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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°18 - Mars 2003 > Le 15 février contre le 11 septembre

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Le 15 février contre le 11 septembre


Le 11 septembre 2001, quand se sont écroulées les tours du Centre mondial du commerce, une bonne partie des habitants de la planète sont restés plusieurs heures cloués devant un écran. Ensuite, c’est dans leur quasi-totalité qu’ils ont été soumis aux conséquences néfastes d’un massacre et de sa mise en spectacle.


Fascination terrorisée pour les populations des pays dominants, identification aux marionnettes du fanatisme religieux pour les peuples dominés : face aux effets d’une stratégie de la tension universelle, le seul choix qui semblait possible était celui du rôle imposé et donc de la passivité. Les réfractaires à l’ordre capitaliste pouvaient se croire condamnés pour longtemps à la "résistance", sinon à l’impuissance.
Le 15 février 2003, face au cours catastrophique imposé par le lobby militariste, pétrolier et médiatique qui agit aujourd’hui en maître du monde, dix millions de personnes au moins ont refusé la passivité. Il ne faut surtout pas avoir peur de reconnaître l’ampleur et la nouveauté de l’événement : ce qui s’est passé est sans précédent dans l’histoire moderne.
La plus grande manif antiguerre de tous les temps, la première manif transcontinentale est inévitablement porteuse de naïvetés, d’ambiguïté, de confusion. Mais ici comme ailleurs, plus qu’ailleurs encore, la pause radicale consistant à se défouler à bon compte contre les limites du mouvement, enferme dans la stérilité. Pour l’heure, il importe de souligner au contraire les traits nouveaux et féconds qui sautent aux yeux.

On sait que les manifs contre la guerre du Vietnam ont constitué une des matrices de 68. Elles ont aussi été une occasion de revivifier les idéologies qui ont largement encombré ensuite ce mouvement d’émancipation planétaire : léninisme et stalinisme dans toutes leurs variantes archaïques ou exotiques. Une bonne partie des manifestants nourrissaient encore des illusions sur la nature du régime vietnamien et des régimes socialistes en général. Rien de cela aujourd’hui : personne, à l’exception de très rares hurluberlus, n’imaginait de défendre la dictature de Sadam. Et l’emprise des idéologies, y compris l’idéologie de la taxation financière (qui a bien du mal à se consituer comme telle…) est restée marginale. Et les politiciens socio-démocrates ont compris qu’ils avaient intérêt à ne pas la ramener. Si les gens sont descendus dans la rue, à Melbourne, à New York, à Rome ou à New York et encore en cent lieux inconnus de nous, c’est pour dire simplement qu’ils ne gobaient pas cette croisade du Bien qu’une armada médiatique déchaînée essayait de leur faire avaler. Qu’ils refusaient de se laisser terroriser, qu’ils refusaient la passivité à laquelle on voulait les condamner. Pour qui, par exemple, a été immergé dans la manif océanique de Rome, c’était très clair : au-delà des slogans contre la guerre des pétroliers, les multitudes descendues dans la rue refusaient bien plus qu’un seul épisode guerrier. Ce qui a été rejeté, plus ou moins clairement par les mots, et très clairement par les actes, c’est l’état d’exception permanent que les maîtres du monde veulent imposer pour faire face à la récession économique et à la multiplication des crises déclenchées sous toutes les latitudes par la précarisation de la vie de milliards d’hommes.

Ce que les multitudes ont manifesté partout, c’est qu’elles considèrent, où qu’elles habitent, les habitants de l’Irak comme leurs voisins immédiats et que les opérations menées là-bas ne seront que le prolongement de ce qui se passait ici. Que la militarisation, la dérive sécuritaire, la diabolisation de populations entières nous menace tous. Les actions des antiguerre italiens contre la circulation des trains US sont dans le prolongement de cette conscience.

On peut rigoler de ces manifs où les scouts se mêlaient aux anars, les centres sociaux les plus radicaux aux représentants de la vieille gauche la plus faisandée. Mais l’important est que ceux-là étaient noyés dans la foule des sans étiquettes, et que des milliers de groupes, d’expériences et de réseaux aient pu se rencontrer et continuent à le faire. La capacité des antiguerres à développer leurs propres médiations est aussi une nouveauté décisive et riche de promesses (voir le texte Wu Ming1 ci-après).

Pas de doute : après le cycle Seattle-Gênes, une nouvelle vague dans le mouvement de constitution d’une opposition mondiale à l’ordre capitaliste est en train de se lever, à une échelle démultipliée. Une pensée, des pratiques se cherchent, contre l’ordre capitaliste mondial. On ne se montrera à la hauteur du mouvement qu’en y participant, pour, de l’intérieur, contrer toutes les vieilleries politiciennes (de la gogauche à la radicalite post-autonome) et contribuer à la mise au jour ce qu’il a de plus neuf. Pour, avec d’autres, élaborer des formes de subversion capables de renverser le rapport de force face à ceux qui veulent porter à un degré jamais vu la guerre contre l’humanité.

Serge Quadruppani

(La deuxième partie du texte "La subversion contre la guerre" paraîtra dans le prochain numéro)


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