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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°6 - Février 2002 > Tranches de vie

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Tranches de vie



Raja, 23 ans, vit avec ses parents, père ouvrier et mère au foyer

J’étais étudiante et ça fait 3 ans et demi que je travaille à Mac do et je suis Swing manager. Avant cette lutte je n’ai jamais milité nul part et je n’étais pas syndiquée, car ici si tu te syndiques t’es foutue, tu ne peux plus progresser.

Mais depuis cette lutte je me suis syndiquée et c’est un vrai combat. ça sert à quelque chose au moins, je n’ai plus peur et je suis très confiante. Mes parents sont Tunisiens et ils me soutiennent sans comprendre vraiment. Pour ne pas leur prendre la tête et pour ne pas les inquiéter, je ne leur dis pas tout, sinon ils vont vouloir que je cherche un boulot ailleurs.

Les premiers jours nous étions seuls, avant que vous n’arriviez en tant que comité et on savait pas qu’on allait tenir tout ce temps. Après votre arrivée on a senti un affaiblissement du franchisé et on avait la pèche.

Je voudrais que notre combat à Strasbourg-St-Denis même si on gagne pas, il faut que ça serve de leçon aux autres Mac do, d’abord aux salariés pour leur dire qu’on peut se battre si on est tous unis, ensuite aux patrons, qu’on est pas des steaks hachés.

Je suis très fière des nouveaux rapports qu’on a entre nous maintenant. On se connaissait sans se connaître. Il y a vraiment des gens superbes et j’ai l’impression qu’on a tous grandi avec cette lutte, surtout que tout le monde parle de nous et dans les médias ça `P¨+prend des allures positives. MC Do est vraiment coincé et nous devons faire des liens en solidarité avec d’autres luttes .

Aliou, 29 ans

Je suis d’origine sénégalaise, et je suivais des cours en électronique, avant de devenir totalement équipier. A cause de la bonne ambiance, j’ai un bon contact avec tout le monde et ce sont des amis pour moi.

Je vis seul à la porte de la Villette et je travaille aussi à Pizza Hut. Je me suis mis tout de suite en grève car la direction est profiteuse et ici c’est l’esclavage moderne, on est exploité dans ce genre de boulot.

Avant de partir à l’armée j’étais à 39 heures payées 6.000F. net par mois. J’avais des ennuis avec ma famille et j’ai donc tout accepté au boulot. Après mon retour de l’armée, le magasin est passé aux mains d’un franchisé, alors qu’avec MC Do France c’était mieux. Ce franchisé nous mettait la pression en permanence en invoquant sa marge. J’ai été obligé de revenir au restaurant car je n’avais pas été pris dans l’armée de l’air à cause d’une blessure. On m’a baissé le taux horaire et diminué mon salaire de 1000 francs. Je n’étais pas d’accord et je me battais déjà depuis longtemps contre la direction. Aujourd’hui je suis en grève pour moi-même, mais surtout par solidarité pour mes copains licenciés. Ce franchisé n’a jamais supporté la cohésion de l’équipe et notre bonne entente et surtout notre solidarité, cela dérange, la direction n’est habituée à de tels rapports dans un endroit comme MC do.

Cette grève m’aura appris encore plus la solidarité, ne jamais baisser les bras, et je veux rattraper les conditions de travail qui étaient faites à mes parents !

Riyad, 22 ans, vit seul à Paris Xe arr.

Je travaille dans ce restaurant depuis quatre ans et je suis 2° assistant.

J’étais lycéen, et j’ai fait plein de petits boulots sur les marchés dès l’âge de 14 ans et je n’ai jamais eu peur de gagner ma vie.

Avant la grève, les rapports avec le franchisé Rémy Smolik étaient très tendus, mais ça allait avec les autres.

Depuis la grève et notre combat je déteste MC Do, alors qu’avant franchement j’aimais bien. Dès que je serai réintégré je me syndique pour mieux me battre.

Je vois l’avenir comme ça : Rémy se casse, et les salariés reprennent le restaurant. Aujourd’hui, nous sommes capables de gérer tout seul. Mais bon j’ai pas envie de faire toute ma vie à MC Do. Je tiens encore deux à cinq ans, ensuite j’irai ailleurs.

Ce n’est pas la première fois que je me bagarre contre la direction. Juste avant mon licenciement on a mené un combat pour les fiches de payes et les heures supplémentaires. En général quand je ne suis pas d’accord je le dis et j’assume car le travail que je fais ici je le fais bien. Je travaille très dur pour être au poste où je suis, mais apparemment le franchisé s’en fout si les pauvres salariés se tuent au travail. On doit travailler et fermer sa gueule sinon tu es accusé de vol et t’es viré comme un délinquant.

MC Do m’aura appris qu’ils sont une vraie école d’escrocs et pour se battre avec eux, il valait mieux être truand. Ce n’est pas notre cas : nous attendons la décision des Prud’hommes, je crois encore en la justice.

Pour finir à la direction de Mac, vous ne trouverez jamais un jeune issue de l’immigration, mais pour le reste du boulot c’est essentiellement des jeunes dont les familles sont pauvres ou issues de l’immigration. Peut-être qu’on est plus facilement exploitables...

Mon père, lui, n’a pas gagné contre son patron aux Prud’hommes alors que nous on va gagner et on fera la fête. Mais je sais que mon père a perdu parce que personne ne l’a défendu alors que pour nous il y a vous, le comité de soutien, et que la presse parle de nous. Je veux terminer sur les vigiles. Jusqu’à la grève, franchement, on s’entendait bien car ils ne sont pas que vigiles : ils peuvent être amener à remplacer l’un de nous en cas d’absence, mais sur cette histoire ils ont joué un jeu dangereux, le jeu de la direction. Ils cherchent à nous pousser à bout de façon à ce qu’on devienne violents. Ils pourront dire ensuite : "c’est normal ce sont des jeunes de banlieues", mais je sais qu’aujourd’hui chacun restera à sa place. Les vigiles ne sont pas nos amis.

Aristid, 25 ans, 8 mois de boulot, équipier et polyvalent

Je suis étudiant en comptabilité gestion et je milite au quotidien dans ma vie .

Je vais te raconter très vite : je suis parti deux mois pour mes études, je suis revenu au mois de juillet et le 1er août le nettoyeur Rémy Smolik est arrivé comme gérant, alors que jusque là l’ambiance était sympathique... Mais avec ce monsieur là, rien n’était comme avant : il passait son temps sur place, son bureau était sur place et il passait son temps à remonter d’abord les salariés les uns contre les autres, mais cela n’a pas suffit. Ensuite je suis reparti pour mes examens et à mon retour le 20 septembre la tension était présente. Tout le monde était en grève car le franchisé avait licencié Armand pour procédure fallacieuse, et ceux qui l’on soutenu ont été aussi licencié pour vols. Il s’agit d’Aziz, Riad, Amer et Nabil qui se sont présentés une semaine avant aux élections syndicales.

Apparemment ce franchisé n’a pas l’habitude qu’on lui tienne tête mais nos collègues l’ont fait et pour cela ils se retrouvent accusés de détournement d’un million de francs. Si je fais grève aujourd’hui c’est qu’il fallait réagir avec dignité. Armand a été licencié car il était syndicaliste et qu’il était très aimé par tous ses collègues. Les autres se sont solidarisés avec lui. Aucun d’entre eux n’est coupable si ce n’est de s’être défendu sur son lieu de travail.

Après 83 jours de grève, rien n’a changé : on se sent méprisé par Mc Do mais je m’en fiche car je suis de nature à lutter contre l’injustice, pour moi et pour tous ceux qui sont obligé de travailler pour survivre dans une société qui ne fait vraiment pas de cadeaux. Pour lutter, il faut avoir de l’audace et du courage et j’espère que nous salariés de Strasbourg st Denis on a transmis au moins ça.

Amer, 21 ans, habite Epinay

Je suis d’origine pakistanaise. Depuis un an et demi je travaille comme formateur. C’est juste au dessus d’équipier.

Je suis étudiant en DEUG AES, et l’arrivée du franchisé le 1er août a été le moment clé du restaurant. Armand revient de ses congés payés le 20 août, et à partir de cette date il a subi toute sorte de pression pour qu’il démissionne. ça n’a pas marché alors ils lui ont proposé de l’argent, juste parce qu’Armand était syndicaliste et que Mr Smolik a dit "Pas de syndicat dans le restaurant."

La procédure de licenciement a commencé par une mise à pied à titre conservatoire (jusqu’à la prise de décision) et la grève a été mise en place par les mêmes personnes, accusées et licenciées pour vols.

Le 22 octobre : annonce de la procédure de licenciement et le 24 octobre : grève générale et illimitée. La CGT est venue prendre contact avec nous par le biais de délégués de St-Germain qui était eux aussi en grève l’an dernier. Il s’agit de José Lito et de Jean-Claude. Armand, qui était à la CFTC, s’est vu lâché par son propre syndicat. Là-dessus il se syndique à la CGT. Nous avons donc profité des conseils de Mc Do St-Germain et de la mobilisation de la CGT, qui était un peu molle au départ. Le comité de soutien s’est constitué dans la deuxième semaine de grève et depuis nous avons fait plusieurs actions dont la principale se déroule tous les samedis, nous les appelons les "samedi noirs". Avec ces blocages nous sommes sortis de l’anonymat. D’autres Mac Do nous téléphonent pour les aider à débrayer des grèves. Cela fut le cas de Bonne nouvelle, de Rivoli, Opéra et dernièrement les Champs-Elysées.

Lors de ces blocages nous communiquons avec les équipiers et nous avons fait en leur direction des tracts qui expliquent ce que nous vivons en tant que salariés. Nous on a pris conscience de nos conditions de travail que depuis la lutte. Nous échangeons sur nos expériences et notre exploitations à Mac Do, mais c’est pas évident. Il y en a qui ne voient pas qu’ils sont exploités et traités comme des esclaves.

Mac Do France fait le jeu de ce franchisé, car sans leur soutien financier il ne pourrait pas tenir et aurait dû négocier. A cause de cette histoire nous avons été convoqué en audition au commissariat par la brigade des répressions de la délinquance astucieuse, métro national, qui s’est transformée en garde à vue. On n’a pas compris pourquoi la police a tout fait pour nous intimider et nous traiter en voyous et en voleurs. Dès que nous sommes arrivés tous les cinq, chacun a été pris par un brigadier et on nous a enlevé nos lacets, cravates et d’autres mis à poil. La première question était : "tu sais pourquoi tu es là ?" Je leur ai répondu "pour vous aider dans votre enquête" et que je ne comprenais pas la garde à vue et l’interrogatoire de trois heures et pour finir "si tu as fait quelque chose tu dois nous le dire.". Même si la police est restée correcte, elle ne nous a pas moins traité en coupables.

Armand, 36 ans, marié, deux enfants. Savigny-le-temple

"Celui par qui la lutte est venue" (Houria Ackermann 3.27)

Aujourd’hui, le restaurant a une réputation difficile aux yeux de Mc Do France et ils nous ont envoyé Rémy faire le ménage. Celui-ci est connu comme un nettoyeur et il a déjà sévit dans d’autres Mc Do en 91 et 94. Ce spécialiste du nettoyage salarial, je l’ai connu en 1992, il est sans foi ni loi, et je suis devenu sa tête de turc. La première grève du 14 septembre était pour me défendre, et le 19 septembre il a été obligé de me reprendre. Cette grève a été organisée par cinq personnes et toutes ces personnes ont été licenciées, à ce jour encore. Pour cela il a su inventer des fautes imaginaires. Les autres collègues ont compris la situation, se sont mis en colère et 36 personnes sont en grève depuis trois mois maintenant. Cela a mené à une situation aberrante. Légalement cet homme n’est pas franchisé puisque je l’ai vérifié au CABIS au tribunal de commerce le 15 octobre. Cet homme n’est pas connu de leur registre. Juridiquement tout cela est illégal. Seul Mc Do France est responsable mais nous nous sommes trop défendus et ils veulent notre peau.

Après l’audition pour ce soit-disant vol, nous avons dit tout ce que nous avions à dire et j’avoue que je suis soulagé car les escrocs et les voleurs, c’est bien eux et j’ai des preuves ! La tension pour moi est descendue d’un cran. La prochaine échéance, c’est le 24 janvier devant les Prud’hommes. Rien ne peut empêcher la réintégration et l’ouverture du restaurant de Strasbourg-St-Denis.


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