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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°24 - Novembre 2003 > LE CAPITALISME PRIVATISE L’HUMANITE

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LE CAPITALISME PRIVATISE L’HUMANITE


L’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) est un accord-cadre pour la libéralisation des services, signé en 1994, au sein de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Il est aujourd’hui en pleine renégociation. Mais la Commission Européenne, qui négocie pour les 15, a refusé de divulguer, avant le dépôt des offres, la liste détaillée des services qu’elle entend engager dans la négociation. (Cet article a une visée informative ; il n’engage pas politiquement le réseau No Pasaran. Nous ne jouons pas la politique des Etats contre celle de l’OMC ;


ce sont les alternatives et les luttes sociales qui font reculer le capitalisme, pas les Etats qui n’ont qu’au mieux une politique sédative à opposer, et le plus souvent des politiques d’accompagnement. Nous reviendrons sur la complicité ou l’incapacité des Etats avec l’exemple du surplace de Lula et du Parti des Travailleurs au Brésil.)
Services de santé, d’éducation, de culture, recherche, tourisme, transports, télécommunications, services d’environnement, eau, énergie, etc. ; même les biotechnologies se trouvent inscrites par l’OMC via les services ! Les produits agricoles également, dont les OGM, sont couverts par l’AGCS par le biais des services de distribution.

À terme, aucun service public ou d’intérêt collectif ne pourra échapper à la "libéralisation" (c’est-à-dire à la mise en concurrence avec le privé à l’échelle internationale) : des négociations périodiques ont lieu pour "élever progressivement le niveau de libéralisation" et "réduire ou éliminer les mesures", législatives ou réglementaires restreignant le commerce des services.

En 2000, la Commission Européenne expliquait sur son site : "l’AGCS n’est pas seulement un accord entre gouvernements. C’est avant tout un instrument au bénéfice des milieux d’affaires." Avant qu’il ne soit controversé, l’OMC présentait l’AGCS, sur son site, comme le premier accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Mais cette mention, depuis, a disparu...


L’AGCS pratique l’ingérence dans la politique intérieure des Etats !

Selon les articles 6.4, mais aussi 14, 15, 19 et 6.2, 23.3, n’importe quelle loi ou mesure (même locale) d’un pays peut être contestée, voire sa suppression demandée, si elle "compromet" les "avantages" que des entreprises étrangères pouvaient "raisonnablement s’attendre" à tirer de l’accord, ou, si elle représente une "restriction déguisée au commerce" ou encore simplement, si elle a des "effets défavorables" sur le commerce des services.

Ainsi, sont directement visés les critères sociaux et environnementaux qui peuvent s’imposer aux activités de services : emploi de personnes handicapées, médecine du travail, contrainte de service pour les localités isolées, qualité de l’eau, protection du littoral et des espaces naturels, normes sur le bruit, normes sur la sécurité dans les transports ou sur les lieux de travail, sécurité des installations, qualification professionnelle, subventions...

Sur la santé en particulier, l’OMC estime que quasiment toutes les mesures du secteur affectent/restreignent le commerce.


L’AGCS s’attaque à la sécurité sociale et aux droits sociaux !

Le salaire minimum et la Sécurité sociale sont traités par les négociateurs comme des "obstacles techniques au commerce" potentiels.

L’OMC s’est fixé pour but d’éliminer les obstacles qui "restreignent" le commerce et les échanges mondiaux, afin, prétendument, de ne pas "discriminer" les entreprises ni leurs produits, et de bannir la concurrence déloyale.

L’OMC prône le recours à une main d’œuvre étrangère à faible coût, laquelle représenterait "les avantages les plus significatifs induits par les échanges". Ce personnel serait embauché avec des contrats à durée déterminée, sur la base légale et salariale du pays d’origine, c’est-à-dire ne pouvant plus bénéficier des droits sociaux - comme la Sécurité sociale - du pays employeur.

Pour l’OMC, la Sécurité sociale doit couvrir tous les soins effectués à l’étranger (et pas seulement à l’occasion d’un séjour touristique). Sinon la Sécurité sociale est un obstacle, car elle dissuade les Français de partir se faire soigner ailleurs et désavantage ainsi les fournisseurs de soins basés à l’étranger.

Pour pouvoir libéraliser plus discrètement la Sécurité sociale – sans toucher dans un premier temps au reste de la santé - l’OMC envisage d’intégrer l’assurance santé dans les services financiers, lesquels sont déjà libéralisés (c’est à dire ouverts à la concurrence). C’est ce que souhaite le patronat (MEDEF), qui veut supprimer le monopole de la Sécu et la mettre en concurrence avec des caisses privées. La cour de justice européenne a d’ailleurs déjà condamné un tel monopole !

Et si la Sécurité sociale - ou bien les retraites - sont intégrées aux services financiers dans l’AGCS, alors les décisions les concernant ne relèveront plus de la compétence française, mais seront soumises aux règles de l’OMC.


L’AGCS s’attaque aux services publics !

L’AGCS dénie ainsi aux citoyens l’égalité d’accès à la santé, l’éducation, la culture, l’eau, etc. ! Les monopoles publics et les subventions publiques sont visés comme potentiels obstacles au commerce. Des limitations à la redevance sur l’eau, le gaz, ou l’électricité, pour des personnes nécessiteuses, ont été identifiées par l’OMC comme réglementation "plus rigoureuse que nécessaire"...


L’AGCS s’attaque aux ressources de la planète et à la préservation de l’environnement !

L’OMC le reconnaît elle-même : "les mesures nécessaires à l’environnement peuvent entrer en conflit avec les dispositions de l’AGCS" (voir sa "Décision sur le commerce et l’environnement", partie intégrante de l’AGCS).

L’OMC a amputé la "loi sur l’air propre" des États-Unis. Cette loi interdisait un additif à l’essence considéré comme polluant. Comme le montre un procès en cours (il se déroule dans le cadre de L’ALENA - accord de libre-échange nord américain qui repose sur les mêmes règles que l’AGCS) entre le fabricant canadien du MBTE (additif à l’essence, qui pollue les nappes phréatiques) et la Californie, l’interdiction d’un produit polluant n’est pas le moyen "le moins contraignant pour le commerce" pour éviter une telle contamination. Tel est l’argument du plaignant canadien, lequel propose des alternatives qui coûteraient très chères financièrement à la Californie. On comprend ainsi que le principe de précaution – pourtant introduit en préambule des accords - ne puisse être applicable au regard des règles de l’OMC.

Eau secours ! L’Union européenne vise, dans le cadre des négociations sur l’AGCS, à obtenir la libéralisation de tous les services d’environnement des 145 pays membres de l’OMC, et en particulier, le droit pour ses firmes transnationales de capter l’eau des nappes phréatiques ; en vertu de l’article 2 de l’AGCS, un pays qui accorde l’accès à ses ressources – par exemple ses nappes phréatiques - à une entreprise étrangère, doit concéder le même avantage à toutes les entreprises étrangères qui le demandent, au regard du principe de "non-discrimination". Si l’Union européenne arrive à ses fins, c’est un permis illimité de captage des nappes phréatiques qui pourra être mis en place ! Que dire alors des déclarations sur le développement durable affichées par l’OMC en préambule de ses accords... ?!

En outre l’Europe veut pousser le Brésil et le Mexique à abandonner leur loi de protection du littoral (qui interdit le bétonnage et le captage des nappes phréatiques).

Les États-Unis, quant à eux, demandent la libéralisation de tous les services liés à l’énergie depuis l’extraction jusqu’à la distribution, les incinérateurs y sont intégrés. Les États-Unis veulent notamment, l’application du principe de "neutralité technologique", lequel interdirait à un pays de préférer une source d’énergie à une autre (solaire, éolien plutôt que nucléaire, etc.). L’OMC interdit en effet, de "discriminer" deux produits ayant les "mêmes caractéristiques finales" (c’est à dire "similaires", ou, "équivalents en substance").

L’OMC ne permet pas, ainsi, de refuser un produit en fonction des "processus et méthodes de production" (PMP), et en particulier, des conditions sociales et écologiques dans lesquelles il est fabriqué : il s’agirait d’une "restriction déguisée au commerce." Selon ce principe, l’électricité qu’elle soit d’origine nucléaire ou solaire a bien les mêmes propriétés finales pour le consommateur...

Une même logique s’applique aux organismes génétiquement modifiés (OGM), couverts donc par L’AGCS via les services de distribution. Pour l’OMC un OGM est "substantiellement équivalent" à un non-OGM*. Le refus d’importer des produits OGM, si l’on importe les mêmes produits non-OGM, devient alors discriminatoire... C’est pourquoi les États-Unis ont porté plainte à L’OMC contre le moratoire européen, lequel concerne les nouvelles variétés de plantes agricoles génétiquement modifiées. L’AGCS peut être invoqué pour appuyer cette plainte.


L’AGCS s’attaque aux politiques d’étiquetage et information du consommateur, potentiels obstacles au commerce

Selon la logique exprimée plus haut, tout étiquetage d’un produit portant sur ses conditions de production (par exemple commerce équitable, agriculture biologique) est contestable. C’est ainsi qu’un projet d’étiquetage, néerlandais, signalant une sylviculture respectueuse de l’environnement, a été abandonné car menacé d’une plainte à l’OMC. De même, l’OMC a contesté les politiques d’éco-étiquetage, car susceptibles de créer une "discrimination entre produits nationaux et importés". En novembre 2001, au sommet de l’OMC à Doha, l’Europe a accepté l’abandon de sa politique d’éco-étiquetage, afin de pouvoir en contrepartie maintenir ses subventions contestées dans le secteur de l’agriculture.

Ainsi, les Etats-Unis refusent l’étiquetage des OGM et avaient entamé une procédure à ce sujet auprès du tribunal de L’OMC.


L’AGCS s’attaque à la démocratie ! Les pouvoirs législatifs et réglementaires des élus sont menaces

Un État ne sera plus en mesure de définir indépendamment sa politique, y compris sur le plan intérieur. L’article 3 impose à chaque État la "transparence", il doit, "dans les moindres délais" informer L’OMC de l’adoption ou modification de toute loi et réglementation, afin de pouvoir y
déceler d’éventuels obstacles au commerce. Sous la pression du lobby industriel, les Etats-Unis demandent que cette transparence soit mise en place avant l’adoption des lois !

L’AGCS instaure le "Conseil du commerce des services", compétent pour décider si un objectif politique est légitime ou non, et si les moyens de le mettre en œuvre sont ou non "plus rigoureux que nécessaires" : mais les membres de ce Conseil sont des fonctionnaires qui n’ont pas été choisis par la voie démocratique ! De plus, ce Conseil peut s’il le décide, exclure de ses organes subsidiaires les représentants de certains pays !

En revanche, l’OMC ne s’impose à elle-même, aucun devoir de transparence. Le Conseil du commerce des services n’a aucun compte à rendre de ses travaux aux assemblées élues de chaque État. Certains documents, entrant pourtant dans la négociation, ne sont même pas référencés !

De même, le tribunal de l’OMC - habilité à régler les différends et à juger, en dernier recours, de la compatibilité des lois ou règles nationales avec les accords de l’OMC - est un chef d’oeuvre d’opacité : il délibère à huis clos, les jugements rendus sont anonymes, les documents accessibles plusieurs semaines après les verdicts. Il s’appuie sur des experts commerciaux privés et n’a fait que très rarement appel à d’autres types d’experts. Toute participation des parlementaires ou ONG est exclue. On ne peut douter que le commerce sorte gagnant d’un tel mécanisme, au mépris des droits humains, affirmés par les grands textes de l’ONU !


L’AGCS s’attaque aux droits de l’humain, exemple : le jugement de la banane

C’est la démonstration de ce qui précède. En vertu notamment de l’AGCS (service de distribution), l’Europe a été condamnée pour discrimination à l’égard de la banane-dollar, produite par des multinationales américaines en Amérique centrale. L’Europe accordait un accès privilégié sur son marché à la banane antillaise et africaine. Cette attitude a été jugée "discriminatoire" à l’égard des multinationales US, lesquelles pourtant détenaient déjà 60% du marché européen. Mais le tribunal de l’OMC n’a pas estimé qu’il y avait concurrence déloyale du fait que ces firmes, imposant des coûts de production très bas à leurs sous-traitants, soumettent les ouvriers agricoles à un travail inhumain : très bas salaires, journées de 12 à 18 heures, ouvriers non évacués lors des épandages de pesticides par avion ; des problèmes sanitaires tragiques, liés aux pesticides, sont apparus dans tous les pays produisant la banane-dollar... Autant dire que les conventions de l’OIT (organisation internationale du travail, organisme de l’ONU), sur la "santé et sécurité au travail", sur la "durée maximale au travail", sur le "salaire minimum vital", ne sauraient être prises en compte par l’OMC, car elles n’influent pas sur les caractéristiques finales du produit !

C’est donc dans un grand esprit de continuité que les États-Unis ont déposé une note signalant que le salaire minimum pourrait être un "obstacle au commerce".

L’AGCS encore plus loin dans le déni de démocratie : sortir de l’OMC ou des engagements de l’AGCS n’est, en pratique, pas possible !

En effet un pays voulant se retirer d’un engagement de libéralisation (et a fortiori de l’OMC), est dans l’obligation de dédommager les autres pays à hauteur des préjudices subis !

Il faut souligner qu’à l’OMC, on n’échappe pas aux sanctions : un pays qui ne remplit pas ses obligations, se voit infliger des mesures de rétorsions commerciales (notamment forte taxation de ses produits exportés) par le pays lésé, d’où un risque de difficultés économiques et de pertes d’emploi dans le pays "fautif". Un tel système est parfaitement inéquitable pour les producteurs et entreprises dont les produits sont taxés, et totalement arbitraire, puisque le pays lésé choisit librement les produits qu’il taxe (sans aucun rapport avec le conflit traité) : I’OMC est donc la première à violer son principe fondateur de non-discrimination. Quelle légitimité peut-elle alors avoir pour le faire appliquer !

*bien que cela ne soit pas fondé scientifiquement, puisque des études montrent le contraire. En outre, si un OGM est équivalent à un non-OGM, comment justifier sa mise sous brevet, sachant qu’un brevet requiert la caractéristique de nouveauté.


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