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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°18 - Mars 2003 > front national et la guerre contre l’irak

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front national et la guerre contre l’irak


Un engagement de longue dateCertains se seront peut-être étonnés de voir le Front national appeler officiellement ses militants et ses sympathisants à participer aux manifestations du 15 février contre la guerre, sans pour autant, le jour dit, apparaître en tant que tel . Et pourtant, Le Pen ces dernières années fut l’un des plus fervents soutiens du gouvernement irakien dans la classe politique française.


En effet, l’engagement du Front national en général et de son leader en particulier en faveur de l’Irak n’est pas neuf. On se souvient de la visite de Le Pen à Saddam Hussein en novembre 1990, lors de laquelle il avait fait des déclarations visant à reconnaître l’annexion du Koweit ; et durant l’année 1991, le FN, à l’initiative de son patron, avait mené campagne contre la guerre du Golfe, faisant grincer quelques dents au sein du parti. Ainsi, à cette occasion, certains cadres avaient même démissionné du FN . Par ailleurs, le pari politique était risqué : comment faire comprendre à ses électeurs qu’il fallait expulser les Arabes d’ici tout en soutenant ceux de là-bas ?

La même année, le 31 mai 1991, Le Pen se marie avec Jeanne-Marie Paschos, dite « Jany », qui s’est fait connaître en tant que présidente de l’association caritative SOS Enfants d’Irak, créée en 1995. L’activité de l’association, sans être débordante, fut régulière tout au long des années 1990, envoyant des médicaments en Irak et chapeautant les manifestations de soutien du FN à l’Irak. La présence de Jean-Michel Dubois au poste de secrétaire général de l’association montre à quel point SOS Enfants d’Irak est chevillé au Front : membre du bureau politique du FN, président du FNEML (Entreprise Moderne et Liberté) depuis 1987, ce patron soupçonné d’avoir entretenu des liens étroits avec la secte Moon est l’un des cadres les plus importants du Front. Jany Le Pen a fait une dizaine de séjours en Irak, parfois accompagnée de son mari ou d’élus FN , au cours desquels elle fut en général reçue par le président irakien en personne.

Lors des derniers développements de la crise irakienne, le FN s’est exprimé d’une seule voix pour dénoncer une guerre contre l’Irak qualifiée d’ « injuste ». C’est surtout Jean-Marie Le Pen, qui n’entend pas partager son hégémonie au sein du FN quant aux relations internationales, qui s’est exprimé, en profitant au passage pour épingler les hésitations de Chirac. Mais la fermeté affichée du chef de l’État coupa court à ces critiques et Le Pen admit avoir été « agréablement surpris » par Chirac. C’est que, en dépit de son soutien de longue date à l’Irak, Le Pen a bien du mal à faire entendre sa voix : en accord avec le gouvernement en place et avec la grande majorité de l’opinion, le FN n’est pas à l’aise, et ce pour plusieurs raisons :
- d’abord, il lui est difficile de jouer les trublions provocateurs comme en 1991 (rares étaient ceux alors à critiquer l’intervention américaine), et ses prises de positions ne lui permettent pas de se distinguer de l’ « établissement » ;
- ensuite, il n’arrive pas à mobiliser en masse ses militants sur le sujet, trop éloigné de leurs préoccupations franco-françaises ;
- enfin, et c’est l’essentiel, c’est à un sacré numéro de contortioniste que se livre le FN dans son discours par rapport à l’Irak.

Ce discours s’articule autour de trois axes principaux : une dénonciation assez radicale de l’impérialisme américain, un appel à la paix teinté d’humanitarisme et une défense virulente de l’Irak en tant que nation et en tant que peuple.

L’antiaméricanisme de Le Pen n’est pas neuf, le Front national ayant toujours affiché une certaine méfiance à l’égard des États-Unis, en dénonçant en particulier lson hégémonie culturelle, assimilée au cosmopolitisme et au « mondialisme ». Poussé à l’extrême dans le cas présent, Le Pen alla jusqu’à demander une « rupture des relations diplomatiques avec les États-unis » . Et cette fois, c’est essentiellement sur des questions économiques que le FN oriente son discours, dénonçant le « néo-colonialisme » mené par des « pays prédateurs » à la recherche du contrôle des réserves pétrolières, Le Pen proposant même avec ironie que la devise inscrite sur les dollars américains soient désormais « in Gold we trust » … Mais, ne menant pas son analyse jusqu’à son terme anticapitaliste, le discours frontiste finit par tourner court.

C’est donc la dimension « pacifiste » qui prend le dessus : alors qu’il n’a de cesse de réclamer l’augmentation substantielle des crédits militaires, le FN n’a pas hésité à lâcher des colombes lors de son rassemblement devant l’ambassade américaine le 1er février, après que Le Pen a qualifié la guerre de « fléau de l’humanité ». Il est clair que le FN et son leader veulent frapper les esprits, et c’est d’ailleurs pourquoi les activités humanitaires de SOS Enfants d’Irak sont le véritable porte-drapeau du FN dans cette affaire. Ce refus de la guerre s’accompagne même d’une justification d’éventuelles ripostes terroristes, dont la dénonciation est pourtant le fonds de commerce du FN. Ainsi, Le Pen a estimé que le terrorisme est lié à « la politique agressive des États-unis » . Conscient que ce genre d’arguments pourrait choquer ses sympathisants attachés à l’idée de « choc des civilisations », Le Pen opère un habile distinguo entre les peuples du Moyen-Orient et les musulmans de nos banlieues qui selon lui profiteraient du conflit en Irak pour faire la guerre ici !

Toute l’habileté de Jean-Marie Le Pen réside en effet à faire admettre à ses sympathisants que les Irakiens ne sont pas « des Arabes comme les autres ». Présentant l’Irak comme un berceau de la civilisation, Le Pen a cherché à donner de ce pays l’image d’une nation « civilisée », « moderne », et « laïque ». Cette guerre ne sera pas « une guerre contre l’Islam » déclara-t-il devant ses militants, ravalant la thèse du choc des civilisations au rang de « marketing politique » et de « matraquage médiatique » ! La popularité de la position anti-guerre préserve pour le moment le FN d’une trop grande contradiction avec les positions de sa base. Cependant, ses positions pro-irakiennes risquent de le mettre en difficulté à l’avenir. Déjà, certains assurent leurs arrières, comme Marine Le Pen qui a tenu à rappeler que le FN n’était pas « pour l’Irak ou pour Saddam Hussein », mais simplement que son père défendait « la justice » et le droit international dans cette affaire…

Esbé

Une version augmentée de cet article est disponible sur le site du magazine REFLEXes :
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