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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°6 - Février 2002 >  Retour sur le Chiapas

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Retour sur le Chiapas


Cet article revient sur quelques données de la lutte zapatiste et la situation après la venue du nouveau gouvernement dirigé par Mr Fox.


Depuis toujours, les indigènes du Chiapas vivaient comme esclaves dans les grandes "fincas" de maïs, café et canne à sucre, dominés par les grands propriétaires terriens. Avec l’essor démographique et le désir d’une vie meilleure, beaucoup d’entre eux ont fui pour se réfugier dans les montagnes inaccessibles et dans la jungle. Ils étaient en quelque sorte les vaincus de la lutte agraire, qui n’avaient pas réussi à récupérer la terre aux propriétaires depuis la révolution mexicaine du début du XX siècle.

L’exode s’est intensifié dans les années 60 et dura jusque dans les années 80.

Entre 1950 et 1970 apparaissent les "ejidos", forme de propriété communale et communautaire dont chaque membre cultive une parcelle ; elle est confisquée si elle cesse d’être cultivée. Le peuple maya avait seulement une option : s’unir, s’organiser et chercher ensemble une forme de vie communautaire en travaillant collectivement. Peu à peu prend forme une certaine organisation des indigènes qui donnera comme fruit l’EZLN (armée zapatiste de libération nationale).

Ainsi commence la repopulation de la jungle Lacandone, oubliée par le gouvernement, victime des caciques, des "guardias blancas" (les propriétaires terriens engagent des gardes armés) et des fonctionnaires publics du gouvernement de Carlos Salinas. Depuis 70 ans, le parti politique PRI est au pouvoir, avec des fraudes électorales impressionnantes. C’est un parti politique "pseudo-démocratique", centraliste et uni au pouvoir économique, aux grands propriétaires terriens, aux narco-traficants et au crime organisé. A la suite du projet du Traité de Libre Commerce entre le Mexique, Etats-Unis et Canada, de la nouvelle rédaction de l’article 27 de la Constitution qui convertit la terre en marchandise, de la privatisation de plusieurs compagnies publiques, l’EZLN prend la décision d’agir non comme organisation d’auto-défense, mais comme armée offensive, prête à une insurrection armée.

Le 1er janvier 1994, l’armée zapatiste prend d’assaut 5 villes de Chiapas : San Cristobal de las Casas, Ocosingo, Comitan, Las Margaritas et Altamirano.

De cette insurrection, on compte 20 indigènes tués et de nombreux détenus.

La société civile et le diocèse de San Cristobal (notament l’évêque Samuel Ruiz) font pression sur le gouvernement et demandent le cessez le feu.

Les indigènes sont représentés par le Conseil Clandestin Révolutionnaire Indigène (CCRI) et revendiquent démocratie, justice, liberté et paix.

Quatre points de revendications sont énoncés : - la reconnaissance de la culture indigène et leurs droits dans la Constitution mexicaine.
- justice et democratie.
- bien-être et développement (conditions sociales, éducation, santé).
- les droits de la femme. A travers les premières et secondes déclarations de la jungle Lacandone, le zapatisme commence à construire une alliance, à tisser des liens avec la société civile et politique. La pratique de "mandar obedeciendo" (commander tout en obéissant) et non de la prise du pouvoir, a fait que le zapatisme a mûri comme force politique et s’est gagné une place dans la lutte pour la démocratie au Mexique. Vient ensuite la figure énigmatique du sous-commandant Marcos (puisque le chef suprême c’est Emiliano Zapata).

C’est la voix du peuple indigène, le porte-parole, le poète, le guerrier, l’universitaire. Il n’est pas indigène mais métis et parle presque tous les dialectes indigènes. Il existe plus de 20 ethnies seulement dans l’Etat du Chiapas.

Grâce aux moyens de communication, à la publicité médiatique, à internet, la voix de Marcos/peuple a porté loin et son charisme a fait de lui un mythe. De plus, son message a eu un écho au niveau international comme le prouveront les Rencontres Intergalactiques contre le néolibéralisme et pour l’Humanité qui ont eu lieu en 1996 dans la jungle Lacandone. Se sont réunis différents groupes, collectifs de divers mouvements qui se sont sentis identifiés à la lutte zapatiste dont les 4 clés majeures sont :
- l’attaque du capitalisme,
- l’organisation horizontale,
- le respect à la différence
- et le renoncement au pouvoir.

En février 1995, l’armée fédérale attaque les communautés indigènes saccageant terres, bétail et maisons. Les indigènes sont forcés à s’enfuir dans la jungle et se cachent 15 jours dans les montagnes sans eau ni nourriture. C’est se qu’on appelle la "guerre de basse intensité" : suite à la défaite au Vietnam, le Pentagone (USA) a élaboré un nouveau concept de guerre qui sera amplement testé en Amérique Centrale. Il s’agit d’une guerre basiquement politique, économique et psychologique, dans laquelle l’affrontement militaire est relégué en dernier plan.

C’est la guerre totale a niveau communautaire. Il n’y a pas de victoire par la voie des armes, il ne s’agit pas de vaincre l’armée ennemie mais la population civile, sa base de soutien. Les techniques de contre-insurrection se basent sur la délation, la rumeur, l’intimidation. Il n’y a ni bombes ni armes mais la région ne connaît pas la paix. L’EZLN demande donc au Centre des Droits de l’Homme (dirigé à ce moment par Samuel Ruiz) la création de campements civils pour la paix dans chaque communauté zapatiste, avec des observateurs qui pourront rapporter le transit militaire et paramilitaire.

Le 16 février 1996, le gouvernement accepte de dialoguer avec l’EZLN et Samuel Ruiz sert d’intermédiaire aux négociations. Les premiers accords (droits et culture indigène) sont signés à San Andres Sacamch’en.

Cependant l’encerclement militaire de la zone insurgée est de plus en plus constant ; le gouvernement tente à travers les organisations paysannes locales de diviser les indigènes et provoque des affrontements.

Les fameux accords de San Andres ne sont pas respectés et l’EZLN rompt le dialogue avec le gouvernement. Le deuxième point de négociation (justice et démocratie) reste en suspens. En mars 1998, le gouvernement continue sans respecter les premiers accords signés, et initie une loi sans consulter les zapatistes, qui va contre ce qui avait été signé durant la première table ronde. La société civile et diverses organisations politiques et sociales se mobilisent et réussissent à empêcher que le Congrès suive cette farce. En juillet 2000 ont lieu les élections présidentielles cette fois-ci sous contrôle. Vicente Fox, candidat du PAN (parti d’extrême droite, conservateur) gagne. Fox, ex-PDG de la Coca-Cola est un businessman capitaliste et sa politique dit : "tout se vend".

Mars 2001, les zapatistes mettent Fox au pied du mur et organisent une grande marche pour la reconnaissance des droits indigènes et la fin de la guerre d’extermination, depuis le Chiapas jusqu’a la capitale Mexico DF.

10 000 personnes y sont présentes. Pour la première foi dans l’histoire du Mexique, les membres du CCRI et les commandants/es de l’EZLN rentrent dans la chambre des députés pour négocier à nouveau. De plus, c’est une femme, la commandante Esther qui pose les conditions : la libération de tous les prisonniers politiques zapatistes, le retrait immédiat des 7 bases militaires implantées dans la jungle et le respect des Accords de San Andres.

Marcos s’est éclipsé et ne rentrera pas dans le Congrès. Fox se voit forcé de libérer les prisonniers mais 4 resteront encore enfermés. Les bases militaires sont retirées mais restent plus ou moins proches de la zone insurgée. Le projet politique de Fox, c’est le Plan Puebla- Panama : construire a partir de Puebla (Mexique) jusqu’au Panama des industries, des routes, des ports ... Les pays du premier monde associés dans l’ALENA pourront donc trouver la main-d’œuvre pas chère dans ces pays d’Amérique Centrale et vendre la marchandise ailleurs.

En plus d’exploiter les gens et de les exproprier de leurs terres, il s’agit de détruire la nature, sucer au maximum les ressources de la terre (pétrole, gaz, bois précieux, minéraux, etc) et appauvrir la population (par exemple, les petits producteurs de café ne pourront pas être compétitifs).

Septembre 2001, l’avocate Digna Ochoa, activiste compromise dans la défense des droits de l’homme est assassinée mystérieusement.

Depuis peu, une loi indigène a été décrétée par l’Etat mexicain : il s’agit, en fait, de réduire l’autonomie des communautés indigènes et redéfinir la structure fédérale en 4 étages du gouvernement : le municipal, les régions autonomes indigènes, l’étatique et le fédéral. Bref, créer un office de plus dans le gouvernement, en incluant les indigènes. De plus, avec cette nouvelle loi, les indigènes ne pourront plus être titulaires de leurs terres. Une fois de plus, on constate que les "bonnes intentions" du gouvernement cachent une autre offensive contre les indigènes. En espérant que l’opinion publique ne sera pas dupe. "Zapata vive, la lucha sigue !".
Sandra


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