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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°6 - Février 2002 > Réinventer le présent pour construire d’autres futurs

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Réinventer le présent pour construire d’autres futurs


Au Sénégal ,on dit qu’un pauvre est un orphelin social. À Tivaoune on nous a appris que la pauvreté économique est un concept de riche… En France, on nous dit qu’il n’y a plus d’énergie sociale…. Sans subventions. À Oléron Bonaventure a prouvé que la survie menait au désenclavement. AUPEJ et Bonaventure se sont ainsi emparés d’un adage ouolof : Ndimbêl na ca feek loxal borom (l’appui vient dans l’effort ) et de celui de Machado " Caminente no hay camino, se hace el camino al andar. " (Passant, il n’y a pas de chemin, le chemin se trace en marchant). Alors avançons ! Nous vous proposons, sous forme d’un patchwork, plusieurs articles montrant ce que peut être la solidarité en acte. A travers ces exemples concrets, on peut imaginer comment peuvent se construire des relations internationales, fondées sur l’échange, les apports réciproques, tout en prenant en compte les spécificités


Histoire d’une rencontre.

L’une est enclavée dans un quartier populaire d’une ville sahélienne, l’autre dans le cœur d’une petite île charentaise… Et pourtant elles se sont reconnues et ont peut-être inventé une solidarité de mises en actes ! Elles ont été créées la même année pour des objectifs similaires, dans des contextes différents : petites sœurs jumelles d’alternatives en acte, l’une et l’autre ont su utiliser l’effet miroir et boomerang de leur partenariat. Les compétences sociales de l’une ont valorisé le peu de savoir-faire de l’autre. La créativité institutionnelle de l’une a donné sens aux pratiques informelles de l’autre. Une belle histoire de rencontres plurielles, d’amitiés, de solidarités, de mise en réseau, d’entre-apprentissages !

Actions Utiles Pour l’Enfance et la Jeunesse

A.U.P.E.J. réunit des centaines de garçons et de filles âgées de 4 à 18 ans exclus ou marginalisés et leur crée un espace de liberté et d’épanouissement positivement structurant.

Les enfants et les jeunes participent à la programmation, à la conduite et à l’évaluation des activités.

AUPEJ est née à Tivaouane dans la région de Thiès en 1993.

Tivaouane est à 92 km de Dakar, la capitale. C’est un département de 3 500 km2 avec plus de 50 km de côte. Sa population est estimée à plus de 50.000 habitants. Ses principales activités sont : l’agriculture, l’élevage, la pêche (Mbour), l’extraction des phosphates (Taïba), l’industrie chimique (I.C.S). Tivaouane, une commune qui regroupe une vingtaine de quartiers dont FOGNY qui abrite le siège social d’AUPEJ.

Bonaventure

Centre d’éducation libertaire, république éducative libertaire qui scolarise des enfants de 3 à 11 ans depuis 1 993 sur l’île d’Oléron. Les parents déscolarisent leurs enfants (loi sur l’instruction). Bonaventure repose sur le principe de : ·l’éducation permanente à et par la liberté, l’égalité, l’entraide, l’autogestion et la citoyenneté, ·la laïcité, la gratuité, ·l’égalité des salaires, ·la propriété et la gestion collective...

Financée collectivement, la scolarité à Bonaventure est gratuite. La participation à la vie institutionnelle de l’école et à sa gestion (sur un mode autogestionnaire) fait partie du processus éducatif (apprentissage de la citoyenneté).

Bonaventure fonctionne sur le modèle d’une classe unique mélangeant classes d’âges et groupes de niveaux .

Les jeunes d’A.U.P.E.J.et Bonaventure.

Rôle et attribution d’AUPEJ

AUPEJ surgit en pleine crise du système éducatif au Sénégal Le taux brut de scolarisation baisse. Il était en 1988-89 de 57,3 %, il n’est plus qu’à 54,3 % en 1992. Un enfant sur deux a accès à l’école. Une fille sur trois a accès à l’école. Un enfant sur trois franchit le cap de l’enseignement moyen. Le taux d’analphabétisme des 15-55 ans est de 73 %. La scolarisation introduit des tensions : aucune liaison est établie entre deux systèmes éducatifs (communautaires et scolaires(1)).

L’émergence des dynamiques populaires à Tivaouane a été l’aboutissement d’un long processus d’organisation des populations, notamment des jeunes à travers la structure dénommée " Action utile pour l’enfance et la jeunesse" (A.U.P.E.J.), qui avait pour objet de favoriser la promotion des enfants et des jeunes et de constituer un cadre d’échanges et de formation permanente.

Lorsqu’il a fallu mettre en pratique ou traduire en programme d’activités le groupe avait retenu comme principe de " Partir des actions car c’est en avançant que se fait le chemin ". C’est d’ailleurs ce qui explique le nom de l’association " Actions Utiles pour l’enfance et la Jeunesse ". L’évaluation en tant que moment de réflexion sur les résultats et d’analyse des résultats avec tous les acteurs nous met dans une situation de recherche permanente et permet une valorisation de tous les acteurs.

L’association a été constituée pour faire le lien entre les différents acteurs, définir un cadre de réflexion et dégager des perspectives lointaines à travers une plate-forme politique et méthodologique avec des objectifs partagés par tous les acteurs.

L’association est un espace de rencontres et d’échanges d’expériences, un espace qui impulse les solidarités dans l’action dans la réflexion.

AUPEJ facilite le partage du pouvoir pédagogique entre parents - animateurs et élèves. Elle accompagne le processus de construction collective du projet pédagogique. Elle travaille à faire prévaloir la centralité populaire et la reconstruction et la valorisation de tous les secteurs. AUPEJ n’est nullement centralisée. Elle ne marginalise pas les enseignants, les parents et les élèves. Elle ne les confine pas dans la périphérie.

Axes stratégiques

Le processus de mise en place des structures d’AUPEJ a été porté par les enfants, les parents et tous ceux qui, à un certain moment donné se sont impliqués dans les diverses activités. Le processus s’est constamment enrichi de l’apport de chacun et de tous. Les gens se sont investies selon leurs sensibilités et leur niveau de compréhension. Là où nous étions tous d’accord et qui a constitué des repères forts c’est que : nul n’est indispensable. A chacun selon ses compétences, ce qu’il peut offrir. Partage et solidarité dans la réflexion et dans l’action. Les décisions se prennent au niveau du grand groupe composé des parents, des enfants et des animateurs. La gestion obéit au même mode. Aucune discussion de couloir ne peut être une instance de résolution d’un quelconque problème de AUPEJ. L’autonomie et la solidarité nous guident dans nos pratiques.

AUPEJ bénéficie d’une riche expérience acquise à travers l’implication de ses composantes dans le mouvement associatif (associations sportives et culturelles, associations de parents d’élèves, mouvement syndical). Ils ont tous pratiqué l’autonomie et ont acquis une capacité de débrouillardise et d’innovation qu’ils viennent de systématiser et de valoriser.

Place des enfants

Le forum est un temps fort et participe à la libération de la parole chez les enfants. C’est la classe d’apprentissage de la prise de la parole, de l’écoute, de l’acceptation de l’autre, d’échanges avec l’autre. Le forum permet de valoriser le pluriel. Il permet aux enfants de systématiser leurs points de vue, de les exprimer et de briser leur isolement.

Les enfants sont une composante essentielle dans l’animation éducative et formative. Ils apprennent avec les animateurs et avec les adultes (parents). Outre le forum, qui est une structure pédagogique qu’ils animent, il y a la coopérative qu’ils gèrent avec l’appui des animateurs. La coopérative est un outil pédagogique. Ils élisent les membres du bureau parmi eux et élaborent un programme d’activités qu’ils soumettent à l’assemblée générale des enfants qui entérine. Ils produisent, vendent et font le bilan. Auto apprentissage de la gestion, de la citoyenneté, cogestion, co apprentissages sont des mots-clés qui visibilisent la place des enfants. Dans la classe, les apprentissages scolaires se font par groupes.

Ni Infantocentrisme, ni enfants objet.

Processus d’organisation des dynamiques féminines.

A Tivaouane, notamment chez les femmes, on assiste à l’émergence de dynamiques populaires : dans de nombreux quartiers et les villages avoisinants : Fogny, Keur khaly, Bittiw, Keur massamba, etc.

Cependant la progression du mouvement a été ralentie par une faiblesse notoire des moyens mobilisés pour le suivi des actions ; la stratégie retenue par rapport à cette contrainte a été de s’appuyer sur les expériences d’organisations populaires afin de mettre sur pied un plan d’action stratégique en tenant compte, des objectifs préalablement définis. C’est ainsi que des démarches ont été entreprises en vue de favoriser des échanges entres les différents acteurs par leur mise en relation. Cette démarche a beaucoup aidé à la lecture des différentes contraintes identifiées.

Des freins au développement du processus....

Un diagnostic sans complaisance réalisé par les femmes sur leurs situations a permis de lire les contraintes suivantes :
- Insuffisance dans la communication interne et par conséquent faiblesse des initiatives collectives.
- Faible expertise en matière de valorisation des ressources locales.
- Insuffisance des ressources mobilisées par rapport aux objectifs fixés.

Des actions de recherche...

La recherche de solutions aux différentes contraintes évoquées a amené les femmes à développer une série d’actions visant à harmoniser leurs efforts dans le cadre d’un plan de redressement social et économique identifié par les organisations populaires.

C’est en effet, dans ce cadre que la mise en place de guichets dans les différents quartiers était apparue comme une stratégie de base.

L’éclosion des caisses de crédit.

La mise en place de guichets aura par conséquent le mérite de contribuer, au delà de la mobilisation des ressources financières à resserrer les liens entre les différentes composantes sociales et à constituer ainsi un cadre d’échanges pour des tâches de construction communautaire ; cette stratégie ne constituerait cependant que le résultat du processus de valorisation des organisations primitives (tontines, mbotayes, ndey dikké, etc.2) ; une non prise en compte de ces formes d’organisations serait sans doute synonyme de formalisation de la démarche.

Par ailleurs, sous la détermination des femmes, le mouvement allait faire tâche d’huile dans les villages environnants, notamment à Pire où on note déjà une forte mobilisation sociale. Des séances de réflexions y ont été également organisées et des actions entreprises à l’image de Tivaouane.

Une vingtaine de caisses de crédit fonctionne à Tivaouane : les femmes rompent leur isolement social, se forment à la gestion, concrétisent ou contextualisent des projets économiques. Ces caisses de crédit mutuel cassent avec la spirale de l’appauvrissement continu des familles.

Ces guichets de quartier participent à l’éclosion de solidarité économiques et sociales : organisation de mutuelles d’achat pour les denrées de base, de matériel scolaire, pour l’organisation de fêtes musulmanes traditionnelles ( vêtements). Subissant de plein fouet la crise économique, la privatisation des services publics, l’alignement du franc CFA sur l’euro le pouvoir d’achat des classes populaires sénégalaises a si baissé que l’économie de débrouillardise ne suffit plus à la survie familiale. Les prêts sont trop importants et la caisse lancée par les femmes d’AUPEJ ( les initiatrices faisaient partie de l’association de parents d’élèves de la classe enfantine)fut bloquée plusieurs mois durant : il revient donc aux femmes d’allier solidarité individuelle et consolidation économique collective.

Une mutuelle de santé

Tout comme les guichets ont fleuri dans les quartiers les femmes ont créé la première mutuelle populaire de santé de Tivaouane. Cette mutuelle fonctionne depuis deux ans et a créé un réseau de santé solidaire dans la ville. Cette unique mutuelle prend en charge plus de 1 500 adhérentes. 25 quartiers sont concernés par elle dont deux en zone rurale (5 km de la ville).

Elle assure des actions de prévention sanitaire et sociale (éducation pré et post natale, MST et Sida, malnutrition enfantine, paludisme, couverture financière partielle des accouchements, hospitalisations, consultations médicales).

Les activités sociales et éducatives des quartiers sont ainsi prises en charge par les populations : cette mise en réseau d’associations solidaires et autonome recouvre de fait toutes les activités collectives urbaines.

Comment fonctionne ACAPES ?

Association communautaire d’appui à la promotion éducative et sociale ( ACAPES) est une association à vocation éducative et sociale qui lutte contre toutes les exclusions sociales. Le service d’entraide scolaire de l’ACAPES constitue un instrument pour la promotion des apprentissages scolaires en favorisant l’accès du plus grand nombre aux savoir. Le service d’entraide scolaire participe à la lutte contre l’échec scolaire dans un contexte marqué par la privatisation.

L’ACAPES fonctionne de façon souple. Les élèves participent financièrement, il s’agit d’une cotisation individuelle et annuelle de 15 000 FCFA ( moins de 150 FF.) L’argent mobilisé permet d’indemniser le déplacement des enseignants et la location des locaux. Les élèves participent à la gestion de l’établissement sur le mode de la cogestion.

Quelle est la différence entre ACAPES et les autres établissements scolaires ?

L’ACAPES est une école sociale cogérée par les élèves, les parents et les enseignants. Elle fut créée à la rentrée scolaire 1998-99. Elle diffère d’une école privée qui cherche à faire des bénéfices par la vente des enseignements. Elle est aussi différente d’une école publique qui par son fonctionnement contribue à l’échec du plus grand nombre. L’ACAPES allie apprentissage scolaire et dynamisme communautaire. Elle valorise les savoirs et les savoir-faire.

Quelles sont les difficultés que rencontre l’ACAPES ?

L’ACAPES est passée de 29 élèves la première année de fonctionnement en 1998 à 89 élèves en 1999 pour finir actuellement à 250. Ce qui a entraîné une augmentation des charges de fonctionnement. Les sommes capitalisées n’ont pas été suffisantes. Nous avons été obligés d’organiser un concert de musique pour mobiliser les ressources financières additionnelles pour pouvoir payer l’an passé les frais de déplacement des professeurs dont la majorité viennent de Thiès ou de Dakar. Cependant les bénéfices ne nous ont pas permis de couvrir les frais. A cela il faut ajouter le manque de matériel et de mobilier, les frais de location.

La rentrée scolaire 1999-2000 fut retardée suite à une plainte déposée auprès du ministre de l’Education nationale pour “ concurrence déloyale ” par d’autres établissements privés : nous n’avions pas les autorisations d’ouvrir en octobre. Nous n’avions ni locaux ni banc à la rentrée. Et malgré tout nous avons ouvert en novembre.

Cette année, l’accueil de jeunes en grande précarité sociale pose d’énormes problèmes d’intégration et de vie collective. ACAPES poursuit sa route et mobilise toutes les énergies sociales et scolaires afin de construire une éducation populaire faite par les populations.

Madina Sau (élève à l’ACAPES, membre du foyer)

Des finalités complémentaires

Une éducation populaire s’articule sur le milieu environnant ; elle est globale c’est-à-dire dire qu’elle part des personnes et des groupes et des besoins du milieu.

Pour Bonaventure les finalités de l’éducation libertaire sont de :
- lier émancipation individuelle et collective,
- créer à partir d’expérimentations sociales et pédagogiques une éducation populaire alternative,
- construire un " service social d’éducation "… Par nécessité et délibérément Bonaventure tente de réunifier les espaces politiques, pédagogiques et sociaux en étant à l’initiative d’un réseau solidaire, en cassant l’isolement, en se fédérant à des structures sociales et/ou politiquesment.

Pour AUPEJ la finalité de l’éducation populaire est : ·de reconnaître et valoriser tous les espaces éducatifs et les différents acteurs concernés ·de favoriser l’émergence d’espaces intégrateurs où les compétences , les savoirs et les savoirs-faire sont reconnus et valorisés afin de permettre à chacun de participer dignement à l’œuvre de construction sociale d’un monde de liberté et de progrès. ·de ne pas confiner les personnes et les groupes marginalisées dans la résistance mais de transformer les initiatives populaires en offensive..

Un partenariat inscrit dans le changement social.

Bonaventure rêve d’autonomiser les alternatives sociales qu’AUPEJ réalise. AUPEJ est à l’initiative de structures éducatives pour inventer une éducation au service des populations : recherches-actions auxquelles Bonaventure participe. AUPEJ reflète une globalité sociale à laquelle Bonaventure aspire. Bonaventure transversalise sur un plan politique une mise en réseau qu’ambitionne AUPEJ. Au-delà des cultures, des désirs, des mises en acte, ces sœurs jumelles ont concrétisé une solidarité durable !

La solidarité militante qui lie ces deux structures se renforce chaque jour davantage au grand bonheur des populations qui se battent pour l’honneur et la dignité humaine contre toutes les formes d’exclusion et de marginalisation sociales.

Depuis 1995, elles ont marché ensemble en expérimentant des solidarités sociales et pédagogiques qui ont permis aujourd’hui de bâtir à Tivaouane un pôle alternatif solide et crédible. AUPEJ a pu se développer avec l’apport inestimable de Bonaventure. Nous avons, la main dans la main, dans la réciprocité mutuelle développé un partenariat fort qui nous a conduit à un décloisonnement institutionnel, social, géographique et politique salvateur*.

Bâtissons ensemble de nouvelles solidarité entre les peuples pour un monde égalitaire où les hommes ne seront plus des loups pour les hommes.

Déconstruisons pour reconstruire ensemble : le possible est notre axe de stratégie.

Nos idéaux traduits en acte vont à coup sûr faire de ce troisième millénaire celui du printemps des alternatives sociales, éducatives et politiques.

La solidarité internationale en acte est étrangère à l’humanisme même si elle en reflète toute la chaleur. Elle découle d’une démarche de mutualisation, de regards croisés, de recherches communes.

Elle se construit au fil des jours, des années et surtout d’échanges entre égaux.

Bonaventure n’a pas de petits pauvres même africains à nourrir, AUPEJ n’a pas à se soumettre à un banquier libertaire ! L’une valorise l’autre…. Et vice versa.

La solidarité se forge à partir de travaux en commun chacun chez soit ou transcontinentaux, d’échanges égalitaires entre des groupes humains partageant les mêmes idéaux de justice sociale : essayez et vous verrez...

AUPEJ.


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