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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°12-Septembre 2002 > Le lycée des métiers

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D’un suppôt du capital à l’autre, l’école toujours au service du patronat

Le lycée des métiers


L’Europe est en route et il fallait s’en douter, l’enseignement devait bien finir par intéresser les investisseurs en quête perpétuelle de nouveaux marchés. En janvier 1989 l’ERT (la Table Ronde Européenne des industriels) publiait un rapport intitulé " Education et Compétence en Europe " dans lequel elle affirme : " le développement technique et industriel des entreprises européennes exige clairement une rénovation accélérée des systèmes d’enseignement et de leurs programmes " et de rajouter : " l’industrie n’a qu’une très faible influence sur les programmes enseignés ". Nous y sommes !


C’en est fini de l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire, le capitalisme se transforme le système d’éducation doit suivre. Si l’école de Jules Ferry a pu voir le jour ce n’est pas par hasard. A la fin du XXème la bourgeoisie avait besoin d’une main d’œuvre alphabétisée. Il était aussi devenu nécessaire de contrecarrer une église trop puissante qui, chose insupportable, freinait la révolution industrielle française. Sans oublier non plus que la jeune troisième république exigeait une conscience nationale qu’il fallait forger, les Basques, Alsaciens et autres Bretons en gardent un souvenir impérissable…

Mais les résistances dans l’éducation nationale, réactionnaires ou pas, sont importantes et la dérégulation de l’école ne peut se faire du jour au lendemain. Plusieurs s’y sont cassés les dents car le terrain est réputé pour être miné. Mais il faudra bien que tout le monde le comprenne un jour, comme le disait Franz-Olivier Giesbert dans le Figaro du 12 novembre 1998 : " il vaut mieux être de gauche si l’on veut être autorisé à gouverner à droite " . Surtout, si le ministre en question s’y met en douceur sans s’en prendre directement aux enseignants comme avait pu le faire Claude Allègre en son temps. Alors vous imaginez, si il se dit de la " gauche socialiste ", la partie est gagnée d’avance…

C’est donc à cette rentrée 2002 que se mettront en place les lycées des métiers. Le projet annoncé en grandes pompes le 15 novembre 2001, est l’œuvre de Jean Luc Mélenchon, l’ancien ministre délégué à l’enseignement professionnel. Depuis le temps que la gauche socialiste cherche à obtenir un ministère il faut croire que par ce projet, Mélenchon, l’un de ses plus fidèles représentants, s’est dit qu’il lui faudrait être suffisamment zélé pour en obtenir un nouveau. Cette fois-ci un vrai et pas un poste de ministre délégué…

Comme d’habitude on nage dans le flou intégral, cela est plus pratique, cela permettra les ajustements ultérieurs avec plus de souplesse. On ne sait d’ailleurs pas comment les établissements obtiennent le label lycée des métiers. La finalité du projet par contre est limpide pour celui qui voudra bien lire entre les lignes. Il s’agit de concentrer des moyens matériels et d’encadrement dans un même lieu afin d’assurer l’éventail des formations initiales et continues d’un même corps de métier, le but étant de les adapter aux besoins du bassin local d’emploi.

Que se soit pour l’université ou pour les lycée le principe des pôles d’excellence n’est pas sans dangers. La mise en place d’un lycée des métiers ne se fera qu’autour d’un métier ou d’un groupe de métiers complémentaires ou connexes. Du coup les autres filières de l’établissement disparaîtront très certainement. Mais plus grave encore, les élèves qui se dirigeront vers la voie professionnelle n’auront plus la possibilité d’étudier au plus près de chez eux s’ils ont la malchance d’habiter loin du lycée des métiers qui prépare au métier désiré. Encore une notion du service public qui disparaît !

Le lycée des métiers signifie la mise en adéquation des formations avec la réalité du bassin d’emploi. Il est ainsi mentionné que même les artisans et les très petites entreprises peuvent devenir partenaires de ce projet. La labellisation, n’est décernée qu’après une certification du rectorat et des entrepreneurs locaux. De plus, avec l’arrivée de financements privés le rapport de force sera en faveur des décideurs économiques. Dans ce cas de figure comment peut-on encore croire que les établissements et les personnels conserveront un droit de regard sur les moyens matériels et sur les contenus des formations ?

Une telle vision de l’enseignement professionnel répondra bien aux exigences des industriels : former une main d’oeuvre aux exigences immédiates du marché qui n’attend pas ! D’ailleurs tout peut être envisagé pour collaborer avec le patronat local : réquisition des ateliers, des élèves et des enseignants par une entreprise pour produire en période de forte demande ; location aux entreprises des locaux et des équipements pendant les vacances scolaires... L’utilisation des locaux de façon permanente fait rêver l’administration mais encore plus les patrons locaux. La casse des statuts des personnels Accueil Techniciens Ouvriers de Service et de Santé qui vient d’être acceptée par la plupart des organisations syndicales en octobre 2001 correspond sans aucun doute à cette volonté de rentabiliser au mieux les personnels en les annualisant, en élargissant les amplitudes de travail et en augmentant les permanences pendant les vacances. Parions que les enseignants vont rapidement suivre le même chemin... Le lycée des métiers nous est présenté comme un lieu où seront dispensées des formations autour d’un métier. Le public de ces établissements sera très varié puisqu’il se composera d’élèves de lycée professionnel, de lycée technique, d’étudiants (BTS, licences professionnelles), d’apprentis et d’adultes en formation (Greta, AFPA, personnels venant des entreprises en cours de validation d’acquis professionnels ainsi qu’en remise à niveau, chômeurs et personnes en " stage de socialisation "...).

Les effets pervers d’un tel système sont multiples car il s’en suivra certainement un allégement des enseignements dispensés, surtout des matières générales, comme c’est déjà le cas dans les Centre de Formation des Apprentis et autres formations en alternance. De tout temps il a été dangereux pour le patronat comme pour l’Etat d’avoir une population active et inactive trop éclairée. Ils ne se gêneront pas alors rogner sur l’histoire, la philo… toutes ces sciences humaines qui peuvent permettre de comprendre que les riches ont toujours exploité les pauvres et que parfois la lutte paie.

Le statut des enseignants sera-t-il toujours le même ou le lycée fonctionnera-t-il en flux tendu, soumis aux besoins des entreprises locales " partenaires " n’allons-nous pas vers l’annualisation et la flexibilité de l’ensemble des personnels ? Et finalement, l’enseignant dépendra-t-il de l’Education nationale ou deviendra-t-il un salarié des entreprises partenaires du lycée des métiers ? On peut se demander si le lycée tel que l’a conçu Mélenchon ne va pas devenir le " supermarché " de l’entreprise. Comment pourra-t-on suivre une scolarité et enseigner décemment si les entreprises embauchent et débauchent des apprentis et autres stagiaires en fonction de leurs besoins ponctuels ?

Les entreprises ont besoin de personnels ayant des compétences bien précises et limités, elles passeront ainsi des commandes de formation à l’Education nationale en fonction de leurs nécessités. Le lycée des métiers proposera donc des formations non-diplômantes où les contenus d’enseignement général seront revus à la baisse.

Pour le patronat, le diplôme n’est pas un critère " d’employabilité ", il préfère recruter des personnels possédant des compétences strictement nécessaires pour réaliser la tâche. Il s’agit bien ici de nous amener progressivement vers la mise en place de la " carte de compétences " , ce projet cher à la commission européenne vise un remplacement progressif du diplôme. C’est pour cela aussi que la Validation des Acquis Professionnels sera développée : des personnes ayant une expérience professionnelle mais pas forcément la formation correspondante pourront ainsi se voir reconnaître certaines compétences, mais la VAP n’offrira pas la même garantie salariale que le diplôme national. Sur ce point précis on rejoint un des objectifs de la refondation sociale voulue par le MEDEF. Supprimer le diplôme c’est par la même occasion supprimer les garanties de salariales inscrites dans les conventions collectives.

Maintenant la droite est là, et l’on peut parier qu’ils ne reviendront pas sur un projet dont ils ont eux même rêvé de mettre en place comme ce fut le cas en 1986 avec le projet Devaquet. Ce projet n’est pas uniquement une nouvelle réforme de l’éducation nationale, il conditionne l’avenir du salariat. Il s’agit désormais de nous battre, de faire circuler l’information, si nous voulons offrir aux générations futures les meilleures possibilités de trouver leur place dans la société, et non celles de livrer aux entreprises de la main-d’oeuvre formatée et sans esprit critique qu’elles tentent d’obtenir par lobbying depuis des années.

Pennbihan


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