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Résistance à l’écran

Amen/Fatma/Frontières


Comme tous les mois, voici une sélection partielle (et partiale) de quelques films, plus ou moins récents, jugés intéressants au vu des thèmes sur lesquels lutte le réseau No Pasaran…
Pirouli (Paris)

Les films chroniqués ce mois-ci :

- Amen, Film français de Costa-Gavras – 2001 – 130 min.
- Fatma, Film franco-tunisien de Khaled Ghorbal – 2001 – 124 min.
- Frontières, Film français de Mostéfa Djadjam – 2001 – 105 min.


image 168 x 227Amen
Film français de Costa-Gavras – 2001 – 130 min.
Tiré du roman historique de Rolf Hochhuth, Amen raconte l’histoire de Kurt Gerstein (personnage historique, interpêté ici par Ulrich Tukur), officier de la Waffen SS et fervent protestant. Chimiste spécialiste de la désinfection, Gerstein est horrifié à la découverte des véritables buts de ses travaux. Cherchant à agir contre l’horreur à laquelle il participe (il est notamment chargé de l’approvisionnement en Zyklon B des camps de la mort), il tente (au-delà de quelques sabotages inefficaces) de prévenir les pays épargnés par la peste brune ainsi que les plus hautes autorités ecclésiastiques : le Vatican. Pour ce faire, il décide de conserver ses fonctions pour être "témoin" et bénéficie notamment de l’aide d’un jeune prêtre (Mathieu Kassovitz), qui tente de relayer ses dires auprès du Pape.
A sa sortie, l’affiche d’Amen a été assignée en justice par l’AGRIF (Alliance Générale contre le Racisme et pour le respect de l’Identité Française et chrétienne) : véritable habituée des attaques ultra-réactionnaires sur des affiches de cinéma, l’association se fait régulièrement débouter. Ainsi, c’est à la fois par son affiche provoquante (qui a finalement été autorisée), mais aussi par sa clarté quant à la position de l’Eglise durant la Shoah, qu’Amen stimule les réactions. On y voit clairement Pie XII et toute sa clique vaticane préférer le silence à toute condamnation officielle du nazisme, et ce pour des motifs hautement politiciens. Mais la dénonciation d’Amen n’est pas tellement une question de personnes : il s’agit bien de montrer comment les autorités de l’Eglise dans son ensemble, ont refusé de prendre parti contre les camps de la mort (y compris pendant la débandade nazie où les criminels SS vont trouver refuge et retraite auprès du clergé).
Par ailleurs, si Amen accentue la question de la non-intervention de l’Eglise, il montre aussi les réactions similaires des autres pays, Etats-Unis compris, alors que l’existence des camps de la mort était déjà révélée.
Si Amen a donc le mérite d’être clair, il ne brille pas par un jeu d’acteur exceptionnel ou par une mise en scène à couper le souffle. Si le parti pris de ne rien montrer directement (aucune chambre à gaz en fonction, aucun meurtre en direct, aucun criminel connu comme Hitler ou Goebbels) se justifie, les scènes dramatiques peuvent a contrario parfois sembler banales. Et au final, ce film où tout le monde parle anglais (les allemands comme les américains ou les italiens) prend quelques fois l’allure d’une mauvaise farce qui se voudrait dramatisante sans parvenir à être réellement dramatique.

image 160 x 227Fatma
Film franco-tunisien de Khaled Ghorbal – 2001 – 124 min.
Fatma fait partie de ces films qui font vivre une vie en quelques heures de cinéma, de ces films paradoxalement très courts et très longs. Très court car Ghorbal manie l’ellipse avec talent, et nous raconte vingt ans de vie en quelques deux heures. Très long car chaque scène est filmée avec insistance, à l’aide d’une caméra très intime et qui apparaît pourtant très neutre.
Ghorbal destinait son film aux tunisien-nes afin de leur faire prendre conscience de la distance entre la parole libérale et le vécu traditionnaliste en Tunisie. Ainsi, le chemin que nous fait parcourir le cinéaste est celui d’une vie peinte par petites touches, qui nous amène à comprendre l’importance de chaque instant d’oppression dans la construction d’une identité.
On assiste incrédule à l’étouffement progressif d’une femme qui semble pourtant s’émanciper des carcans passés. Plus Fatma se dirige vers une vie "urbaine, occidentale et moderne", plus le poids de sa "faute" (le viol dont elle a été victime dans sa jeunesse) lui noue les entrailles et lui annihile tout espoir.
Le premier long métrage de Ghorbal (anciennement propriétaire de salles d’art et essai en Tunisie) réussit l’étrange pari de montrer à la fois les souffrances psychologiques d’une tunisienne violée - qui doit le cacher pour ne pas être jetée dans l’opprobre - et le poids d’une société qui se veut "moderne" (comprendre libérale) tout en étant profondément traditionnaliste et patriarcale. Fatma (le film et le personnage) oscille donc en permanence entre ces deux douleurs : psychologique et sociale, chacune renforçant et appellant l’autre. Fatma est un film tout en finesse, avec de magnifiques plans et de superbes images, qui remue sans bouleverser, et raconte une vie où le seul choix, quand il existe, est entre la solitude et l’oppression.

image 147 x 200Frontières
Film français de Mostéfa Djadjam – 2001 – 105 min.
Frontières nous parle d’histoires individuelles pour mieux nous évoquer des parcours collectifs. Six hommes et une femme quittent leurs pays respectifs (tous situés en Afrique noire, au sud du fleuve Sénégal) pour se rendre en Eldorado : l’Europe, l’Occident, le pays où tout est possible.
Frontières nous conte l’odyssée de ces hommes et cette femme pour se rendre à Palaiseau, en Belgique ou en Espagne : odyssée qui traverse l’Afrique du nord en barque ou en camion frigorifique, au gré des passeurs, truands et autres exploiteurs. Pourtant la seule finalité de ce voyage, au-delà des aspirations personnelles, est de devenir sans-papier en Europe : expulsable à chaque instant.
Si la caméra s’attache tour à tour à chacun des personnages, c’est pour mieux le délaisser ensuite au détriment des autres : Frontières est une histoire en situations, et la réalité de chaque scène en appelle une autre. Le seul fil conducteur étant la poursuite, au travers de Sipipi, Amma, Joe et des autres… de ce chimérique continent européen.
Frontières est de ces films très ou plutôt trop réels, qui parlent d’aspirations, de sentiments, de querelles, de réconciliations, d’escroquerie, d’amitié ou d’amour… Un film qui nous parle d’humanité dans un monde qui n’en tolère plus dès le passage de Gibraltar. Un film qui marque profondément car il fait toucher du doigt la réalité de la forteresse Europe et de ses mirages au nom desquels sont sacrifiés des hommes et des femmes.
Plus qu’un grand moment de cinéma qui appellerait à une larmoyante solidarité, Frontières est dédié "aux morts anonymes du détroit de Gibraltar". Sa dureté remue en profondeur et invite à la révolte. Un grand film.


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