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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°85 - Mars 2001
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> Russie : Quelle identité ?

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Russie : Quelle identité ?


L’identité de la Russie actuelle n’est pas simple à définir, en outre parce que l’histoire de la Russie c’est l’histoire multi-séculaire de la conquête d’un territoire immense, aujourd’hui 17 millions de km2 (mais qui en a compté plus de 20 millions en 1914). Or l’empire russe rassemblait dans des espaces contiguës la métropole coloniale et les colonies.


La cohésion de cet ensemble hétérogène a été assurée par une poigne de fer (le régime autocratique) et par une politique de russification. Les autorités encourageaient la colonisation des territoires conquis, les déportations de prisonniers de droits communs ou politiques entraient dans cette perspective de colonisation puisque une fois libérés ils étaient souvent assignés à résidence à proximité du camp.

La période soviétique n’a pas modifié en profondeur cette politique. Certaines nationalités ont été formellement reconnues et ont obtenu une indépendance formelle mais uniquement dans le cadre de l’Union soviétique. Mais en fait les Russes "ethniques" contrôlaient l’essentiel du pouvoir central et dans les républiques soeurs. Les nouvelles autorités essayèrent néanmoins de fondre l’identité russe dans une nouvelle identité créée de toutes pièces l’identité soviétique. Mais cette identité de soviétique était-elle un réel dépassement de l’identité russe ou le cache-sexe de la domination grand russienne ?

Avec l’éclatement de l’Union soviétique en décembre 1991, le territoire se rétracte à nouveau et les habitants de la Russie se retrouvent à nouveau avec un problème d’identité. Les documents soviétiques portaient deux indications : la citoyenneté soviétique et la nationalité russe, ukrainienne, lettonne... Or actuellement on peut être russe de citoyenneté et russe (rousskiï) de nationalité (on emploie souvent le terme très connoté de russe ethnique pour traduire rousskiï), de la même manière on peut être russe, citoyen de la Fédération de Russie et de nationalité tatare. La nationalité est déterminée par le droit du sang alors que la citoyenneté est régie par le droit du sol. Mais la nationalité peut être parfois très artificielle dans le cas de familles ayant quittées leur république d’origine depuis des générations et des générations.

Avec la transition "démocratique", la nouvelle Russie avait tenté apparemment de faire table rase du passé en supprimant les symboles soviétiques. Le drapeau rouge est remplacé dans le drapeau tricolore, la faucille et le marteau ont été remplacés par l’Aigle à deux têtes (qui regarde et domine l’Est, l’Asie et l’Ouest, l’Europe). L’hymne soviétique, qui n’était déjà plus l’internationale depuis Staline et les années 1940, avait été remplacé par un air du compositeur russe du XIXe siècle Glinka intitulé "Chanson patriotique". Or le nouvel hymne ne comportait aucune parole.

Quelques mois après l’arrivée de Poutine, la question de l’hymne et des symboles de la Russie redevient d’actualité. Le parlement accepte le projet présidentiel de drapeau rouge pour l’Armée russe, de drapeau tricolore pour la Russie, de l’aigle à deux têtes comme symboles du pays. L’hymne redevient l’hymne soviétique pour ce qui est de la musique et un concours est organisé pour trouver de nouvelles paroles. Le gagnant est ....Sergeï Mikhalkov, le poète officiel qui avait déjà écrit l’hymne en 1944. Le plus drôle est qu’il avait déjà réécrit l’hymne pour faire disparaître le nom de Staline au moment de la déstalinisation. Le poète, père des réalisateurs Mikhalkov et Konchalovski. Les nouvelles paroles enchaînent les poncifs, mais chose nouvelle la religion est présente : "pays d’origine protégé par Dieu", au grand dam des anticléricaux qui ne voient pas d’un bon oeil la lune de miel actuelle entre l’Église orthodoxe et l’État. Mais pas un mot sur le citoyen, ses droits, ses libertés et rien non plus sur la citoyenneté multi-ethnique, juste une rare allusion à "l’union de peuples frères".

La double restauration qu’a opérée Poutine a suscité des polémiques mais peu de réelles oppositions. Alors que seul un décret présidentiel de Eltsine avait modifié armes et hymne de la Russie, cette fois-ci c’est une loi qui est passée à la Douma, obtenant le soutien d’une très grande partie de l’assemblée nationale. Poutine dote la Russie d’éléments datant du tsarisme (l’aigle) et de l’Union soviétique. Dont les conception d’un État impérial, de l’identité russe, du rapport aux autres nationalités n’étaient pas si éloignées. Cette double réhabilitation sert aussi à redonner une certaine fierté (mal placée) à la population au moment où l’amélioration sociale tant promise par Poutine se fait attendre.

Jean Raymond à Moscou


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