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Elections municipales sous haute sécurité

Par Maurice Rajsfus



Une fois de plus, nous allons peut-être aller voter, délivrer un blanc-seing à des faiseurs de promesses. Chacun peut décider de la qualité de sa participation, réfléchir à la nature de ses illusions ou estimer qu’il n’a rien à faire dans cette galère. C’est là un vieux débat qui ne peut être réglé en quelques lignes, quelle que soit la nature des arguments.

Bien entendu, il est indispensable de se garder du slogan hasardeux : gauche et droite, même combat. Une telle analyse ouvre directement la voie à la droite, puis à l’extrême droite qui avance plus ou moins masquée. Cela dit, que l’on ai décidé de faire un choix ou de s’abstenir, il convient - prioritairement, de demander aux candidats de gauche en quoi - sur le plan municipal - ils sont réellement différents des candidats de droite. C’est là une démarche indispensable car, sur bien des points, les programmes se ressemblent tellement qu’il peut être possible de se tromper. Particulièrement dans ce domaine sécuritaire devenu le cheval de bataille de la plupart des candidats.

D’où cette apostrophe qui pourrait être lancée par un candidat de n’importe quel bord à son concurrent le plus dangereux pour la conquête d’une mairie : "Montre-moi ta police municipale, je te ferai voir mon contrat local de sécurité !"

Depuis quelques années, le taux de participation aux élections ne dépasse guère les 50% du corps électoral. Ce taux d’abstention n’a pas nécessairement de valeur politique, et le désintérêt de la "chose publique", Res publica, domine le plus souvent. Le pécheur à la ligne permet ainsi la banalisation du débat et son rejet des urnes ne peut en rien être comparé à celui d’autres abstentionnistes, en principe plus réfléchis.

Si le mandat impératif était de rigueur, c’est-à-dire des élus sous contrôle de leurs électeurs, cela changerait sans doute le comportement des "représentants du peuple". Encore faudrait-il définir le peuple et le contenu des promesses.

A une époque révolue, l’accession au droit de vote était un combat. Particulièrement lorsque le vote censitaire ne permettait qu’aux seuls possédants de participer à des scrutins sans grande signification pour les exploités. Une fois acquis, le suffrage universel a relativement perdu de son intérêt dans la mesure où le miel des promesses avait surtout pour vertu de calmer les possibles barricades. On tenait au bon peuple un langage convenu, d’où il ressortait que le possible était préférable à l’utopie. En face, les élections ont toujours eu pour fonction d’affermir un pouvoir qu’il n’est pas question de partager, et cela se vérifie lors des scrutins à plusieurs degrés comme les sénatoriales, ou déséquilibrés comme les élections cantonales. Dans l’un et l’autre cas, l’électeur est floué d’avance. Est-ce à dire que lors des élections législatives et municipales l’approche soit tellement différente ? Que le citoyen - comme on dit à nouveau - à tout à attendre d’un scrutin démocratique, qui pourrait "changer la vie" ?

Cette double interrogation prendrait toute sa valeur si, au bout du compte, la préoccupation première était l’éradication du chômage et de la précarité, plutôt que cette volonté sécuritaire qui, dans tous les cas de figure, ouvre la voie à un pouvoir plus autoritaire que réellement démocratique. La volonté de peupler toujours plus les commissariats de police prend le pas sur la traditionnelle opposition gauche/droite. Même les Verts succombent à cette tentation de s’en remettre à la magique intervention de la police sur un terrain d’où la fameuse action sociale a disparu - si elle est jamais apparue.

Cette idéologie sécuritaire triomphante s’appuie sur la nécessité d’éradiquer la violence. Pourtant, en négligeant les causes, pour ne connaître que les effets, les bons apôtres qui se sont lancés à la quête des voix s’exonèrent de toute responsabilité sur le désordre des banlieues. Ceux qui, de la droite à la gauche, prêchent la "tolérance zéro" veulent ignorer la violence policière et la violence patronale - sans oublier la violence induite d’un urbanisme à vocation d’exclusion. En toile de fond, la volonté de rejeter toujours plus la jeunesse issue d’une immigration tristement exploitée. Faute de chercher une solution cohérente au rejet des jeunes des banlieues, la gauche n’a fait que poursuivre la politique de la droite dans ce domaine, et trouve la réponse dans cet appel au tout sécuritaire qui a pour mérite d’unifier une majorité de l’électorat.

Bien sûr, une certaine forme d’insécurité ne peut être niée. Cela a toujours été le cas, mais la présence de policiers, de plus en plus nombreux, n’est en rien une garantie de sécurité. Dans le passé, on disait d’un contestataire qu’il était "dangereux pour la tranquillité dans les quartiers bourgeois". On traumatisait l’ensemble de la société en montrant du doigt ces réprouvés, ces partageux dont la volonté de renverser l’équilibre social ne pouvait qu’inquiéter. Nous n’en sommes plus là.

D’année en année, le pouvoir, quelle que soit sa couleur, tente de nous persuader que la délinquance est en constante augmentation. Cette affirmation a pour but de persuader que la délinquance est en constante augmentation. Cette affirmation a pour but de persuader l’électeur, de droite comme de gauche, qu’avec tel candidat il serait possible de ne plus craindre pour sa sécurité. D’où cette surenchère permettant aux syndicats de policiers de tirer le signal d’alarme en expliquant que les effectifs de la "Grande Maison" sont insuffisants, et leurs moyens d’intervention dérisoires.

Entrer dans ce jeu, c’est participer au développement de cette société policière, insupportable, où chacun montre du doigt son voisin comme possible suspect. A la grande satisfaction de la police qui voit justifié son pouvoir exorbitant. Comment ne pas comprendre que lorsque l’on gonfle artificiellement les chiffres de crimes et délits, la police s’empare de plus en plus de cet Etat qu’elle s’efforce de contrôler - les mêmes hommes servent tous les régimes. Ainsi la préfet de police de Paris, Philippe Massoni, tellement utile à Pasqua, Debré, Chevènement puis Vaillant...

Ces réflexions nous ont-elles éloignés de notre sujet : les prochaines élections municipales ? Bien au contraire. Que l’on vote où que l’on s’abstienne de participer au scrutin, il convient de se pénétrer du fait que nous n’avons nul besoin d’une société sécuritaire. Ce qui est prioritaire, c’est surtout la lutte contre l’exclusion, la précarité et le chômage rampant. Au premier rang des préoccupations des partis qui se proclament de fauche devraient se trouver le droit au logement, la fin de la ségrégation et la remise au pas d’une police, de plus en plus envahissante dans les cités, qui dicte une loi non-écrite pour durcir plus encore les édits existants.

Il faut faire savoir à nos futurs maires et conseillers municipaux que la démocratie locale ne passe pas par l’augmentation constante des effectifs des forces de l’ordre. Chaque policier supplémentaire représente une défaite pour nos liberté. Chaque nouveau commissariat installé dans une cité participe de la mise sous haute surveillance de l’ensemble des citoyens - même de ceux qui s’estiment "innocents"...

Maurice Rajsfus


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