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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°12-Septembre 2002 > Pour une contre-offensive anti-sécuritaire

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Pour une contre-offensive anti-sécuritaire


La guerre contre les pauvres n’est pas la réponse au score du Front national du 21 avril, elle en est la raison... Elle n’est pas non plus l’apanage de la droite aujourd’hui revenu au pouvoir et prête à s’acharner sur celles et ceux qui ne peuvent s’augmenter de 70% mais se confrontent à la misère et à des conditions de vie de plus en plus dures. Dans ce contexte, le sécuritaire a comme fonction d’assouvir les plus bas instincts : recherche de coupables idéaux : les jeunes, de boucs-émissaires : les étrangers... les pouvoirs politiques ont toujours su orchestrer les “demandes” d’ordre pour le plus grand bénéfice du capitalisme...


Voici donc un Etat et ses autorités locales, toutes tendances confondues, qui ne craint pas la comparaison avec les sociétés d’Ancien Régime puisqu’il décide de s’attaquer en priorité aux enfants de treize ans (couvre-feu ou prison), aux prostituées (bannissement), aux gitans, aux mendiants, aux amateurs d’extases musicales non contrôlées, qu’il pratique la punition collective (retrait des allocations aux familles de jeunes turbulents, offensive permanente contre des quartiers entiers dont ils sont originaires) et encourage la délation secrète (extension de la possibilité d’utiliser des témoignages anonymes). Voici une société qui, d’un côté, ne cesse de faire l’apologie du risque dans les domaines économique et professionnel, où l’individu est sommé d’adhérer avec enthousiasme à sa précarisation toujours plus grande, et qui, d’un autre côté, sous le vocable " sécurité ", érige en norme universelle à défendre par tous les moyens de la justice, de la police et des médias réunis, une mentalité paranoïaque de retraité accroché à une tranquillité qu’il voudrait à l’abri du monde.

Face à cela, une atmosphère de consentement implicite de cette fameuse société civile qui s’était, paraît-il, soulevée en mai contre la " menace fasciste ". Après s’être mués en organes militants, le temps de régler le fantastique bug électoral du 21 avril et de transformer le rejet très majoritaire d’un régime en plébiscite soviétique en sa faveur, les médias ont recommencé à concourir, chacun à sa manière, au maintien des classes moyennes dans leur infantilisation consumériste apeurée. Pour rendre compte de l’occupation militaire et des rafles qui ont frappé des quartiers entiers, le sensationnalisme de TF1 n’était pas pire que l’objectivité du Monde : le journal officieux reproduisait par exemple sans la moindre distance critique les propos de flics expliquant qu’on s’était attaqué à une cité de Nanterre " parce qu’il ne s’y passait rien, ce qui était un signe particulièrement inquiétant ". On a une autre illustration de ce retour à la normale avec la manière, entre ironie condescendante et hostilité ouverte, dont les médias ont rendu compte du campement No Border et de la répression haineuse qu’il a subi.

Face à cela, la résistance des réfractaires aux politiques sécuritaires est encore bien faible : c’est le sentiment que donne un bref bilan de l’activité du Réseau Résistons ensemble.

Au forum de Saint Denis (26 mai 2002) qui avait été organisé notamment par le Réseau contre la fabrique de la haine, le MIB, le Collectif " les mots sont importants ", avec l’appui du Réseau No Pasaran, de Sud Education et de bien d’autres organisations et individus, on avait assisté à la rencontre d’expériences de luttes locales contre les violences policières.

Le projet avait été avancé, de créer un réseau des réseaux pour résister aux politiques sécuritaires. Une mail-list a été créée, permettant la circulation des infos : Résistons ensemble. Un collectif du même nom a tenu une première réunion en juin, avec la participation d’environ quatre-vingt personnes. Résistons ensemble, à peine fondé, a dû s’occuper de la défense de l’association Bouge qui bouge, à Dammarie les Lys. Ce courageux noyau de militants de quartier investis dans une activité socio-culturelle, avaient réagi au meurtre de deux jeunes par des policiers, en portant la critique sur le terrain politique. La solidarité qui s’est manifestée autour d’eux, notamment à travers le collectif Résistons ensemble, a permis de marquer quelques points. Une journée de commémoration et de débats a pu se tenir en juillet malgré l’opposition du maire, qui a permis de renouveler des rencontres entre gens venus de toute la région parisienne mais aussi de Lyon ou de Dijon. Condamnée par le tribunal de Melun, sur demande de l’office HLM, à quitter son local, Bouge qui bouge a gagné en appel à Paris : on peut penser que la mobilisation remarquable (la salle était pleine de soutiens) dont l’association a bénéficié a joué. Mais ces victoires ne sont que provisoires : Kader, le frère d’un jeune mort poursuivi par la police, est toujours poursuivi pour " outrage " en raison d’une affiche dénonçant la BAC et alors que Bouge qui bouge s’apprêtait à réintégrer son local, celui-ci a mystérieusement brûlé !

D’autres affaires n’ont entraîné qu’une faible mobilisation. Ce fut le cas du procès de Douai au cours duquel un flic qui avait tué un jeune qui ne le menaçait pas s’en est tiré avec trois ans avec sursis. Un appel à s’y rendre ne s’est traduit que par le déplacement d’un petit groupe composé de militants du MIB et d’un membre de Résistons ensemble. Dans l’affaire de Villefranche sur Saône, la mobilisation, importante, est restée locale, autour notamment de l’association Témoins (voir en encadré les notes d’audience de l’association) : on peut penser que la présence d’observateurs venus de divers coins de France et un effort du réseau pour faire connaître l’affaire auraient pu aider à empêcher le lynchage judiciaire des accusés.

Par ailleurs, le Réseau contre la fabrique de la haine (qui s’est dissous dans le Collectif Résistons ensemble) avait lancé le projet d’un recueil de textes rédigés par des militants, des écrivains, des sociologues, chacun avec son optique propre, en hommage à toutes les victimes des meurtres policiers, et notamment à Youssef, tué par le policier Hiblot voilà plus de dix ans à Mantes la Jolie (le policier a été acquitté). Ce recueil paraîtra début septembre à l’Esprit Frappeur, sous le titre : La fabrique de la haine, contre les politiques sécuritaires et l’apartheid social. Sa parution devrait être l’occasion d’une journée de rencontres et de débat, en présence des auteurs vers la fin septembre-début octobre. Cette journée se déroulera vraisemblablement à Paris, mais il serait bon qu’elle puisse se répéter ailleurs, à Lyon, à Dammarie, Nantes ou Toulouse…

Enfin, la mail-list, animée par des bonnes volontés peu spécialisées, a connu des débuts chaotiques. Elle a tout de même permis de soutenir les mobilisations (aux rassemblements de Dammarie, aux procès…). A la rentrée, on envisage de la réorganiser, en instaurant un double système : la liste telle qu’elle existe pour ceux qui ne répugnent pas à recevoir de nombreux messages et qui veulent rester branchés quotidiennement sur le travail militant et une lettre hebdomadaire, sélectionnant les infos, pour ceux qui veulent seulement être tenus au courant des échéances essentielles. Avec d’autres projets (rencontres de quartier, festivals du livre antisécuritaire, cycle de présentation de films et de débats de fonds, ateliers d’écritures…), ces différentes activités pourraient permettre de sortir de la simple résistance, de la réaction au coup par coup, qui fut notre mode de fonctionnement jusque-là.

Au-delà même de la résistance, il s’agirait de passer à l’offensive, en tissant des liens entre centre-villes et périphéries, en échangeant les savoirs et les savoir-faire, qu’ils étaient été acquis dans les livres ou bien à l’école de la vie et des luttes, en produisant ensemble des idées, des textes, des images, des objets, bref une forme de culture en rupture avec un monde de ghettos et de peurs. Très vaste programme qui est pourtant le minimum de ce que nous pouvons faire face à ce qui se prépare. Espérons que nous n’aurons pas besoin d’une nouvelle bavure, d’une nouvelle balle policière dans la nuque d’un jeune pour que les énergies se rassemblent, après la torpeur estivale. Le combat contre le sécuritaire ne remplace pas la lutte sociale : il en est partie intégrante.

Serge Quadruppani


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