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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°86 - Avril 2001
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Plan Colombie, luttes autochtones

Comment travailler ensemble ?


Pendant près d’un mois, du 18 janvier au 13 février dernier, deux membres de communautés noires de la côte pacifique de Colombie ont parcouru la France pour présenter leur réalité quotidienne et surtout dénoncer le plan Colombia (cf No Pasaran n°84, février 2001).


Il s’agissait aussi pour eux de partager des expériences concrètes d’alternatives au capitalisme avec différents collectifs français. En effet, en tant que minorité colombienne particulièrement pauvre, les noirs sont les esclaves de ce système. Ainsi ces communautés noires représentent près de 30% de la population totale du pays. Elles sont les descendantes des esclaves arrachés à l’Afrique. A travers un processus de lutte de plus de trois siècles, elles ont réussi à gagner leur liberté en se retranchant dans les montagnes, les vallées et les côtes où le conquistador européen n’était jamais parvenu. Depuis, les noirs libres se sont adaptés à ce monde sauvage, souvent hostile, comme la région du Choco, très marécageuse, et ont ainsi créé leur propre culture. Mais cette population a toujours souffert d’exclusion et de racisme et leur territoire a été pillé par les multinationales pour puiser les ressources naturelles. Ils ont alors connu l’aliénation culturelle, la soumission à la pauvreté et la négation de tout droit social, économique, politique ou culturel.

1. Lutte et revendications

Face à cette exclusion, le peuple noir s’est organisé et a résisté. Son projet historique possède un enracinement culturel, territorial, environnemental et social. Leur lutte consiste en la défense des territoires où leurs ancêtres se sont installés en Colombie, où ils ont vécu, créé et recréé leur propre culture. En effet la population noire considère la terre comme une Mère et non pas comme un simple outil de production. La revendication territoriale est donc essentielle. Elle exige en outre que le gouvernement reconnaisse collectivement la communauté, son identité et son autonomie. Ainsi la communauté noire pourrait déterminer librement ses choix de vie, en accord avec ses aspirations et son identité en tant que peuple.

2. Des populations déplacées

En 1970, le gouvernement avait attribué aux communautés noires la propriété collective de toute une zone sur la côte pacifique du pays, là où bon nombre de leurs ancêtres s’étaient réfugiés, fuyant l’esclavage. Cette propriété collective signifiait que la gestion de ces terres étaient collectives et que la vente par un individu d’une de ces parcelles était impossible. Mais la recherche du profit a vite prévalu sur le respect des minorités, et l’Etat s’est rendu compte qu’il y avait des richesses à exploiter sur cette zone. Dès lors, tous les prétextes ont été bons pour en chasser sa population. Ces espaces correspondant à des zones stratégiques, politiquement et économiquement, que militaires, paramilitaires et guérilla se disputent. Les assassinats collectifs de civils sans défense constituent le principal mode d’action de ces groupes. Si certains massacres obéissaient à des mobiles politiques précis, ils avaient souvent pour seul objectif d’intimider la population pour la faire partir.

Après quasiment dix ans de cette stratégie de terreur, la Colombie compte plus de 2 millions de déplacés. Ici ce ne sont même pas des réfugiés car non content de les chasser de leurs territoires, on ne leur propose aucune alternative. Les populations chassées viennent donc grossir les cordons de misère qui entourent les villes.

3. Parmi les premières victimes de la guerre interne

Dans la guerre interne que connaît la Colombie depuis plusieurs décennies, la population noire est donc l’une des premières victimes, condamnée à une extermination muette, exécutée par l’Etat au profit des groupes économiques. En effet, ces derniers visent l’exploitation irrationnelle des territoires des communautés noires afin d’établir des projets touristiques, des routes, des ports et des canaux, des entreprises agro-industrielles, forestières ou énergétiques. Ceci entraîne l’épuisement des ressources naturelles et l’anéantissement de la biodiversité.

L’un des gros projets concernant le territoire autrefois alloué aux communautés noires est celui de canal sec. Le canal de Panama étant vieux et obsolète, et surtout désormais hors du contrôle des USA depuis décembre 1999, il fallait trouver une alternative. Le projet retenu, et appuyé par les Etats-Unis, est celui de canal sec. Il s’agit d’un canal par voie terrestre, qui permettrait aux chemins de fer colombiens de relier l’Atlantique au Pacifique.

Aujourd’hui, cette zone est directement concernée par le plan Colombia. Ce plan de guerre est agencé par le gouvernement des Etats-Unis. Sous-prétexte de lutter contre le narco-traffic, ce programme prévoit un usage massif d’armes biologiques et chimiques, le tout bombardé par les reliquats américains de la guerre du Vietnam. A noter d’ailleurs que l’armada chimique est fournie par l’industrie Monsanto, fameux inventeur de l’agent Orange, défoliant utilisé pendant cette même guerre.

4. Où sont les trafiquants, où est la drogue ?

Les pesticides et autres insecticides bombardés ne s’arrêtent évidemment pas aux cultures de coca. Ce sont tous les végétaux qui sont détruits, affamant ainsi la population contrainte à se déplacer. Quant à l’efficacité de cette lutte contre la drogue, elle ne peut qu’être remise en question. En effet, comme l’expliquait clairement un des deux membres des communautés noires, ce n’est pas la coca en elle-même qui crée la drogue, mais les produits chimiques hallucinogènes qu’on y ajoute. Or qui fabrique ces produits ? Les industries nord-américaines bien sûr. Quant aux acheteurs, le pouvoir d’achat des colombiens, boliviens ou autres péruviens ne leur permet pas d’en être.

Et, chose moins connue, même la destruction des plants de coca, paravent charitable pour une sale guerre, n’est pas aussi systématique qu’annoncée. En effet le sud-est du pays, contrôlé par la guérilla FARC (Force Armée Révolutionnaire Colombienne), ne serait pas touché par ces bombardements alors qu’il est une importante région productrice de coca. De là à faire le lien avec les récentes négociations entre le gouvernement Pastrana et la FARC, il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir.

Par contre les populations indiennes ou noires qui, elles, ne représentent aucune force, ne seront pas épargnées.

5. Répression face à la contestation

Par la répression, le gouvernement colombien fait en sorte que ces populations soient passives et soumises. Pourtant les gens tentent de s’organiser. Ainsi Sarai, une femme ayant participée à la tournée en France, a été chassée par la force plusieurs fois. Cette paysanne originaire d’un petit village sur la côte pacifique était consternée de voir à quel point les femmes avaient une vie pénible et tiraient peu de revenus de leur activité. Elle décide donc à l’époque de leur proposer de se réunir pour travailler ensemble. Le premier projet qui voit le jour est celui d’un poulailler collectif dont les oeufs sont vendus ensemble. Cette activité va vite se développer, ce qui n’est pas du goût des gros propriétaires du coin. Ainsi ces derniers vont engager des paramilitaires pour dissuader les femmes de poursuivre leur élevage. En tant qu’initiatrice du projet, Sarai va être menacée de mort, elle, son mari et ses trois enfants, et va finalement être chassée de chez elle, en pleine nuit. Elle trouve alors refuge dans une petite ville près de là. N’ayant jamais eu d’autre activité que l’agriculture, sa survie en ville est très précaire. Mais pour subvenir aux besoins de sa famille, elle trouve une nouvelle activité : vendeuse ambulante, de tortillas et autres petites friandises. Là encore, elle décide de se regrouper avec d’autres femmes pour faciliter le travail et être plus fortes face aux autorités qui refusent ce type de vente. A tel point qu’un jour, l’armée vient détruire son outil de travail et l’oblige à quitter la ville. De nouveau elle migre avec toute sa famille, cette fois pour une ville plus importante, et plus éloignée. Dans cette nouvelle ville, Sarai a peur. Elle a repris son activité de vendeuse ambulante avec d’autres femmes, mais aucun de ses voisins ne sait qui elle est ni d’où elle vient. Il l’appelle seulement " la noire ". Elle n’emprunte jamais deux fois le même chemin pour rentrer chez elle et ne donne son adresse à personne. Voilà le sort des déplacés, déracinés et réprimés.

6. Une guerre régionale annoncée

Malheureusement, cette situation de guerre interne, ces déplacements forcés et le plan Colombia ne touche pas que la Colombie. Toute l’Amérique du sud est sous le joug des USA et du capitalisme. Même si rien n’est réglé, les résistances sont vives : au Pérou le dictateur Fujimori est tombé ; au Vénézuela un militaire populiste s’est fait élire à la suite des émeutes spontanées contre le FMI ; au Mexique, s’en est fini du règne du PRI ; en Bolivie et en Equateur, on est au bord du coup d’état.

C’est tout un continent qui lutte pour son autonomie et veut librement décider de son avenir. Mais grâce à la " guerre contre la drogue ", les " conseillers militaires " U.S sont déjà à pied d’oeuvre partout. Des militaires de tous ces pays ont déjà reçu leurs diplômes es tortures.

7. En France, des rencontres et des projets

Face à cette grande guerre impériale, l’opposition en Europe et en Amérique du Nord peut jouer un rôle décisif. C’est pour cette raison que des membres de communautés noires de Colombie sont venus nous rencontrer, dans un esprit d’échange, et non pas de paternalisme. Ainsi ils ont rencontré à Dijon, Nantes, Saint Girons, Toulouse, Saint-Etienne, Lyon, Longo Maï, Montpellier, Millau, des collectifs autonomes d’individus qui chacun, dans leurs villes respectives, se battent contre ce système capitaliste et étatique par des initiatives diverses. De radio alternative en jardin collectif, d’agriculture biologique en énergies renouvelables, de mouvement des sans-papiers en mouvement des squats, les échanges furent riches. L’idée des colombiens était de s’enrichir de multiples expériences et de trouver des formes de luttes en commun. Sur le premier aspect, cette tournée a vraiment porté ses fruits. Sur le second, tout reste à faire. Depuis longtemps, il est admis que les luttes du nord et du sud doivent converger contre le capitalisme et les états qui le servent, reste à trouver de quelle manière. C’est le sens des luttes menées par exemple par le réseau de l’Action Mondiale des Peuples, où des groupes, à la campagne comme en ville, dans le monde entier, travaillent dans le même sens, avec des journées d’actions communes. Mais ce genre d’initiative a du mal à prendre en Europe. Et comment fonctionner de manière réellement horizontale et équitable, à un niveau mondial, quand les outils de communication, comme les fonds, sont concentrés au nord ? Ce sont toutes les questions qui restent à régler pour réussir à lutter vraiment côte à côte et à créer ensemble des alternatives internationales.

LN


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