Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2002N°8 - Avril 2002 > Un seul projet et deux nuisances

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Un seul projet et deux nuisances


Les barbares habitant les cités exilées au large du Business n’en croient pas leurs yeux. De la zone, des terrains vagues entre friches industrielles et casses de ferailleurs, "on" veut faire un centre d’affaires. A eux, auxquels personne ne s’intéresse ni ne demande quoi que ce soit, on ôte, d’un seul coup trois virgules, trois hectares de verdure que le hasard urbanistique a bien voulu laisser aux pieds de leurs immeubles désolés. Cette friche dont personne ne voulait, inconstructible pour partie, trop proche des habitations ou des voies rapides du périphérique...


Il faut savoir qu’à Saint-Ouen il n’y pas d’espace vert digne de ce nom. Et cette ville est bonne dernière du département en la matière avec moins de 3m2 par habitant. Mais encore, le projet est décrit en terme si mégalomaniaque qu’il semble impossible de le voir émerger : faire de cette porte de Paris "la Défense du troisième millénaire" en y réunissant les sièges sociaux des premières entreprises françaises. Si Citroën, Valeo, etc., elles, sont bien présentes, la Société Générale débourse 27440, 82 euros, quotidiennement, pour 32000 m2 qu’elle n’occupe toujours pas dans un des nouveaux bâtiments pompeusement baptisé Euroatrium (l’Entrée de l’Europe à la porte de la Seine Saint-Denis !?!) !
Foin de concertation, il est prévu de construire des immeubles là où il n’y avait rien et un boulevard où il ne passe jamais de voiture.
Et c’est là le second danger, et non le moindre. Celui de voir débouler 2800 véhicules/heure (chiffre de la DDE au pont de Genevilliers), au même endroit où, dix ans auparavant, la municipalité s’était opposée à tout projet routier en surface, obtenu l’enfouissement du RER et demandé la création d’un parc urbain. Cet antagonisme pour empêcher la coupure des habitants avec les autres quartiers aurait disparu aujourd’hui ?
Dans le 93, la politique urbanistique désastreuse des années 70 a encore aujourd’hui des conséquences visibles. Cela remit à l’endroit les têtes ayant eu le projet d’un axe en 2x2 voies reliant Paris, ou de l’autoroute A15, vestiges d’une époque consacrée au Tout bagnole. Abandonné le projet ? Non, seulement réduit à 2 voies. Lorsque la vigilance aura baissé, lorsque chacun aura pu s’habituer au flot incessant, à l’existence de cette route au pied des HLM, alors la pression des communes voisines, aussi riches et déjà saturées, portera ses fruits pour un élargissement...

Une longue lutte

Bien sûr, l’intérêt de la collectivité locale est mis en avant ainsi que les avantages en termes de taxe professionnelle et de créations d’emplois. Mais l’exemple douloureux des zones franches en Seine-Saint-Denis, des innombrables vacances en immobilier de bureaux dans la commune, la triste notoriété du département en région parisienne laissent soupçonner de nouveaux mensonges auxquels les habitants semblent résignés.
C’est pourquoi les membres d’une association du quartier, Echanges, se sont unis à des habitants de Saint-Ouen, Paris, de la Seine-Saint-Denis, des élus et des militants associatifs, au sein du collectif Friche en Ville, afin d’être informés du projet d’aménagement et pouvoir discuter de son opportunité avec les élus locaux. Une liste citoyenne aux élections municipales 2000, Saint-Ouen Autrement, a même fait de la défense de la Friche du RER un de ses axes de campagne.
image 227 x 121Parfois attachés à cette friche comme des terriens pour y avoir planté des potagers dès avril 95, les membres du collectif multiplient les animations. Celles-ci permettent toujours une réappropriation du terrain par les habitants et de retrouver des liens de voisinage parfois oubliés. Par la fête, le pique-nique, la création collective (sculptures totémiques), le jeux (pétanque), les feux de joie, la culture...
En juin 2001, une fête-concert à lieu et réunie les principaux acteurs encore là aujourd’hui. En juillet, c’est une nuit du cinéma documentaire, avec projection en plein air qui relie ce petit bout de nature avec les autres lieux de la planète. En septembre, des habitants achètent et plantent une dizaine d’arbres fruitiers et buissons floraux. Puis, malgré l’hiver, chaque dimanche, une longue campagne de tracts et de pétition permet de réunir 2000 signatures. Parmis celles-ci il y a… Noël Mamère... En soutien à l’initiative, même José Bové se rend sur place pour y pique-niquer le 2 mars dernier…
Par l’usage quotidien qu’ils ont de cet espace les habitants prouvent qu’une autre utilisation de la friche est possible. Depuis, ils posent la question d’un projet alternatif, prenant en compte leurs besoins, collectivement et individuellement. Pourquoi ne pas réfléchir à ce qui manque sur le plan local avant d’offrir ces intéressantes jachères aux spéculateurs ? Du plaisir de la rencontre jaillissent de nouvelles envies. Utopiques ou réalistes, ce sont de joyeuses idées nées d’un militantisme festif : espace pique-nique, jardin d’enfant, fontaine à fond plat, plantation de cannabis, piste de patinage, parcours de santé pour les animaux domestiques, structures d’escalade, espaces initiatives individuelles... Certaines idées sont immédiatement mises en œuvre, sans demande préalable ni assurance de leur pérennité, comme la poursuite de plantation d’arbres.
Mais les promoteurs, deux sociétés d’économie mixte, la SIDEC et la SODEDAT, eux non plus, n’ont pas chômés. Ils réalisent l’aménagement des abords des bâtiments déjà construits, tracent, bétonnent, goudronnent une nouvelle rue, arrasent les rondeurs d’une butte, grillagent et closent des chantiers, plantent d’autres arbres...
Le constat fait par chacun, la cruelle évidence, est qu’il y a de plus en plus de béton et de moins en moins d’espace vert. Et c’est dur de vivre entre bitume et béton...
La qualité de la vie étant en jeu, se révèle alors l’urgence de stopper tout le projet réalisé sans concertation aucune et d’en proposer un nouveau. Celui-ci devra prendre en compte les usages réels du lieu par les habitants et préserver au maximum son aspect actuel. Il devra inclure les usages futurs et les propositions des habitants. A défaut, le nouveau projet devra tenir compte d’un dédommagement pour la perte d’un environnement, une compensation pour l’appropriation, la privatisation, d’un bien commun consacré par l’usage.

La répression

Mais les élus municipaux ne sont comme ça. Début 2002, les forces de l’ordre sont systématiquement requises lorsque les militants interviennent pour s’opposer aux bulldozers qui continuent de grignoter la terre vierge. En février, bien que journaliste, un militant se voit retirer sa pellicule, gardé à vue et même poursuivi pour des "dégradations" dans le chantier. En mars, de par les exigences du collectif, une parodie de concertation est organisée in extremis par la municipalité, mais n’autorisant ni la participation de ceux qui le souhaitent, ni de véritable représentativité au sein d’une assemblée composée avec les membres des nouveaux "comités de quartier", dévoués à la majorité municipale. Une information tardive est réalisée, mais va-t-on tenir compte des ambitions des habitants ?
Pendant plusieurs semaines, des inconnus saccagent les plantations, arrachent les arbres, déchirent les affiches et démontent les banderoles et panneaux, témoins de cette lutte du pot de terre contre le pot de fer.
Les milices mercenaires qui détruisirent les poétiques, certes, mais néanmoins vivaces plantations d’arbres fleuris ou frutiers posent la question suivante : Combien de poulbots de l’an 2010 auront la chance de connaître un arbre frutier ?
Parmi eux, seuls ceux qui ont des enfants auront l’instinct, et non l’intelligence, de regretter leur geste funeste et de se sentir minables.

Collectif Une friche en ville, 7 rue pasteur, 93400 Saint-Ouen - Tél : 01 40 12 31 18 - 01 40 11 79 03 - freeche.free.fr


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net