Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2001N°86 - Avril 2001
(ancienne formule)
> Elections municipales - Fafs pas morts !

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Elections municipales - Fafs pas morts !


"L’extrême droite agonise" : voilà ce que l’on pouvait lire dans Libération daté du 9 mars. Ce triomphalisme, qui ne coûte rien, a certes été tempéré par les résultats du second tour, mais révèle bien l’attitude actuelle des médias à l’égard de l’extrême droite. En l’enterrant médiatiquement (Jean-Marie Le Pen a à ce propos envoyé aux journalistes un communiqué pathétique intitulé "SOS démocratie" demandant à ce qu’on l’invite… comme avant !), ils espèrent faire croire à sa disparition. Hélas, les mots ne sont pas les choses, et force est de constater que la bête bouge encore…


Ces élections sont pour nous l’occasion de faire le point sur la place et la nature de l’extrême droite dans le paysage politique institutionnel fran« ais. En effet, les précédentes élections (les européennes de 1999) étaient trop proches de la scission de décembre 1998 pour permettre de savoir comment les forces se répartissaient à la droite de la droite. En revanche, il est possible de tirer quelques enseignements de ces élections municipales.

On peut d’abord constater que les concurrents potentiels du FN et du MNR ont été plutôt discrets. Chasse Pêche Nature et Tradition (CPNT) semble se reconcentrer sur son lobbying pro-chasseurs et n’avait présenté que deux listes (l’une à Arles, dans le Gard, et l’autre dans une petite ville du Pas-de-Calais, Oye-Plage) qui ont toutes les deux été battues. Le Mouvement pour le France (MPF) de Philippe de Villiers n’a pas non plus particulièrement brillé, n’emportant qu’une ville de plus de 10 000 habitants : Saint-Claude, dans le Jura. À noter que le MPF n’a pas fait un seul score significatif en Vendée, pourtant domaine réservé du Vicomte… Le RPF de Charles Pasqua s’en sort un peu mieux (il remporte Verdun, Lourdes…), mais c’est en général avec l’appui du RPR local. Les listes d’union RPF-RPR ont d’ailleurs été nombreuses. Un douloureux retour au bercail se profile, même si l’alliance à Paris de Pasqua et de Tibéri, les dissensions interne du RPF autour des alliances avec le MNR et le va-et-vient incessant de nombreux cadres entre ces différents partis pour savoir lequel est le plus à même de tirer le RPR sur la droite est à surveiller de près, et le MPF comme le RPF restent un vivier de candidats potentiels pour des alliances avec le MNR.

Mais malgré tout, l’extrême droite n’a pas éclaté en de multiples petits partis comme la scission aurait pu le permettre, et elle s’est recomposée essentiellement autour du Front national de Jean-Marie Le Pen et du Mouvement National-Républicain de Bruno Mégret, qui au jour d’aujourd’hui semblent tous les deux disposer d’atouts suffisants pour coexister. "Il n’y a pas de place pour deux partis de la droite nationale" martèle à qui veut l’entendre le président du MNR. Le FN est "vivant et bien vivant" tempête Le Pen au lendemain du premier tour. Alors, qu’en est-il ?

Les résultats

Le FN et le MNR ont respectivement présenté 225 listes (111 dans des villes de plus de 20 000 hab.) et 395 listes (124 dans des villes de plus de 20 000 hab.). On le voit, si, sur l’ensemble des municipalités, le MNR a visiblement une présence beaucoup plus importante que le FN, l’écart est nettement relativisé si l’on se limite au villes moyennes ou importantes.

Au premier tour, sur l’ensemble du territoire, le FN obtient 6,79% des voix et le MNR 2,56%, mais et ils obtiennent plus de 5% des voix dans 133 villes pour le FN, et dans 151 villes pour le MNR. Ces résultats, qui peuvent sembler ridiculement faibles comparés à ce dont le FN était capable de rassembler avant la scission, sont à mettre en relation avec le nombre réduit des listes présentées (cf. No Pasaran ! de février). Ainsi, la faiblesse des résultats en pourcentage et en nombre de voix n’est finalement que le reflet de la désorganisation de la structure FN et celui de la "jeunesse" de celle du MNR, qui ont fait tirer la langue à ces deux partis pour l’élaboration de leurs listes. Rappelons de plus l’obligation faite cette année au partis politiques en matière de parité (femmes, filles, cousines et nièces ont dû être fortement sollicitées pour boucler les listes…). Ainsi, les résultats de ces élections municipales ne doivent pas nous aveugler : ils ne reflètent pas un chute vertigineuse du potentiel électoral de l’extrême droite en France, et il faudra attendre d’éventuelles législatives l’an prochain pour pouvoir véritablement en juger. Si l’on observe au cas par cas , on peut d’ailleurs noter que, même si les scores de l’extrême droite sont en chute dans un certain nombre de villes (Bordeaux, Colmar, Paris, Perpignan, Roubaix…) dans de très nombreux cas, surtout si l’on tient compte de la progression de l’abstention, l’addition des voix du FN et du MNR avoisinent les scores de 1995 (c’est le cas à Strasbourg, à Dijon, à Clermont-Ferrand, à Rennes, à Tours…) voir même dans certains cas les dépassent, comme à Lille (9,7% en 1995, 12,8% au second tour), Dunkerque (le MNR y a fait 12,5% contre 8,9% pour le candidat FN en 1995) ou encore Beauvais (14,7% contre 11,8% en 1995). Par ailleurs, si des villes ont été abandonnées par l’extrême droite (comme à Orléans, Bourges ou Arras), d’autres en revanche ont vu naître des listes FN ou MNR là où le FN était absent en 1995, comme à Carcassonne ou à Quimper.

Les villes d’extrême droite

Mais, puisqu’il s’agissait d’élections municipales, c’est en premier lieu vers les villes conquises par le FN qu’il faut d’abord se tourner. Or, que constate-t-on ? L’extrême droite n’a perdu aucune ville, et dans la majorité des cas, son emprise locale s’est renforcée. Aucune ? Oui, aucune, car le FN avait perdu Toulon bien avant les élections, à partir du moment où Jean-Marie Le Chevallier avait quitté le parti de Le Pen, c’est-à-dire en mars de l’année dernière !

Pour le Front national, le succès à Orange (Vaucluse) de Jacques Bompard, réélu dès le premier tour avec près de 60% des voix, est le principal fait marquant. Bien établi dans la ville, Bompard est désormais un notable local, comme l’a montré sa campagne électorale (il avait laissé de côté son étiquette FN et tout misé sur son nom et son bilan) et le succès à Bolène (près d’Orange) de sa femme Marie-Claude, arrivée en tête au premier tour (34,3%) mais battue au deuxième tour (46,9%). Pour le MNR, les résultats dans les villes qu’il détenait renforce dangereusement sa volonté de s’implanter localement. À Marignane, Daniel Simonpieri (élu au conseil régional en 1998) est réélu au second tour avec 62,5% des voix (contre 37,3% en 1995 !), tandis que Catherine Mégret reste maire de Vitrolles avec 45,3% des voix (contre 46,7% en 1997).

Mais les deux frères ennemis ont été aussi capables d’obtenir des résultats inquiétants dans un grand nombre d’autres villes. Pour le FN, Pierre Descaves a obtenu 34,1% des voix à Noyon (contre 48,1% en 1995), Dominique Martin 39,9% (13,3% en 1995) à Cluses en Haute-Savoie, la liste FN de Cagnes-sur-Mer 19,4% au second tour (contre 9,34% en 1995), celle du Muy (Var) 23% au premier tour, celle de Vernon (Eure) 20,5%, celle de Carpentras 22,1%… En revanche, les dirigeants du parti n’ont pas particulièrement brillé : ainsi, Bruno Gollnisch, responsable de la campagne pour les municipales, s’était présenté à Lyon mais n’a obtenu que 6,9%. Martial Bild, à Paris, n’obtient que 3,5% des voix, mais prévient : "nous serons toujours là, toujours acharnés et toujours dynamiques, comme des pitbulls (sic)"… Marie-France Stirbois, qui avait abandonné Dreux, ville-symbole de la percée du FN dans les années 1980 (où elle avait pourtant obtenu 39,3% des voix en 1995 !) se présentait face à Jacques Peyrat à Nice, et a obtenu près de 14% des voix au second tour. Pour finir, notons que dans la cinquantaine de villes de plus de 10000 habitants où le FN s’est retrouvé concurrencé par une liste MNR, plus de quarante lui ont été fidèles. L’étiquette "Front national" reste donc pour les électeurs un repère sûr, et dans le doute, on préfère l’"original" à la "copie"…

Mais le MNR a également obtenu de bons résultats : 21,2% des voix au second tour à Mulhouse (où le FN avait, il est vrai, obtenu 34,5% en 1995), 28% à Vernouillet (Eure-et-Loire), et de bons résultats dans les Bouches-du-Rhône : outre Vitrolles et Marignane, le MNR rassemble 29,5% à Rognac, et son candidat Philippe Adam 22,6% à Salon-de-Provence… Les dirigeants du mouvement s’en sortent d’ailleurs individuellement plutôt bien, à l’exception du délégué général Jean-Yves Le Gallou qui se présentait sur Paris (2,25%), ville où l’extrême droite fait traditionnellement, aux élections municipales, des scores assez faibles. Ainsi, le secrétaire général Franck Timmermans a obtenu au second tour 27,8% des voix à Pierrefittes-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), et Mégret lui-même 20,3% dans le 7e secteur de Marseille (quand le FN y fait péniblement 9%…). Pour compléter le tableau, notons le résultat de Pierre Vial, principal animateur de l’association Terre & Peuple, qui a rassemblé sur son nom 15,2% des voix à Villeurbanne (Rhône).

Le MNR drague à droite

Mais le véritable succès du MNR réside dans sa stratégie d’ouverture en direction de la droite extrême qui commence à porter ses fruits. Dès l’année dernière, Mégret et ses amis multiplient les initiatives et les engagements pour favoriser des listes d’union ou des accords en direction du FN, du RPF, du MPF, du CNI, de Démocratie Libérale (DL)… Et dans certains cas, il a été entendu. Un sondage réalisé en mai 2000 pour Le Monde indiquait que plus de la moitié des électeurs du RPF et de DL considérait qu’il fallait s’allier avec l’extrême droite quand cela était nécessaire.

Rares sont les candidats FN qui ont répondu à l’appel, car ils risquaient l’exclusion pur et simple. Notons malgré tout les tentatives à Bezonce (Gard), à Obernai (Bas-Rhin) mais surtout à Narbonne (Aude), où FN et MNR se sont retrouvé derrière Jean-Louis Soulié, obtenant 4,8% au premier tour. Mais on a vu fleurir des listes d’union MNR/divers droite à Saint-Laurent-du-Var (un ex-UDF menait la liste), une liste commune avec Henri de Lesquen (président du Club de l’Horloge) à Versailles et avec Pierre Bernard à Montfermeil, une liste CNI/MNR à Gardanne, une participation active de militants MNR dans des listes RPR-UDF à Trets et à Lan« on-Provence (Bouches-du-Rhône)… Mais la présence de personnalités RPR sur des listes MNR a pu également être constatée à Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne), Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin), Ris-Orangis, Montrouge (Essonne) ou Vichy (Allier). Enfin, ultime signe d’ouverture de la part du MNR, des retrait de listes en faveur du candidat de droite ont été nombreuses, parfois même avant les élections. Ainsi, le MNR n’a pas hésité à soutenir Jean-Marie Le Chevallier à Toulon, n’a pas présenté de candidat à Orange ("nous ne répondrons pas à la sottise par la sottise" a déclaré Le Gallou) pour ne pas gêner Bompard, et à Nice, Stirbois semble avoir bénéficié de l’intégralité du report des voix du MNR au second tour. Les consignes de Mégret à ses candidats étaient d’ailleurs fort claires : "faire barrage à la gauche socialo-communiste", et la stratégie à adopter était laissée à l’appréciation des responsables locaux. D’une certaine manière, cette stratégie de la main tendue en direction des partis et personnalités de la droite extrême s’est révélé salvatrice pour le MNR et a contribué en grande partie à lui éviter une catastrophe électorale qui lui aurait été fatale. Rien de tel au Front national. Pour ce qui est de la proposition d’union du MNR, Carl Lang y a répondu de fa« on lapidaire en février : "l’avenir du courant national passe par la disparition du MNR", et les consignes étaient de présenter en priorité des candidats là où le MNR en présentait aussi ; Cette stratégie a parfois été mené jusqu’à l’absurde, comme à Colmar où le candidat FN, face au MNR, n’a obtenu aucune voix ! Pour le reste, fidèle à ses habitudes, le FN appelait à la fusion des listes de droite au second tour (ce qu’aucun candidat RPR ou UDF ne s’est risqué à faire), ou bien, en cas de refus, se maintenait, ce qu’il a donc fait dans la totalité des cas. Mais les choses se sont parfois faites avec discrétion. Ainsi, Marie-Claude Bompard s’est retirée dans le canton de Bolène malgré un score élevé (20%), permettant à Pierre Bressieux (RPR) de l’emporter au second tour. Pour les municipales, le retrait opportun de Bressieux au second tour aurait pu offrir au FN une seconde ville…

En bref

En définitive, en ce qui concerne le FN et le MNR, ces élections municipales ont eu comme principal intérêt de mettre en relief les différences profondes en terme d’organisation et de stratégie politique des deux partis.

Jean-Marie Le Pen, et avec lui l’ensemble du FN, n’ont montré que peu d’intérêt pour ces élections, et au lendemain du second tour, le président du FN donnait rendez-vous à ses militants et à ses électeurs pour de "véritables consultations politiques", à savoir principalement les élections présidentielles de 2002 pour lesquelles Le Pen s’est déjà déclaré candidat, et dont la campagne débutera… au mois d’avril 2001. Car pour lui, le FN est un parti d’opposition nationale, qui a un rôle à jouer sur le plan national avant tout, et la représentation locale ne l’intéresse pas. Cette position est justifiée idéologiquement par le fait que l’immigration n’est pas un problème qui peut se régler à l’échelle municipale. Mais surtout, elle est le reflet d’un parti entièrement réglé autour de la figure de son chef, censée cristalliser tous les espoirs. Dans cette optique, les élections municipales pouvaient apporter des éléments de réponse à la question, cruciale pour le FN, de la succession de Le Pen, qui passera forcément la main après 2002. Or son dauphin officiel, Bruno Gollnisch, n’a pas fait de miracle, loin s’en faut. Et déjà, on cherche une autre personnalité… Et le nom de Jacques Bompard est alors évoqué. D’ailleurs, la CoordiNation (cf. No Pasaran ! de février), favorable à l’union FN-MNR, ne s’y est pas trompé et parle déjà, à propos du maire d’Orange, d’un "troisième homme", celui "par lequel la réunification des forces nationales doit arriver, notamment dans la perspective des élections présidentielles". Voilà qui ne devrai pas faire plaisir à Le Pen ; cela étant, rien ne permet encore de dire que Bompard abandonnera la vie confortable d’un notable de province pour devenir le nouveau leader d’une extrême droite décomposée. Enfin, l’identité du parti lui-même se construit contre les autres ; la notoriété du FN, qui a encore joué en sa faveur lors de ces élections, a tendance à faiblir face à un MNR qui refuse de mourir. Jusqu’à présent, le FN a fonctionné comme un aimant : attirés par sa force de rassemblement, les partis ou personnalités d’extrême droite venaient à lui et n’avaient d’autre choix que d’intégrer la structure ou disparaître. Le MNR, lui, fonctionne plutôt comme un ruban adhésif : tout ce qui traîne, il le ramasse. Sa volonté d’implantation locale s’explique alors : en l’absence de leader charismatique, c’est en s’appuyant sur un réseau de cadres locaux que Mégret peut donner une cohérence à son parti, même si ces cadres doivent venir d’autres partis politiques. L’alibi de la "jeunesse" du MNR, créé en 1999, souvent évoqué pour excuser les mauvais résultats aux élections, ne tient pas tant il est vrai que le MNR, "c’est du neuf avec du vieux", car l’essentiel des cadres FN l’avaient suivi au moment de la scission. En revanche, sa stratégie d’ouverture en direction de la droite peut effectivement représenter pour de nombreux nationalistes militants une forme de renouveau, et pour le MNR une raison d’exister dans le paysage fran« ais comme lieu d’échange et d’alliance entre droite extrême et extrême droite.

Esbé


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net