.

Et toi, as-tu eu des problèmes ?
Non, ça a été très rare. Si, une fois, un client qui m’a branché et qui a dû me confondre avec un autre. Il a dû confondre.

Mais tu as quand même des conditions de vie assez dures…
J’ai essayé de trouver un appartement, mais c’est impossible, surtout depuis les événements du 11 septembre. Le seul moyen, c’est de dormir à droite à gauche. Trouver un appartement si ça se libère. J’ai rempli tous les dossiers. Mais la priorité, elle va aux familles qui ont des enfants. Mais avec le SMIC ce n’est pas évident de conserver son appart’. Il faut aussi manger, payer les impôts etc. Là c’est la moitié du mois et j’ai déjà plus rien, plus rien… Mais bon, on essaye de survivre… Certaines personnes, elles magouillent pour avoir plus de fric. En tout cas, l’Etat il fait des magouilles, plus que les délinquants.

Que souhaiterais-tu faire, si tu en avais le choix ?
Redevenir agent de nettoyage. Je n’avais pas tous ces problèmes. (silence). Mais après, pourquoi pas faire de la médiation ou du social. Même si je dois passer des concours, je le ferai. Au moins, je ne serai plus dans le métro…

Propos recueillis par Raphaël


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