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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°85 - Mars 2001
(ancienne formule)
> Tchétchénie : brisons le silence !

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Tchétchénie : brisons le silence !


La 2ème guerre en Tchétchénie dure depuis un an et demi. Les crimes de guerre et crimes contre l’Humanité se poursuivent dans l’indifférence la plus totale des institutions internationales. Alors que les défenseurs des droits de l’Homme, en Russie et ailleurs, dénoncent la guerre et, preuves à l’appui, les exactions commises par les troupes russes en Tchétchénie, nos gouvernements se complaisent dans un silence complice.


Grozny la nuit - de toutes façons interdite à la circulation puisqu’il y a couvre-feu - est une ville fantôme, où les torchères de gaz flambant sont les seuls signes de présence de vie - avec les lettres "jivout loudi" (des gens vivent, ou gens vivant là) écrites à la craie blanche sur les clôtures ou les murs mitraillés - Dans la faible lumière vacillante de ces torchères, on devine ces amas de décombres dont on sait La seule sanction jamais prise contre la Russie (symbolique évidemment), la suspension de son droit de vote à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, vient d’être levée et cela alors que les bombardements, les arrestations arbitraires, les tortures, exécutions sommaires, disparitions, etc. continuent.

L’Union Européenne est trop occupée à signer des contrats gaziers avec M. Poutine pour se préoccuper des droits de l’Homme en Tchétchénie ; le parlement européen accorde des crédits d’aide à la Russie (programme Tacis) et réduit les aides aux rares ONGs qui essaient d’intervenir en Tchétchénie ; M. Védrine, trop content d’avoir enfin reçu Poutine à Paris, et MM. Chirac et Jospin ne bougent pas le petit doigt, et refusent systématiquement les visas d’entrée en France aux tchétchènes.

Aujourd’hui, Grozny est en ruine et la Tchétchénie est à nouveau vidée de sa population (près de 200000 réfugiés en Ingouchie). Cette fois encore "l’opération anti-terroriste " de Poutine punit collectivement la population tchétchène : massacre du marché de Grozny (octobre 99), d’Aldi (février 2000), de Komsomolskoye (mars 2000), de Starye Atagui (août 2000), de l’université de Grozny (décembre 2000)…

Le texte qui suit est de Mylène Sauloy, documentariste, elle s’est rendue plusieurs fois en Tchétchénie ces derniers temps, elle fait un rapide point sur la situation à Grozny.

La situation s’est donc nettement dégradée depuis l’automne, comme on pouvait s’y attendre. La ville est toujours soumise à des tirs permanents, répétés et aveugles d’artillerie lourde - obus, mortiers -, mitraillage aérien et mitraille désordonnée de soldats ivres ou camés. Les hélicos - dont les nouveaux, dotés de détecteurs de chaleur - et les avions-espions tournoient en permanence au dessus de la ville en ruines, aiguisant le sentiment d’oppression sourde qui y règne. L’inquiétude, l’angoisse sont partout latentes. Les gens craignent les caméras, les regards insistants, les questions, alors qu’il y a quelques mois beaucoup au contraire voulaient parler, hurler, raconter.

L’électricité n’a pas été rétablie et qu’ils abritent les derniers habitants. On ne sait toujours pas combien ils sont ; ce dont on est sûrs, c’est que l’hiver et le redoublement de violence - en particulier la multiplication des zatchiska (nettoyages) maintenant justifiée par l’enlèvement de Ken Gluck de Médecin Sans Frontières - ont de nouveau poussé beaucoup d’entre eux vers les camps d’Ingouchie. Le gaz est arrivé - il y a deux mois pour certains, un mois pour d’autres - permettant au moins de cuisiner à l’intérieur et de se chauffer, mais de manière dangereuse et toxique : les tuyaux de gaz enflammé sont simplement posés à l’intérieur d’anciens poêles à bois ou accrochés aux murs ; avec les gazinières allumées en permanence, il fait effectivement chaud dans les appartements, mais l’odeur est tenace et entêtante. Et de nombreuses explosions ont déjà eu lieu ainsi que des intoxications au gaz.

Certaines écoles et des sièges d’université fonctionnent. Les professeurs sont même payés ! Mais il fait un froid glacial dans les locaux, les gosses ne quittent ni les blousons ni les bonnets dans les classes, et les édifices sont fissurés de partout, parsemés de gravats, dotés de plastique - au mieux - en guise de fenêtres. Le massacre des étudiants (bombardement sur un quartier, reconnu par l’armée russe comme étant " une bavure "), perpétré le 20 décembre dernier, a très fortement déstabilisé cette bribe de société en réorganisation fragile. Les jeunes, à bon escient, se sentent plus que jamais la cible privilégiée aujourd’hui : zatchiska, arrestations aux check point, camps de filtration... quand on ne tire pas sur eux à vue, sur le chemin de la fac.

L’hôpital n° 9 a maintenant deux groupes électrogènes et une nouvelle salle d’opération financée par MSF Hollande, par le biais de Ken Gluck. Mais toujours autant de problèmes d’instruments, de transfusion de sang, de place, d’alimentation pour les malades, médicaments, anesthésiques etc... Il y a moins de blessés graves suite à des explosions de mines antipersonnel - probablement à cause du fait que les gens savent désormais par expérience où il ne faut pas aller, mais aussi parce que l’hiver aidant, ils s’éloignent moins des sentiers battus. Mais toujours beaucoup de blessés par balle, de grands brûlés, et de complications faute de traitements adéquats.

La maternité fonctionne avec une dizaine de lits, sans électricité non plus, chauffée au gaz aussi et toujours sans alimentation pour les accouchées.

MDM et la Croix Rouge tchétchène sont, depuis l’enlèvement de Ken Gluck, les seules organisations à fonctionner encore sur place. Avec du personnel local, bien sûr. Et contre l’avis et les pressions de certains financeurs. Heureusement qu’ils ont le courage de résister. Mais c’est une catastrophe. Les distributions alimentaires assurées par les ONG tchèque et danoise ont cessé ; la population, épuisée nerveusement, mal alimentée, est sans défenses et donc fragilisée. Le retrait de toutes les ONG, hormis MDM et la CRtch, a constitué un coup de matraque : de nouveau, les voilà tous coupables, et tous punis pour un acte dont, qui plus est, tous sont convaincus qu’il a été commis dans le but essentiel de les condamner à l’isolement. Pour tous, il est évident que l’enlèvement de Ken n’a pu avoir au lieu sans, au bas mot, de très sérieuses complicités dans l’armée (le village de Stari Atagui est littéralement encerclé de forces russes et toutes les issues en sont bloquées par des check point). Comme dans le cas des attentats à la bombe, dont les auteurs ne sont toujours pas connus mais qui ont constitué un bon prétexte à la ""campagne antiterroriste", la population tchétchène est aujourd’hui globalement traitée comme coupable de l’enlèvement de Ken (il vient d’être libéré après trois semaines). Ce qui est plus grave, c’est que ce soit la décision des ONG qui les a convertis en coupables, en otages des forces militaires russes.

Enfin la décision de levée de sanction de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a constitué le coup de grâce. Tous en parlent. Non tant qu’ils n’aient jamais pris au sérieux la condamnation antérieure, mais la seule dimension symbolique de l’interdiction de droit de vote à la Russie faisait exister la Tchétchénie sur la scène internationale ; ils n’étaient pas coupés du monde, et le monde s’inquiétait de leur situation. La décision récente les renvoie donc à leur isolement total. Plus d’ONG, plus de journalistes, plus d’observateurs, et bénédiction de la communauté internationale : le massacre peut se perpétuer en silence. Les Tchétchènes n’existent pas.

Comité Tchétchénie

21ter rue Voltaire, 75011 Paris

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