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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°88 - Juin 2001
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Stop quelle violence ?


No pasaran avait rencontré Sylvie Tissot et Pierre Tévanian lors de la sortie de leur précédent ouvrage Mots à maux (Ed. Dagorno). Celui-ci traite de la lepénisation des esprits en abordant principalement le thème de l’immigration. Si le racisme et la logique du bouc émissaire ont encore de beaux jours devant eux, les violences dites " urbaines " viennent elle aussi faire diversion et masquer les vrais problèmes engendrés par le capitalisme. C’est la thèse de leur nouveau livre Stop quelle violence ?


image 206 x 329Pourriez-vous vous présenter ?

Sylvie :Nous sommes enseignants, moi en sociologie, Pierre en philosophie. Nous animons un collectif " Les mots sont importants " avec un groupe d’amis. Les discours ne sont pas anodins, ils jouent un rôle décisif dans la légitimation des mécanismes de domination. Ils tentent de nous convaincre que l’ordre est juste, légitime et qu’on ne peut pas s’y opposer. Nous essayons de démonter les arguments, les idées reçues et les schémas de pensée qui nous paraissent dangereux. Nous avions commencé ce travail sur le thème de l’immigration.

On vous avait interviewés à cette occasion, lors de la sortie de votre précédent livre Mots à Maux, quel en était le fils conducteur ?

Sylvie :Nous avions essayé de faire un état des lieux de la diffusion de la pensée de l’extrême droite dans la classe politique, médiatique et intellectuelle française. Nous avions remarqué en dépouillant des textes et des discours publics qu’il était de plus en plus courant de rendre responsables les immigrés des problèmes sociaux comme le chômage, les déficits publics, la délinquance et beaucoup d’autres choses. Ilnous a paru important de montrer à la fois la diffusion de ces arguments dans la classe politique, jusqu’à certaines personnes de gauche et d’apporter une réfutation.

Quels liens faites-vous entre ce travail et votre nouveau livre Stop quelle violence ?

Sylvie :Il y en a plusieurs. On retrouve un discours associant la délinquance à l’immigration. Nous le contestons. On retrouve aussi cette idée que dans l’incapacité de s’attaquer aux vrais problèmes sociaux, économiques comme le chômage, la précarité, les gouvernements stigmatisent l’immigration, parlent d’insécurité… ça leur permet de faire diversion.

A quoi fait référence le titre du livre Stop quelle violence ?

Pierre :Il se réfère à un mouvement qui s’appelle Stop quelle violence qui a été lancé il y a un peu plus de deux ans. Il a rapidement été encadré par des membres du Parti Socialiste. Il était pourtant né au départ spontanément chez quelques jeunes suite à un crime commis par un mineur sur un mineur. C’était une sorte d’appel des jeunes aux jeunes des banlieues les incitant à se prendre en main, à se surveiller et à cesser d’être violents. La couverture médiatique était énorme. Ils ont reçu les félicitations de Chevènement, du 1er ministre… Ce mouvement pouvait avoir quelques qualités car il rendait visibles des victimes de violences en montrant aux médias que les jeunes des banlieues étaient aussi des victimes. Cependant, il était très limité dans son discours parce que les jeunes se contentaient de s’auto-critiquer sans chercher les responsabilités plus profondes. Nous sommes partis d’un article que nous avions écrit " Stop quelle violence ? " pour écrire ce livre. Rapidement, malgré l’important soutien médiatique, le mouvement a été oublié. Ce qui nous a aussi incité à écrire ce livre est l’offensive médiatique et politique sur le thème de l’insécurité grandissante, de l’explosion de la violence, etc. ça nous paraissait inquiétant. Pendant que nous écrivions ce bouquin nous nous sommes dits : " Tiens ça se calme, on parle moins des sauvageons et un peu plus de la vache folle ". Puis nous nous sommes ravisés. Les élections municipales arrivant tout est reparti de plus belle. Après les élections on ne parlait plus que de ça.

Dans votre livre vous commencez par détruire quelques mythes, dont celui des chiffres…

Sylvie :Notre analyse des chiffres se fait à deux niveaux. On critique les chiffres les plus répandus dans les médias. Puis nous citons quelques chiffres qui relativisent cette soi-disant montée inexorable de la violence.

Les chiffres ne sont pas forcément révélateurs d’une augmentation réelle de la délinquance. Un sociologue a réalisé une enquête et a montré que dans une ville on a enregistré une augmentation très forte de la délinquance. Ce chiffre était lié à l’activité du commissariat. Comme il était menacé de fermeture, les policiers ont réagi en ayant une activité très forte. Nous voulons dire que les chiffres de la délinquance reflètent avant tout l’activité policière.

Pierre :Ce qui est vrai à l’échelle d’un commissariat l’est à l’échelle d’un département. Par exemple sur le Val-de-Marne, les chiffres de la délinquance des mineurs augmentent. On sait que depuis des années on a mobilisé le quart des effectifs policiers sur la délinquance des mineurs. Il est logique que si l’on mobilise plus de policiers il y aura plus d’interpellations, donc plus de délinquance enregistrée…

Sylvie :Seconde partie de notre analyse : le nombre d’homicides commis chaque année est à peu près stable, malgré les discours qui tendent à dire qu’ils sont en augmentation. On est passé de 593 homicides en 1996 à 617 en 1999.

Il faut rappeler qu’il y a environ 600 homicides volontaires par an en France pour 25 000 homicides et blessures involontaires par accident de la route (dont 8000 morts) et 12 000 suicides pour 100 000 tentatives. Ces chiffres montrent bien qu’on ne donne pas la même priorité aux morts. Nous sommes dans une société qui fait en permanence l’apologie de la voiture, de la vitesse… On s’inquiète peu de ces homicides là qui ne font pas la une de tous les journaux.

Sylvie :Nous avons voulu critiquer la réduction du mot violence à certaines formes de violences seulement. Les violences sociales, économiques sont ainsi occultées.

Les chiffres sont relatifs…

Pierre :Effectivement, on a dit qu’il ne fallait pas confondre augmentation des faits avec l’augmentation de l’efficacité de la police. Autre facteur : on qualifie de délinquance des choses qui n’étaient pas auparavant qualifiées comme tels. Par exemple, il y a une inflation des outrages à agent. Les " incivilités " se trouvent depuis quelques années sanctionnées et donc inscrites dans les chiffres de la délinquance. Les tribunaux ont la main plus lourde sur certains délits, notamment ceux qui impliquent les jeunes.

Le discours dominant martèle aussi que les violences sont de plus en plus barbares…

Sylvie :Il y a une stratégie très efficace pour créer un nouveau problème social et y faire croire : c’est d’évoquer un âge d’or où un problème n’existait pas. On parle des blousons noirs qui témoignaient d’une forme de violence beaucoup moins menaçante que celle d’aujourd’hui. Une violence auto-régulée.

Pierre :Ce n’était pas des anges, mais ça restait des êtres humains, pas comme ces enfants-loups, ces délinquants d’aujourd’hui qui sont des barbares.

Sylvie :Pourtant, lorsqu’on relit les discours tenus sur les blousons noirs on constate qu’ils étaient aussi déshumanisants et criminalisants que les discours d’aujourd’hui, comme d’ailleurs tous les discours sur les classes dangereuses dans l’histoire.

La question du laxisme est un des leitmotiv de beaucoup de politiciens et de certains intellectuels lorsqu’ils parlent de la gestion de ces " violences urbaines "…

Pierre :Ce discours n’est pas nouveau. La nouveauté est que désormais il est tenu aussi à gauche, par des dirigeants socialistes, par la ministre de la Justice, par le 1er ministre, par Sophie Body-Gendrot qui est une sociologue située à gauche. Depuis quelques années toute une partie de la gauche fait son mea culpa et dit : " c’est vrai, nous avons été angéliques, laxistes, mais maintenant c’est terminé. "

On le voit aussi du côté des poursuites juridiques. Lorsqu’on est militant politique, à la moindre incartade on se retrouve immédiatement criminalisé, poursuivi. On passe par exemple en procès pour avoir distribué des tracts dans un aéroport. Pour les jeunes des cités, ça peut être le cas pour un outrage à agent, pour un doigt dressé. Nous sommes loin du laxisme dont on nous rebat les oreilles.

Sylvie :D’ailleurs, il y a des chiffres fournis par le ministère de la Justice qui sont assez parlants, par exemple, sur 25 départements classés sensibles, le taux de classement par les parquets concernant les infractions commises par des mineurs est de zéro. D’autres chiffres montrent que les tribunaux sont de plus en plus sévères. On est passé de 2368 mineurs incarcérés en 1993 à 4030 en 1998. On dénombre 11 fois plus de peines de plus de 5 ans, 3 fois plus de peines supérieures à 10 ans et 2 fois plus de condamnations à perpétuité. La remise des peines des libérations conditionnelles ne cessent pas de diminuer.

Pierre :Prenons quelques exemples : un jeune pour avoir mis le feu à une voiture ou participé à la dégradation d’une vitrine a pris 10 mois de prison ferme. Un autre jeune a été condamné à 3 mois avec sursis pour un bras d’honneur à un policier. Le taux de classement zéro pour les plaintes ne se retrouve pas ailleurs, dans les infractions au Code du travail, la délinquance des patrons… C’est plutôt le taux de plaintes aboutissant à une poursuite qui est proche de zéro. 3 % des infractions constatées par des inspecteurs du travail donnent lieu à des poursuites et à des procès.

Sur les discriminations des cas de flagrants délits constatés par des huissiers lors des opérations de SOS racisme n’aboutissent pas.

Quelles ont été les grandes étapes de la "conversion" de la gauche au tout-sécuritaire ?

Sylvie :L’idée de ce livre est parti du constat d’un virage sécuritaire très net avec l’arrivée du gouvernement Jospin au pouvoir. Les thématiques sécuritaires n’étaient pas absentes de l’histoire de la gauche, de Clémenceau à la SFIO en passant par le gouvernement Mollet en Algérie. Mais ce qu’on a pu constater c’est que les acquis de l’après Mai 1968 sur la prévention de la délinquance des jeunes ont été remis en cause par le gouvernement Jospin.

Pierre :On remarque que ça commence médiatiquement très fort en 1997. En 1995, l’expert du PS chargé de l’étude des sondages d’opinion produit un rapport dans lesquel il incite la direction du parti à durcir son discours sur l’immigration et l’insécurité afin de " reconquérir les votes populaires égarés soit dans l’abstention, soit à l’extrême droite ".

On peut aussi remonter à 1983 avec le tournant de la rigueur économique, le désengagement de l’Etat de la politique économique et sociale. Cette politique ne pouvait que se traduire quelques années plus tard par un réengagement de l’Etat sur une autre gestion de la pauvreté : le traitement policier.

Si le colloque de Villepinte de 1997 est l’officialisation de ce tournant, il faut rappeler le rôle joué par J.-P. Chevènement et par les souverainistes…

Sylvie :A ce colloque la thématique sécuritaire est présentée comme une thématique de gauche en disant que la sécurité fait partie des droits élémentaires. Ce droit est actuellement menacé au sein des classes populaires. Lutter contre l’insécurité est donc mener une politique de gauche.

Pierre :Si on se penche sur les statistiques des agressions physiques, on constate effectivement que les classes populaires sont les premières victimes. Mais il faut aussi rappeler qu’elles souffrent le plus de violences et d’insécurité qui n’ont rien à voir avec les agressions, la gauche n’en parle pas : les revenus faibles, les conditions de travail, le chômage, le logement, la précarité, le harcèlement moral…

Les politiciens se basent sur des travaux d’universitaires comme Sophie Body-Gendrot. Ces derniers ont amené une caution scientifique à ce discours en écrivant des livres, en produisant des rapports…

Pierre :Les " experts " de la violence ne cessent de nous expliquer que la prévention ne marche pas, qu’il y a du laxisme, qu’il faut de la tolérance zéro, etc. Les plateaux télé et les radios accueillent ces " experts " en " violences urbaines " et beaucoup moins de sociologues. C’est une nouvelle science, des gens comme des chefs d’entreprise en sécurité se présentent comme des experts alors qu’ils ont tout intérêt à grossir les dangers et à disqualifier la prévention.

Sylvie :Une des grandes constantes de ce discours est la mise en cause de la sociologie. La sociologie se propose d’expliquer un phénomène social en l’éclairant par d’autres phénomènes sociaux, en mettant en relation la délinquance avec la situation économique, sociale… On retrouve dans ces discours l’idée que l’on a assez mis en cause la société. Il s’agit de stigmatiser les individus.

Pierre :ou bien les parents, ou la perte des repères moraux, pas forcément l’individu : tout et n’importe quoi mais pas la société, la précarité sociale, l’exploitation, la misère.

On a cité le congrès de Villepinte en octobre 1997, il y aussi le rapport de Sophie Body-Gendrot et Nicole Le Guenec commandé par Jean-Pierre Chevènement, une autre étape est la publication du manifeste en 1998 : "Républicains, n’ayons plus peur".

Pierre :Une première remarque sur S. Body-Gendrot et A. Bauer, le terme " violence urbaine " est une création des Renseignements généraux, c’est un concept policier. C’était une question de survie pour les RG qui à un moment où l’Etat pouvait leur supprimer des crédits face à la baisse du danger terroriste et de la subversion, face à la disparition d’un ennemi intérieur qui justifierait leur existence. Ils se sont mis à produire un discours sur une nouvelle menace intérieure. Il y a alors toute cette création du concept de violences urbaines, notamment par la commissaire Lucienne Bui-Trong. De nombreux journalistes et quelques universitaires ont repris telle quelle cette notion.

Lucienne Bui-Trong a élaboré une échelle des violences urbaines assez hallucinante…

Sylvie :Cette échelle hiérarchise les violences urbaines. Le stade le plus grave est l’émeute et le moins grave est l’attroupement d’une bande de jeunes dans une cage d’escalier. La simple présence, sans acte délictueux se trouve criminalisée.

Pierre :Elle dit "La présence ressentie comme menaçante". Cette grille de lecture se retrouve dans les travaux de Sophie Body-Gendrot, dans les journaux. C’est un nouvel étalon de mesure des violences urbaines.

En France, on essaie malgré tout de se différencier de la tolérance zéro, on parle de police de proximité…

Pierre :Lorsque le gouvernement est de gauche on a le " ni, ni ". Il ne peut pas se rallier à la tolérance zéro, ni être " laxiste ". C’est comme sur l’immigration, il faut être à la fois ferme et généreux, ni immigration zéro, ni ouverture des frontières, mais régularisation sur critères.

Une des dernières parties de votre livre s’appelle " de l’Etat social à l’Etat pénal ", il reprend un thème de Loïc Wacquant…

Sylvie :Le traitement pénal de la misère découle de l’abandon du traitement social de la pauvreté et du chômage. Depuis 1983, la gauche a renoncé à avoir une politique offensive économique pour résorber le chômage. On constate la promotion des fonctions régaliennes de l’Etat : police, justice…On s’inspire des analyses de Loïc Wacquant pour les Etats-Unis. Par des chiffres très frappants, il montre que l’augmentation des crédits pour les prisons est concomitante avec la baisse des crédits pour les hôpitaux, pour l’éducation… Même si nous ne nous faisons pas les défenseurs de l’Etat-providence tel qu’il a pu exister durant les trente glorieuses on ne peut que constater les conséquences catastrophiques de l’abandon de certaines fonctions sociales de l’Etat.

Pierre :Quand on se réconcilie avec l’entreprise, on se réconcilie avec beaucoup de violences qu’elle exerce. L’exploitation est une violence, la précarité est une insécurité.

Propos recueillis par Cdric et Fioul, retranscrits par Cdric.

COMMENT LA SECURITE EST DEVENUE "UNE VALEUR DE GAUCHE"

HISTOIRE D’UNE OFFENSIVE MEDIATIQUE

- 1994.Mise en place aux États Unis de la politique pénale de "tolérance zéro".

La "loi des trois infractions" prévoit notamment la condamnation à la prison à perpétuité au bout de trois condamnations, quelle que soit la gravité des infractions commises. Ces lois sont suivies, en 1996, par la " loi sur la responsabilité personnelle et le travail ", qui retire à des millions de personnes le droit à l’aide sociale.

- 1995.Gérard Le Gall, chargé au Parti Socialiste des étudessur l’état de l’opinion, publie plusieurs documents internes appelant la direction à "durcir" son discours sur "l’immigration et l’insécurité".

Le but est de "reconquérir" les votes "populaires" qui se sont portés vers l’extrême droite.

- Juillet 1995 et 1996.Publication dans plusieurs grandes villes françaises des "arrêtés anti-mendicité".

Plusieurs maires du Sud de la France, soucieux du confort des touristes et des commerçants, autorisent la police à déplacer de force les mendiants, même si leur comportement ne constitue pas un trouble à l’ordre public. Parmi ces maires, on trouve le maire de Nice, Jacques Peyrat, ancien membre du Front National, mais aussi le socialiste Georges Frêche, maire de Montpellier, et le radical de gauche Michel Crépeau, maire de La Rochelle. Ce dernier affirme que cette mesure est nécessaire pour que le FN ne trouve pas "prétexte à se développer". Le quotidien lepéniste Présent invite les élus FN à faire de même en "s’abritant" derrière cette "jurisprudence". Le journal ajoute : "ce n’est pas tous les jours qu’un édile de gauche nous offre le bon exemple et nettoie les rues de leurs parasites". Le tribunal administratif de Nice, saisi par des associations, décrètera en mai 1997 que ces arrêtés anti-mendicité sont légaux. Aucune sanction ne viendra non plus des partis politiques.

- Juin 1997.Discours d’orientation générale de Lionel Jospin : la sûreté sera la "seconde priorité" de son gouvernement, après l’emploi.

- Septembre 1997.Débats autour du Projet de loi Chevènement sur l’immigration.

Jean-François Kahn lance dans son hebdomadaire Marianne une pétition de soutien au ministre de l’intérieur, signée entre autres par Philippe Cohen, Sophie Body-Gendrot, Nicole Le Guennec, Paul Thibaud, Olivier Mongin, Blandine Kriegel. Un front commun de soutien au ministre se constitue autour de la revue Esprit et de la famille "républicaniste" (Mouvement des citoyens, Fondation Marc Bloch, Marianne).

- Octobre 1997.Congrès de Villepinte. Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement font de "la sécurité" une priorité.

Invoquant le "droit à la sûreté" de la Déclaration des Droits de l’Homme, ils déclarent que "la sécurité est une valeur de gauche". Marianne se réjouit : "enfin !". Le député RPR Patrick Devedjian se félicite aussi, mais y voit plutôt une " grande victoire idéologique de la droite ".

- 1998.Mise en place, en Grande Bretagne, de la politique de "tolérance zéro".

Après la publication d’un rapport intitulé "Plus d’excuses", le premier ministre travailliste Tony Blair déclare qu’il faut rompre avec "la culture de l’excuse" et "humilier les délinquants". Les principales mesures adoptées sont l’ouverture d’une prison privée pour mineurs, l’abaissement à seize ans de l’âge-limite pour l’emprisonnement (et à douze ans pour les maisons de correction), la possibilité donnée aux autorités locales de décréter un couvre-feu nocturne, et la possibilité d’exiger des parents le remboursement des dégâts causés par leurs enfants.

- 16 avril 1998.Publication par les députés socialistes Christine Lazerges et Jean-Pierre Balduyck d’un Rapport parlementaire sur les mineurs délinquants.

Les auteurs proposent notamment d’instaurer un couvre-feu pour les mineurs des " quartiers sensibles ", et de " responsabiliser " les " parents de délinquants " par la suppression des allocations familiales.

- 4 mai 1998.Publication d’une lettre de Jean-Pierre Chevènement à Lionel Jospin, demandant de mettre fin à la double compétence du juge pour enfants.

Le ministre écrit : "La double compétence contribue à brouiller l’image de ce magistrat, tantôt juge de la pathologie familiale, proche de l’assistant social, tantôt juge répressif. (...) Cette confusion des rôles est néfaste à l’égard des mineurs dépourvus de repères les plus élémentaires et auxquels il convient d’offrir des représentations plus structurantes". Cette demande, qui suscite un tollé chez les juges et les éducateurs, est finalement rejetée par Lionel Jospin.

- 26 mai 1998.Publication par les universitaires Sophie Body-Gendrot et Nicole Le Guennec d’un Rapport sur les violences urbaines commandé par Jean-Pierre Chevènement.

Les auteures critiquent l’option du "tout répressif" adoptée par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, mais parlent, sans preuves d’une " augmentation " de la violence des jeunes et préconisent un renforcement de l’arsenal répressif.

Elles insistent notamment sur la nécessité d’une coopération entre la police et l’école, et proposent qu’on oblige certains jeunes à effectuer un an de service militaire ou civil fortement encadré.

- 8 Juin 1998.Réunion du Conseil de Sécurité Intérieure et annonce d’une politique "de fermeté". Dans Le Monde, Alain Bauer, PDG d’une société privée de conseil en sécurité, salue le gouvernement, qui a "enfin reconnu honnêtement et courageusement l’existence de l’insécurité". Jean-Pierre Chevènement lui commande un rapport sur l’insécurité et l’organisation de la police.

- 17 juillet 1998Publication d’une nouvelle loi relative à la "violence à l’école" (article 645-12 du code pénal).

Une nouvelle infraction pénale est inventée : l’intrusion dans un établissement scolaire.

- Septembre 1998.Régis Debray et huit autres intellectuels publient dans Le Monde le Manifeste "Républicains, n’ayons plus peur !", appelant à "refonder" la République en "restaurant" l’autorité et en instaurant la "tolérance zéro des petites infractions".

Les auteurs appellent notamment à ne plus tolérer la consommation de cannabis, "l’usage du baladeur sous les préaux" et les "tenues provocantes" des élèves. Les auteurs, issus de la revue Esprit (Paul Thibaud, Olivier Mongin, Jacques Julliard) ou proches de Jean-Pierre Chevènement (Régis Debray, Max Gallo, Blandine Kriegel, Mona Ozouf), proposent aussi l’incarcération des mineurs, la suppression des allocations familiales pour les "parents de délinquants", un contrôle plus strict des "flux migratoires" et une attribution "plus exigeante" de la nationalité française. Dénonçant la dictature du " politiquement correct", leur texte établit un lien entre immigration clandestine et recrudescence des viols...

Jean-François Kahn dans Marianne et Jean-Claude Casanova dans Le Figaro saluent le "courage" de ce texte. Quatre mois plus tard, Jean-Pierre Chevènement rendra publiquement hommage à Régis Debray, Max Gallo, Paul Thibaud et Jean-François Kahn, "qui incarnent la forte persistance de l’idée républicaine en France".

- Octobre 1998.Publication d’une circulaire ministérielle invitant les proviseurs à la "mobilisation générale" contre la "violence scolaire".

Il est demandé aux chefs d’établissement " un signalement systématique, directement et en temps réel de tout incident pénalement répréhensible, commis même aux abords de son établissement ". La circulaire prévoit qu’un magistrat du Parquet "spécialement désigné" puisse être joint à tout moment téléphoniquement ou par télécopie, en cas d’urgence. La circulaire demande enfin de "privilégier la procédure de comparution immédiate ".

- Novembre 1998.Parution du livre de Sophie Body-Gendrot, Les villes face à l’insécurité, Des ghettos américains aux banlieues françaises.

Tiré du rapport officiel rendu à Jean-Pierre Chevènement, le livre évoque sans l’ombre d’une preuve une "croissance inexorable des phénomènes de violence urbaine. "

Prônant un "juste milieu" entre "le tout-répressif" et le "laxisme institutionnel", l’auteure soutient le principe de la " tolérance zéro " et dénonce "l’impunité" qui règnerait aujourd’hui en banlieue. Elle dénonce l’hégémonie d’une "pensée marxisante", qui a occulté " la responsabilité individuelle ", et d’ "une culture psychanalytique qui s’intéresse davantage à la souffrance du délinquant qu’à celle de la société. "

- Décembre 1998.Publication par les élus socialistes Julien Dray et Jean-Paul Huchon du Rapport pour le conseil régional d’Ile-de-France, Action régionale en faveur de la sécurité.

Parmi les principales mesures proposées, on trouve l’amélioration de l’accès au logement des policiers et des adjoints de sécurité par un accès privilégié aux HLM...

- Publication du livre de Sébastien Roché, Sociologie politique de l’insécurité (PUF).

L’auteur, qui intervient de plus en plus dans les Cahiers de la Sécurité intérieure et dans les grands médias, soutient que la délinquance n’est pas liée essentiellement aux "déterminations économiques", mais qu’elle s’explique plutôt par un urbanisme qui génère de l’anonymat et par "l’idéologie démocratique" qui exalte la "réalisation de soi" au détriment du respect des "interdits". Aujourd’hui, explique-t-il, "la société n’est plus en mesure de favoriser l’autocontrôle des pulsions".

- Janvier 1999.Parution du Que sais-je ? Violences et insécurité urbaines, de Alain Bauer et Xavier Raufer.

Les auteurs parlent de "zones où, souvent sans partage, règnent des délinquants toujours plus jeunes, toujours plus violents, toujours plus récidivistes". Ils y opposent le "réalisme" du plan "Sécurité et liberté" d’Alain Peyreffite (1980) à "l’aveuglement idéologique" des gouvernements qui ont suivi. Ils dénoncent aussi "la croyance à l’adage médical trompeur : prévenir vaut mieux que guérir", et vantent les mérites de la "tolérance zéro".

Ils expliquent également qu’ "au delà de toutes les théories d’inspiration sociologique, l’origine la plus certaine du crime, c’est le criminel lui-même " ; ce qui ne les empêche pas de soutenir que les "facteurs ethniques" sont décisifs dans la formation de "quartiers sensibles".

Ils saluent enfin l’hebdomadaire Marianne comme l’un des rares médias lucides sur "la montée de la violence". L’hebdomadaire, à son tour, salue les deux auteurs, et les sollicite régulièrement comme "experts". Ils sont également reçus par la radio d’extrême droite Radio Courtoisie, où ils dénoncent le "tabou" de "l’origine ethnique des délinquants". En octobre 2000, l’ouvrage en est à son quatrième tirage.

- Janvier 1999.Parution du livre posthume de Christian Jelen, La guerre des rues, La violence et les "jeunes".

L’auteur, journaliste au Point, collaborateur occasionnel de Marianne et familier de la radio d’extrême droite Radio Courtoisie, y fait un éloge appuyé de Jean-Pierre Chevènement ainsi que de l’appel "Républicains n’ayons plus peur". Il fait également l’ éloge de la politique américaine de "tolérance zéro".

Ses principales thèses :

- il y a une " progression foudroyante de la petite et moyenne délinquance", qui "ne s’explique pas seulement par la crise économique et sociale" ;

- "les causes principales sont ailleurs" :dans "la couardise des pouvoirs publics", dans la "culture de l’excuse" répandue par "les sociologues" et "la gauche mondaine", et surtout dans l’immigration, qui "constitue le terrain essentiel de la délinquance".

Ce livre est cité comme une source sérieuse dans l’hebdomadaire Marianne et dans un article de l’universitaire Michel Winock pour la revue L’histoire.

- 27 janvier 1999.Réunion du Conseil de Sécurité Intérieure. Lionel Jospin annonce la création de " centres de placement immédiat strictement contrôlés ", destinés à "éloigner" les mineurs " multirécidivistes ".

Le syndicat majoritaire à la Protection Judiciaire de la Jeunesse dénonce une "détention provisoire qui ne dit pas son nom".

- Février 1999.Lancement du mouvement Stop la violence.

Créé par des jeunesen réaction à l’assassinat du jeune Stéphane Coulibaly, il est encadré par le journaliste Christophe Nick et l’élu socialiste David Assouline. Nova-magazine et L’événement du jeudi publient le manifeste du mouvement, qui s’adresse aux jeunes eux-mêmes et met l’accent sur la " responsabilité individuelle ". Aucune revendication n’est adressée aux autorités, mise à part la demande d’un supplément d’autorité et de " coups de pieds au cul ".

Ce texte reçoit une large couverture médiatique et un accueil très favorable de Lionel Jospin. Jean-Pierre Chevènement déclare : " ce texte est réellement parfait ". Le Réseau Voltaire rompt le consensus en accusant le Parti Socialiste de manipulation : dans un communiqué, il rappelle que le 12 décembre 1998, le PS avait tenu un Congrès à l’Assemblée Nationale, et que David Assouline y avait plaidé pour une implantation plus importante du Parti Socialiste chez les jeunes des banlieues, autour du thème de la lutte contre la violence.

- Avril 1999.Parution du livre de Julien Dray, État de violence.

Le député socialiste évoque une " montée de la violence entre pauvres " et fait l’éloge des BAC (Brigades Anti-Criminalité, créées par Charles Pasqua, comparant leur action (souvent violente, et mal perçue par l’ensemble des jeunes des cités, des éducateurs et des associations) à celle des casques bleus de Sarajevo...

Il souligne également "les réussites de la tolérance zéro", et propose la création d’"internats d’excellence scolaire" pour les parents qui veulent "soustraire leurs enfants à certaines mauvaises fréquentations", de "comités de voisins" munis de téléphones portables et alertant la police, et de centrales téléphoniques permettant les dénonciations anonymes.

- Mai 1999.Parution du livre de Jean-Marie Bockel, La troisième gauche.

L’auteur, maire socialiste de Mulhouse, se réclame de Tony Blair et de la doctrine de la "tolérance zéro" : il propose la mise sous tutelle des allocations familiales et un couvre-feu individuel de 19h à 7h du matin pour les "grands délinquants". Le livre reçoit un accueil complaisant dans Libération et surtout dans Le Monde : Michel Noblecourt y salue le " souci républicain d’assécher le terrain de l’extrême droite ".

- 29 mai 1999.Manifestation du mouvement Stop la violence.

Malgré une intense campagne publicitaire de plusieurs grands médias (Canal+, Le Monde, Libération, Nova-mag, L’événement du jeudi, Le Parisien...), la mobilisation est un échec : à peine un millier de manifestants. Le jour même, Libération annonçait plus de 10000 personnes.

Les jeunes dirigeants du mouvement publient alors un nouveau texte, plus radical, dénonçant toutes les formes de violence : brutalité policière, racisme, compétition scolaire, chômage, précarité.

Chronologie réalisée par Sylvie Tissot et Pierre Tévanian, parue dans Stop quelle violence ? (Ed. L’Esprit frappeur)


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