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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°24 - Novembre 2003 > PERVERSITE DU COLONIALISME MODERNE

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PERVERSITE DU COLONIALISME MODERNE



Notre société raciste et xénophobe n’en fait pas moins surveiller les blancs par des noirs. Rien de plus pathétique que de voir ces grands gaillards africains servir de vigiles pour surveiller les banques et les grands magasins. Taillés en armoire à glace, ils ont été dressés en chiens de garde.


Ceux-là sont pourtant les tristes otages d’un système qui avait réduit leurs ancêtres en quasi-esclavage et en tout cas, en peuples coloniaux surexploités. En fait, il semblerait bien que ces hommes, habillés de blazer taillé sur mesure, mais payés au SMIC, ont plutôt été engagés pour surveiller activement les Beurs et les Blacks, toujours suspects en ces lieux sensibles. A les voir, l’œil suspicieux, ces protecteurs des biens du capital donnent une triste idée de l’évolution de notre société.

Comme il y a toujours pire dans l’abomination, notre société s’est mise en tête d’être égalitaire dans le domaine de la main-d’œuvre répressive. En effet, les écoles de police sont largement ouvertes aux rejetons des anciens colonisés. C’est ainsi que, depuis deux décennies, nous avons vu se multiplier les policiers (et policières) noires ou simplement basanés. Comme pour démontrer que le racisme n’avait pas droit de cité en démocratie libérale.

Tout comme la libre république d’Athènes, qui attribuait à ses esclaves les tâches de police, nos institutions ne se contentent plus de faire exécuter par les Noirs les travaux de voirie et de ramassage des ordures. Il paraissait indispensable de les utiliser également pour faire régner l’ordre blanc. C’est sans trop de surprise - tristement - que nous pouvons voir ces mercenaires réprimer d’autres Noirs, tout comme des jeunes issus de l’immigration maghrébine dans les cités ghetto. Mettant parfois plus de zèle, plus de hargne, que leurs collègues bien blancs. Dans leur situation, il leur faut bien prouver qu’ils sont tout aussi performants.

On me dira que je suis naïf, et qu’il en a toujours été ainsi. C’est vrai, mais je suis issu d’un groupe de population persécuté et ne peux me résoudre à accepter cette situation sans réagir. Tout comme me donne envie de vomir le zèle des policiers et des soldats juifs-orientaux qui traquent et assassinant des jeunes Palestiniens, en Cisjordanie et à Gaza.


Le modèle américain, cette grande démocratie où la ségrégation reste la règle non-écrite, a toujours été regardé avec une certaine admiration par les hommes d’ordre. Rien ne m’avait plus bouleversé, à New-York, que la vue des policiers Chinois, à ChinaTown, et de leurs collègues Noirs, à Harlem. Tous mettant autant de zèle dans leur "travail" que les brutes bien blanches. Les uns et les autres voulant ignorer que leur seule présence permet de renforcer une volonté de marginalisation criminelle.

C’est surtout ce modèle qui avait tant séduit Jean-Pierre Chevénement durant les trois années qui l’on vu officier au ministère de I’Intérieur. La grande idée du "miraculé de la République" avait été d’imiter en tous points le maire de New-York, Guiliani, avec pour philosophie la "Tolérance zéro", accompagnant la théorie du "Carreau cassé" qui doit nécessairement conduire en prison l’auteur d’un délit mineur.

Aux USA, 75% des taulards sont Noirs. En France, nous en prenons le chemin avec les jeunes issus de toutes les immigrations colorées. Pour faire régner cet ordre rigide, où il n’y a de choix qu’entre la soumission et les barreaux des prisons, Jean-Pierre Chevènement avait eu la lumineuse idée - en 1997 - de créer 20 000 emplois jeunes - les Adjoints de sécurité - avec pour ambition d’embaucher autant de jeunes Beurs ou Blacks, L’opération n’a peut-être pas totalement réussie, mais le simple fait de l’avoir envisagée nous donne une idée de la conception des droits de l’homme de ces gens-là.

Dans le même temps, cette société rejette les hommes et les femmes colorés. Cette exclusion se manifeste dans la recherche difficultueuse d’un emploi au d’un logement. Plus généralement, il y a marginalisation de fait, dans le simple regard de l’homme blanc. Dans le métro parisien, par exemple, cette brave citoyenne qui pénètre dans le wagon, et cherche une place assise, préférera poser son séant là où sont déjà installées deux ou trois personnes, plutôt que de choisir une banquette où un Noir voire un Maghrébin est seul. Ce comportement révèle propension au racisme ordinaire - le plus perfide - le plus dangereux finalement car difficile à dénoncer, et donc à combattre.

La vieille tentation de la séparation des êtres humains, en fonction de leur couleur, est toujours présente. Exprimée en Afrique du Sud, au nom de la volonté de Dieu qui n’a pas, de façon hasardeuse, créé des Blancs et des Noirs, l’apartheid a fait des adeptes et conserve de très nombreux héritiers. Bien sûr, il n’est pas rare que le racisme se manifeste à rebours. Il n’est que de faire l’état des lieux dans le domaine du sport, parmi ceux qui brillent sur les stades ou sur les rings. Les Noirs y sont en majorité, mais ceux-là sont considérés, bien payés, car ils représentent la France au plus haut niveau et leur couleur est, un temps, oubliée.

Non content de marginaliser la plupart des étrangers colorés, venus du Sud, et qui ont vaillamment travaillé pour la République, la volonté est forte de criminaliser leurs enfants. Après Pasqua, Debré, Chevènement et Vaillant, Nicolas Sarkozy a perfectionné un système répressif qui, incontestablement, prend sa source dans Le Code Noir (*). Edicté par Louis XIV et Colbert, en 1685. Dans l’article 16 de ce texte, il est possible de lire, de façon prémonitoire : "...Défendons aux esclaves appartenant à différents maîtres de s’attrouper, le jour ou la nuit, sous prétexte de noces ou autrement... enjoignons à tous nos sujets de courir sus aux contrevenants, et de les faire arrêter et de les conduire en prison."

Curieux ricochets de l’histoire qui voit, en 2003, les policiers à l’affût des halls d’immeubles pour interpeller un gibier permettant ainsi d’enrichir les résultats exigés par le ministre de l’Intérieur.

Nous vivons en régime démocratique - pour combien temps encore ? Alors, pour bien nous prouver que nous sommes à la pointe du combat pour la liberté et la reconnaissance du droit à tous d’accéder au même statut, le gouvernement CRS (Chirac, Raffarin, Sarkozy) s’est donné l’ignoble joie de faire accéder deux Français d’origine algérienne au poste envié de sous-ministre. A l’analyse, cela ressemble à une sinistre et double plaisanterie. L’un a été nommé ministre des anciens combattants et victimes de guerre, l’autre (une jeune femme) a pu accéder au secrétariat d’Etat au développement durable. Comment l’une et l’autre ont pu se prêter à cette imposture ? Celui qui est censé s’occuper des anciens combattants est issu d’un peuple qui, au travers de toutes les guerres, (1870, 1914, guerre d’Indochine, guerre d’Algérie) a payé un lourd tribu au colonialisme. L’autre, qui a pour mission de faire jolie dans le paysage, semble ignorer que les pays du Sud ne sont nullement concernés par ce "développement durable" envisagé au seul bénéfice des nantis, qui ne peuvent qu’être blancs.

Ma naïveté n’a d’égale que ma candeur apparente. Il me sera donc beaucoup pardonné, mais il se trouve que si je suis violemment pacifiste, je ne serai plus jamais victime innocente. Prenez garde à l’eau qui dort, nous suggère l’adage bien connu, et les blancs, dont je suis, ont tout à craindre du réveil de ceux que l’on a toujours traité en "sauvages" potentiels et qui sont mes frères en humanité.


(*) L’Esprit Frappeur, 1998


Maurice Rajsfus


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