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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°12-Septembre 2002 > No border, une réussite

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Apaches, cheyennes, sioux, comanches et les keupons, tous unis contre les flics et les tuniques bleues

No border, une réussite


Du 19 au 28 juillet les militantEs du réseau noborder ont installé leur campement à Strasbourg. Le camp, situé au Parc du Rhin à la frontière allemande, a ainsi été le siège de débats, de projections et de vie… autogérée. Hors du campement, de nombreuses manifestations et actions ont permis aux participantEs de montrer leur détermination dans la lutte contre le capitalisme.


Le camp no border a tenu ses promesses. Le Parc du Rhin a accueilli des tribus venues de toute l’Europe. Les slogans révélaient la diversité ! “Freedom of mouvement is everybodys rights, we are here and we will fight”, “ni frontière, ni nation, liberté de circulation”, “abajo las frontieras”… Pour ce grand Pow Wow militant, les indienNEs anticapitalistes sont venues d’Allemagne, d’Angleterre, d’Italie, de Belgique, d’Ukraine, du Brésil, de Finlande… d’un peu partout. Les “indios de Barcelona” côtoient les apaches parisiens… Les punks à chien(s) échangent avec les “reubeus” du MIB (Mouvement immigration et des banlieues). Pendant dix jours, la cohabitation entre indienNEs des plaines, des montagnes ou des villes, va se dérouler sans accrocs.

Les palabres courent, de bouches à oreilles, voyagent de l’Anglais au Français, en passant par l’Allemand. Les panneaux fleurissent et rendent comptes des assemblées de quartiers, des dernières infos du villages de tipis. Peu avant 9h, partout dans le camp, les tentes s’ouvrent. Des têtes, les yeux mi-clos, apparaissent dans l’entre-baillement d’une fermeture éclaire. Déjà, devant les cuisines, les files s’allongent. Les tables se couvrent de café de céréales, de tartines… Très vite des cercles se forment et bientôt les assemblés de quartier commencent. Les décisions qui y seront prisent seront rapportées par les déléguéEs en réunion inter-quartier. Mais ici, ni grand chef, ni sachem tout puissant. Les déléguéEs changent tous les jours. Ils n’ont pas de pouvoir de décision et servent de relais entre les quartiers.

Les chiens passent et le four à bois…

L’entrée du campement regroupe les dômes et les tentes dédiées aux espaces publics. Au point info, les indienNEs viennent s’informer sur les horaires des diverses réunions, débats ou projections. On y trouve également la presse du jour et des bouquins à consulter. C’est dans cet espace que les médias alternatifs ont planté leurs tentes et connecté leurs ordinateurs. Un cyber-café gratuit y est implanté.

Derrière, se trouvent l’espace privé du camp. Les chiens s’y ébattent sans contraintes. La vie des barrio (quartiers) s’organisent autour des cuisines, des douches et des chiots. Ces derniers ont fait l’objet de l’attention des participants. L’auto-gestion est de mise, pour la construction des chiots, des douches ou pour le travail collectif (la gestion du compost, du tri sélectif…). La mairie ayant fourni sept WC chimique, les sans-nation ont construit leurs propres toilettes sèches.

Dans le barrio “sans titres” a été construit un four à bois. Les pizzas et le pain y ont meilleures réputations que Brassens dans sa chanson. La cuisine de Barcelone (jusqu’à 500 couverts) a rapidement vu gonfler sa renommée, sans trompettes… ni tambours. Les cuisines n’hésiteront pas à manifester plusieurs fois pendant la durée du camp. Les prix étant libres, les “récupérateurs” de bouffe ont eu du mal à rentrer dans leurs frais. Vers 11h, l’inter-bariette commence. La réunion regroupe les déléguéEs des quartiers, mais aussi ceux des commissions ou de groupes affinitaires souhaitant s’exprimer. Les propositions et décisions voyageait ainsi dans tous les barrio.

Géronimo contre tous les fachos

En début d’après-midi les “guerrierEs” se regroupent pour partir en ville. Les manifestations portent les thèmes du camp : contre les expulsions, le contrôle social ou pour la liberté de circulation. C’est par petits groupes qu’iroquoisES, nez percés, “black feet” ou autres “scalpeurs” se réunissent à l’entrée du camp. Ceux qui resteront au camp sont aussi présents. Durant les actions, la vie quotidienne d’un camp de 2000 personnes ne s’arrête pas.

Les tambours de la Samba se font entendre. La musique envahit l’air. Les banderoles se mettent en branle, les slogans résonnent. La ville en portera certainement les stigmates pendant quelques temps. Les murs crieront la rage des sauvages urbains. Les peaux rouges pousseront des cris de victoires lorsque les caméras de surveillance seront mises hors-services. Dès les premières sorties, les indienNEs comprennet que les bleus continuent de faire vivre le vieil adage du Gal Custer : “un bon indien est un indien mort”… ou tout du moins bien encadré ! L’hôtel Mercure (tiens la chaîne Accor !) qui longe le Parc loge une compagnie de CRS.

Lors des manifs en mémoire des victimes de la répression et de Carlo Giuliani, les bleus se font discret. Pourtant le lendemain, dimanche, lors de l’action anti-pub, un policier isolé pointera son arme de service en direction des apaches. Surprise le lundi : la manifestation qui passe devant les institutions européennes avant de prendre la direction du centre ville ne rencontre que très peu de tuniques bleues. Arrivé place Kléber (place principale de Strasbourg), certains indienNEs décrochent drapeaux européen et français. Il ne faut pas toucher au symbole de la république ! Le sang des condés devait être en ébullition, car leurs yeux, pour une fois, reflétaient une certaine vie intérieure. Trois militantEs seront arrêtéEs. Une partie des indienNEs escorte les sans-papiers vers le camp. Une centaine de comanches prend la direction de l’Hôtel de police. Le fort des tuniques bleues est assiégé. Mais au bout de quelques heures, les renforts du camp ne venant pas, la troupe rouge (et noir) regagne le Parc du Rhin. Les diligences de la Compagnie de Transport Strasbourgeois sont assaillis. Les apaches mettent en pratique la gratuité des transports publics. Dans la soirées de petits groupes affinitaires iront taguer les halls d’accueil de quatre hôtels de la chaîne Accor. Les visages pâles ne parviennent à mettre la main sur aucun des peaux rouges lors de ces actions. Mardi : l’après-midi anti-sécuritaire commence par la représentation de la pièce “la vie en bleue”. Les indienNEs renégatEs et les passantEs assistent à la remise de la “matraque d’or” lors d’une parodie de show télévisé, sous le regard assez peu amusé des bleus. Ces derniers tentent d’interpellé l’un des sioux alors qu’il écrit à la craie sur la statue de Kléber. Aussitôt, d’autres indienNEs lui viennent en aide et l’extirpe des mains policières. Quelques coups fusent. Petite danse guerrière… La réponse ne se fait pas attendre et l’air se charge de gaz lacrymogène. La troupe des peaux rouges décide de ne pas s’aventurer sur le chemin de la guerre et lui préfère celui du campement.

La présence de sans-papiers suggère la prudence aux plus entreprenants. Sur le chemin du retour, un groupe d’indienNEs à vélo tiens les voitures de la cavalerie à distance. Les groupes de black block sont couvert par les autres manifestantEs. Lorsqu’ils/elles taguent ou détruisent les caméras, d’autres cheyennes les protègent des regards bleus en déployant des banderoles. Au fur et à mesure que la troupe s’approche du Parc du Rhin, quelques barricades sommaires sont érigées. Deux cent mètres avant le camp, le chantier d’une station service permet aux renégats de ralentir les forces de l’ordre. Mais les tuniques bleues n’ont certainement pas encore reçu l’ordre d’intervenir. Ils nous suivent jusqu’à l’entrée de la réserve, où la mairie voudrait nous parquer. Arrivé sur le camp, la tension tombe rapidement au contact de ceux qui sont restés.

A la tente légale, on tente de faire le point sur d’éventuelles arrestations. Un peu partout des calumets s’allument et fêtent ce qui semble être une victoire indienne. La manif a regagné le campement sans interpellation ni blessés, les yeux électroniques des visages pâles ont été crevé, les pubs délivrent un message subversif… Dans la soirée, on apprend que la Maire de Strasbourg a demandé au préfet de rétablir l’ordre. La situation d’urgence impose un autre mode de décision que les réunions de quartiers. Un grand conseil aura désormais lieu tous les soirs. On y fait le point sur les actions du jour. La sécurité du camp est renforcé, par peur d’une attaque de la cavalerie, au petit matin.

Mercredi, la manifestation initialement prévue devant le centre de rétention sillonnera finalement la ville. Le camp de rétention de Geispolsheim a été vidé par les autorités. La première partie de l’expédition se déroule sans problème. Si la veille faisait penser à la bataille de Little Big Horn, la journée du 24 ressemblera plutôt à celle de Wounded Knee.

La façade du tribunal s’orne de tâches de peinture. Les murs de banques, d’institutions étatiques ou de symboles du capitalisme sont couverts de tags. Encore une fois les yeux de Big Brother sont fermés par les noborder. Lorsque le groupe passe à proximité de l’ambassade des États-Unis, un dispositif policier bloque le passage. Les premiers échauffourées éclatent un peu plus loin, place de la République. Rapidement, un épais nuage de gaz s’élève au-dessus de la place. La démonstration indienne se dirige alors vers le cœur touristique de Strasbourg. Place Brogli, alors qu’il y a un marché, les tuniques bleues n’hésitent pas à faire usage de lacrymo. Un peu plus loin, à l’entrée de la rue du Dôme, une, puis deux vitrines de “maisons à monnaie” explosent. Mais la police a bouclé la rue. Devant, derrière, les cow-boys de la BAC exhibent leur flash-ball. Ils gazent et tirent une première fois leurs balle en caoutchouc. La petite troupe esquive et parvient à gagner la place de la Cathédrale. Mais là encore, les bleus chargent l’air de nuage irritant… sans considérations pour les nombreux touristes présents. Certains clament leur soutien aux indienNEs sans nation.

Les sauvages urbains se regroupent et prennent la direction du campement. Les tuniques bleues suivent de très près les rétifs à l’ordre étatique.

Un peu plus loin, les sheriffs pénètrent dans le cortège pour une arrestation ciblée, celle d’Ahmed (voir l’article qui lui est consacré). C’est alors qu’un second tir de flash-ball - à bout portant - blesse un camarade de la tribu FA de Strasbourg. Il est évacué en ambulance. La troupe sans frontière ressemble maintenant à une armée défaite. La vitesse est réduite afin de permettre aux blesséEs non-évacuéEs de rentrer au camp. L’équipe médicale déborde d’activité. De retour au camp, sous le tipi des “medecin-men”, les “chaman” distribue les premiers soins.

Dans la soirée, le préfet rédigeait un arrêté interdisant toute manifestation de noborder. Jeudi matin, un représentant des autorités vient déposer l’arrêté. Les journaux rapportent les dires des langues fourchues : les noborder sont des casseurs ! Contrairement à ce qu’ils écrivent il n’y a pas eu de véritables affrontements entre les peaux rouges et les visages pâles. Pourtant c’est ce que retiendront la plus part des strasbourgeois. Pas un mot sur la caravane de banlieues, les débats, les projections ou la position politique des tribus participant au Pow Wow.

Malgré l’interdiction de manifester les noborder décident de passer outre. Le thème du camp est la liberté de circulation. Les indienNEs continueront à sortir de leur réserve.

Le jeudi, une action devant le fort de l’hôtel de police est organisée. D’autres renégatEs empruntent les bateaux-mouches, y déploient des banderoles afin de dénoncer l’attitude des autorités. Cette journée ne comptera aucune arrestation !

Vendredi, la ville est quadrillée. Le centre est interdit à ceux qui pourrait avoir l’allure “sans frontières”. Délit de faciès ! Pour symboliser l’Europe forteresse, les iroquoisES décident de bloquer les ponts d’accès au centre ville. Mais le symbole n’est pas d’actualité à ce moment-là. Les tuniques bleues occupent les ponts et embarquent les peaux rouges. Au même moment un rassemblement a lieu devant le tribunal alors qu’Ahmed passe en comparution immédiate. Seul quinze noborder sont autorisés à suivre la comparution… non sans avoir laissé leurs papiers aux bleus ! La date du procès est repoussé ! Mais Ahmed restera en prison jusque-là, le 21 août. Les participantEs tentent alors de repartir vers le campement en cortège. Mais la cavalerie étatique est bien décidé à ne pas laisser faire les peaux rouges. Ils bloquent les derniers mohicans, les entassent dans un bus et les raccompagne vite fait au Parc du Rhin. La mairie avait bien parlé de bus supplémentaire pour cette ligne… mais là il s’agit de service personnalisé ! La première fois les noborder se méfient, par peur de ne pas arriver à destination. Finalement, ils auront plus de chance que les ceux/celles qui avaient pris pour cible les accès à l’île du centre ville : pas d’arrestation. Samedi a lieu la grande braderie de Strasbourg. On y attend près de 100 000 personnes !

Une troupe d’indienNEs sans nations tentent de rejoindre la QG du SIS. Ils se retrouvent rapidement devant un mur bleu. Demi tour, direction Kehl. La ville voisine, d’outre-Rhin, n’avait pas encore reçu la visite des tribus. Après un parcours dans le centre, un passage devant la prison, une partie des cheyennes anticapitalistes regagne le camp assiégé par les CRS. D’autres s’en prennent au cheval de fer qui relie Kehl à Strasbourg. Le train aussi subi les assauts de la gratuité. Les peintures de guerres s’étalent sur les parois de wagons.

Ils/elles rejoignent la manif qui est parvenue a se faufiler dans la braderie. Usant de ruses de sioux, les indienNEs sans nations pénètrent le dispositif policier par petits groupes. Même la samba parvient à passer. Les tuniques bleues ont du mal a gérer la situation. Ils parviennent avec difficulté à regrouper et à sortir les sauvages urbains de la foule venue dépenser son argent à la grande messe mercantile. Joyeux bordel ! Cette fois, deux diligences sont affrétées pour ramener tous le monde au Parc. Durant toute la nuit, les indienNEs brûlèrent leur rancœur dans un grand feu de joie, au rythme de tambours/bidons.

Dimanche. Afin de quitter Strasbourg avec panache, la tribu noborder organise un départ en caravane de l’exil. Camions, tracteurs, voitures, vélos… prennent la direction du commissariat. Le camp est maintenant vide… et nettoyé.

Mais rapidement la caravane est stoppé par les forces de l’ordre. Un bouchon se forme, bloquant la circulation. Les indienNEs voulaient chercher deux camarades retenus au fort. Les tuniques bleues ramèneront finalement les deux derniers mis en garde à vue jusqu’à la manif. Le pow wow strasbourgeois du réseau noborder touche à sa fin. Sous le chaud soleil de l’après-midi, les peaux rouges se saluent. La caravane de l’exil se disperse. Les indienNEs sans nation regagnent maintenant leurs terres…


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