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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°12-Septembre 2002 > Rencontre avec Akuma

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Rencontre avec Akuma


Nombreux sont ceux et celles qui parmi nous continuent à écouter les vinyls, même rayés, des Québécois de Banlieue Rouges, et pourtant le groupe est fini... Place dorénavant à Akuma pour Safwan et Simon. Le groupe de Montréal était en tournée hexagonale avec un passage en Bretagne au coté des Tagadas Jones, rencontre avec Safwan.


No Pa : est ce que tu peux déjà commencer par te présenter et présenter Akuma ?

Safwan : Je suis le chanteur guitariste d’Akuma. Akuma, c’est un quatuor, Silva à la batterie, Simon à la basse, déjà les deux dernières années avec moi dans Banlieue Rouge, et Yannick, l’autre guitariste. Pour faire une histoire courte, Akuma est né sur les cendres de Banlieue Rouge, un groupe que j’avais formé.

N’as-tu pas peur que Banlieue rouge cache un peu Akuma, que l’on vienne aux concerts pour voir les anciens de Banlieue rouge plutôt que Akuma ?

Peur, non, mais je m’attends à cela, ça fait parti du jeu ! Y’a tout de même dix ans de Banlieue Rouge, c’est dix ans de ma vie, mais aussi dix ans dans la scène punk rock. Donc, que des gens viennent un peu pour cela, c’est normal, c’est une suite logique. Akuma vient de sortir, notre album est nouveau, Banlieue Rouge ça reste la référence et peut-être que cela prendra plusieurs mois pour qu’Akuma soit reconnu. Mais, que ce soit au Québec ou dans notre tournée française, je pense que les gens commencent à se faire à nous et cela reste très flatteur de se voir demandé des morceaux de banlieue rouge à partir du moment où les gens comprennent que j’ai arrêté le groupe ; on ne peut pas rester continuellement sur un passé ! Il faut pouvoir avancer, la vie continue !

Quelle différence fais-tu entre la scène québécoise et la scène française ?

Au Québec, comme ici, il y a beaucoup de groupes, et un public généreux, intéressant, intéressé. Mais au niveau des assos, des intervenants qui sont autour de la scène, des gens qui font des fanzines, des radios, bref, ceux qui font vivre tout le côté contre-culture, au Québec, il y en a peu ou pas. Il faut savoir que chez nous, les intermittents du spectacle, cela n’existe pas, les subventions pour les assos y’en a aucune. Donc, les gens qui montent des événements, ils portent tout sur leurs épaules. Je rajouterais qu’il y a quelque chose de plus insidieux, c’est que l’on est noyé par l’industrie du disque nord américaine. Résultat, les gens perdent de vue ce qu’est la musique, que c’est très accessible, que c’est donné à Mr et Madame tout le monde : si je le fais, tout le monde peut le faire. Nous, en fait, on veut être l’antithèse. En France je retrouve beaucoup cette antithèse, alors, même si certains disent que la scène alternative est morte, je la trouve très vivante et à chaque fois cela m’épate !

C’est quoi pour toi la scène alternative ?

C’est vrai que c’est un terme un peu générique maintenant, mais c’est tout ce qui peut se faire en dehors de l’industrie pure pour la musique, mais aussi au sens plus large. Bref, c’est tous les moyens d’expression, toutes les idées comme les fanzines, les radios libres les tracts, le militantisme ! C’est des choses qui chez nous n’existent presque plus, et qui n’ont même quasiment pas existé. Parler de scène alternative, c’est donc dire qu’il y a quelque chose en dehors du marché, des grandes surfaces, du top 50 manipulé par le dollar tout puissant.

Tu montes aussi sur scène pour dire cela ?

Absolument ! C’est une des choses qui me fait monter sur scène, et montrer aux gens que le groupe est là parce qu’il y a le public, mais c’est le public qui lui donne une raison d’être. En faisant en sorte de ne pas tomber dans l’idée d’une star et d’un public agenouillé. Avant, après, le concert on est avec le public : on est comme eux, ils sont comme nous, c’est de l’échange.

Tu parles d’une grande différence entre le Québec et la France au niveau de la scène alternative. Au niveau hexagonal, on a entendu parlé du Québec lors des contre-sommets au G8, mais au-delà de ces événements, quelle est la situation politique ?

Je pense que c’est simple : au moment d’un événement on arrive à se mobiliser, mais c’est très très ponctuel. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’au Québec, comme dans le reste de l’Amérique du nord, déjà les notions de gauche, de droite, de libertaires, restent des notions très théoriques. En effet, les gens n’ont même pas conscience qu’il est possible de prendre position par rapport au système. Et même si la réaction contre le sommet des Amériques, contre le G8 était très viscérale, si tu demandes à la majorité des gens, même certains dans les manifestations, n’ont aucune idée que ces entités existent, et pourtant l’OMC a pratiquement plus d’impact dans leur vie de tous les jours que l’indépendance du Québec ! (rire...) Au Québec comme au niveau du reste de l’Amérique, il y a énormément de désinformation. Les gens sont détournés des choses qui sont, à mes yeux en tout cas, réellement importantes et qui sont déterminantes. Pour ce qui est des groupes militants, leurs activités restent très cachées et absente de la vie de tous les jours. Mais cette situation est aussi dûe au besoin de se protéger : l’infiltration chez nous est digne des plus grands polars, c’est absolument ridicule ! Pour avoir été militant très actif durant de nombreuses années, je peux te dire qu’on en arrive à voir des groupes de gauche se faire infiltrer par des services secrets ! Et forcément le résultat c’est que les gens qui se trouvent dans ces situations là se retrouvent, paradoxalement, muselés pour protéger l’image d’un monde libre, d’une démocratie. Bref, c’est triste, c’est une vraie tyrannie sous les ordres de démocratie !

Concrètement, des mouvements type squat par exemple n’existent pas ?

Des squats, pour l’anecdote sur Montréal il y en avait un qui était connu des autorités et il a fini par devenir le cirque médiatique : pour quinze minutes de gloire en TV, on se montrait là-bas. Les revendications légitimes, elles se sont diluées, comme c’est souvent le cas, à travers les médias. L’idée de squatter, c’est une notion très illusoire pour les gens, et apporter l’idée que l’économie peut être différente, qu’il y a moyen de faire quelque chose pour restaurer un petit peu de dignité humaine là où elle a été perdue, reste pour eux très idéaliste et dénuée de sens.

Tu me disais vouloir expliquer tout cela quand tu montes sur scène. Alors, comment réagit le public au Québec ?

Ici ou au Québec, c’est un petit peu la même chose, on est quand même avant tout un groupe de musique, et donc on veut que les gens s’amusent, qu’il y ait une ambiance militante mais n’oublions pas le côté fête des concerts. Donc, ce que l’on fait dans les concerts c’est lancer des pistes, des questionnements, signifier notre indignation par rapport à certaines situations. Après, il faut que l’intérêt vienne d’eux : tu ne peux pas imposer une manière de penser au public, et je pense que le public est suffisamment grand pour penser par lui-même ; les textes abordent plus en profondeur, et si les gens veulent, ils peuvent les lire, venir nous en parler directement, on a aussi un site internet, et créé un journal qui parle de ce qui nous touche, de ce qui se passe.

Pour conclure ?

Je dirais juste qu’il n’y a pas de solution à court terme. On parlait de contre-culture, je pense que c’est une bonne forme de réponse de proposer un autre modèle, une autre façon d’évoluer avec un nouveau système de valeurs plus près de ce qui nous touche. Je pense que c’est là l’avenir et je lève mon chapeau à ceux qui font une intervention dans notre vie de tous les jours au travers de la musique ou autre. Alors chapeau à vous, gardez le cap et c’est comme cela qu’on va s’en sortir !

Interview de Safwan par Rico (SCALP Brest)


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