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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°24 - Novembre 2003 > BOLIVIE : GUERRE du GAZ, LUTTE ANTI-COCA et REBELLION AYMARA

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BOLIVIE : GUERRE du GAZ, LUTTE ANTI-COCA et REBELLION AYMARA


Le vendredi 17 octobre 2003, le président de la Bolivie, Gonzalo Sanchez de Lozada, surnommé “Goni”, démissionne après une crise sociale d’un mois. Durant plusieurs semaines, la Bolivie, et en particulier l’Altiplano (les hauts plateaux andins, près du lac Titicaca), furent en effet paralysés par les “campesinos” (paysans) et leurs barrages routiers, édifiés afin de lutter contre un projet gouvernemental d’exportation de gaz naturel à la Californie via le Chili. Mais le nouveau président, Carlos Mesa, va-t-il réellement pouvoir changer la situation ?


Les paysans aymaras, majoritaires dans la région de l’Altiplano, ont commencé leur lutte avant l’appel lancé par le MAS (Mouvement vers le socialisme) d’Evo Morales et la Coordination du gaz contre la décision d’exportation, et alors qu’au jour d’aujourd’hui ils n’ont toujours pas levés les barrages routiers, tout laisse à croire que la démission de Goni ne sera pas suffisante pour désamorcer une crise aux causes plus structurelles que conjoncturelles.

Tout a commencé le 8 septembre 2003, avec une manifestation et une grève de la faim des paysans aymaras, qui réclamaient la libération d’un des leurs, Huampi, incarcéré pour meurtre, après avoir dirigé un tribunal populaire indigène ayant condamné à mort deux adolescents jugés coupables de vol de lamas. Mais après un appel lancé par la Coordination du gaz et Evo Morales, leader des “cocaleros”, les cultivateurs de coca, le mouvement de protestation s’étendit à tout l’Altiplano : dès le 15 septembre, les barrages routiers paralysaient toutes les routes de cette région, bloquant de nombreux touristes venus admirer le lieu de naissance du dieu Inca, l’Isla del Sol, sur le lac Titicaca.

Des négociations furent entamées entre le gouvernement et Felipe Quispe, “el Mallku”, dirigeant de la CSUTCB (Confédération des paysans de Bolivie), mais elles furent rompues après une tentative de “sauvetage” d’un millier de personnes bloquées à Sorata, petit village andin, qui se solda par la mort de six personnes (dont un soldat, et une petite fille de huit ans), lors d’un affrontement a Warisata (autre village) le 20 septembre, qui vit l’armée utiliser des armes lourdes face aux paysans armés de frondes et de vieux fusils Mauser datant de la Révolution de 1952.

Dès lors, le conflit se radicalisa, avec des manifestations quotidiennes à La Paz réclamant la démission du president Goni, tandis que les “cholitas” (ces femmes indiennes, vêtues de jupon et de chapeau-melon, qui travaillent, boivent et manifestent...) d’El Alto_ obligeaient les marchés à fermer, l’une d’elle déclarant à la télé : “Que les q’aras (blancs) aussi meurent de faim !”. En outre, aux paysans s’ajouterent les étudiants et professeurs, les “gremiales” (vendeurs informels), les retraites, enfin les mineurs et les ouvriers de la COB (Centrale Ouvriere Bolivienne) dirigée par Jaime Solares, qui se déclara en grève indéfinie le 29 septembre, et les “cocaleros” d’Evo Morales, qui bloquèrent la partie orientale du pays (le Chapare) la deuxième semaine d’octobre.

Face à cet immense mouvement de protestation, qui gagnait peu à peu tout le pays, le gouvernement néolibéral de Goni ne repondit que par le mépris et la répression, la police faisant un usage généreux des gaz lacrymogènes (on ne s’étonnera donc guère de voir le recteur de l’UPEA, l’Université d’El Alto, prêter son portable à un jeune étudiant qu’on qualifierait en France de “casseur” ) tandis que Goni est allé jusqu’à nier l’existence même d’un projet de vente du gaz. Il affirma aussi que seuls 800 personnes manifestaient et paralysaient le pays, alors que les manifestations quotidiennes rassemblaient facilement 50 000 personnes à La Paz (que l’on s’imagine l’effort fourni par ces modestes gens, vivant au jour le jour, pour déclarer une grève indéfinie, alors que le salaire moyen est d’environ 420 bolivianos- 55 euros ; le gouvernement et les élites comptaient d’ailleurs sur l’épuisement du mouvement précisement pour cette raison...), et, comble du comble, déclarait a La Razon le 5 octobre : “Je ne démissionnerai pas, parce que ma femme me soutient, car elle veut être la première dame du pays” !

Mais les affrontements avec la police se firent plus durs à partir du 5 octobre, notamment a El Alto. Les paysans ont modifiés leurs slogans, passant de “El gas no se vende, carajo !” à “Goni, assassin !” “Goni, demission !” et enfin à “Ahora si, guerra civil !” et “Fusiles o mitralletas, el pueblo no se calla !”. Ainsi, ils décidèrent de bloquer l’accès à l’aéroport international de La Paz, qui fut fermé quelques jours, et tentèrent d’empêcher le passage d’un convoi sous escorte militaire devant ravitailler la capitale en essence. L’armée répliqua en tirant sur la foule, déclenchant une semaine d’émeutes à El Alto notamment, et allant jusqu’à tirer sur les maisons depuis un hélicoptère ! Bilan : 86 morts au moins et plus de 400 blessés.

Cette répression sanglante signifia l’arrêt de mort du gouvernement de Goni, ses ministres le lâchant peu à peu, tandis que des intellectuels et des artistes lancèrent une grève de la faim. Il démissionna après que l’armée lui eut refuse son soutien.

Carlos Mesa, le vice-president, lui succéda et forma un gouvernement composé de personnalités inconnues, éloignées des partis politiques. Deux ministres, celui de la Santé et celui des Affaires Indigènes (ministère nouvellement crée), sont indiens, ce qui n’est cependant que simple formalisme démocratique dans un pays ou 65% de la population est indigène et 25% métis. Il a déclarer ne rester que le temps d’organiser un référendum sur le gaz, tout en disant que le gouvernement n’abandonnerait pas la possibilité d’exporter le gaz, tant que cela profite aux pauvres, et qu’il continuerait la politique d’éradication de la coca.

Des lors, il est peu probable que Carlos Mesa change profondement la situation, et l’on peut s’attendre a une nouvelle crise d’ici quelques semaines ou quelques mois. Si Evo Morales a accordé um répit au nouveau gouvernement, Felipe Quispe a declaré que “le gouvernement avait beaucoup parlé, mais rien dit” et décrête la poursuite des barrages routiers dans l’Altiplano. En effet, si le projet d’exportation de gaz a été le détonateur de la crise, le nationalisme anti-chilien aidant (celui-ci date de 1879, quand le Chili priva la Bolivie d’accès a la mer), la population est fatiguée de voir les nouveaux gouvernements privatiser toutes les entreprises, ceci depuis 1985, et vendre à vil prix toutes les ressources naturelles de la Bolivie, qui détient le second gisement de gaz naturel d’Amérique latine. La Bolivie souffre aussi de la corruption de la classe politique, de la guerre menée aux “cocaleros” et du mépris total affiché face aux paysans indigènes. Elle peut se targuer d’avoir un des mouvements social les plus puissants d’Amerique latine, tandis que la formation d’une jeune élite indigène laisse présager la formation d’un mouvement indigéniste aymara peut-etre plus puissant et plus radical que celui du Chiapas au Mexique.



LE PROJET D’EXPORTATION DE GAZ NATUREL

Le gouvernement de Goni voulait exporter le gaz à la Californie (Etats-Unis et Mexique) via un port chilien. Ceci nécessite la construction d’un gazoduc à travers les Andes ainsi que d’une usine de liquéfaction au Chili, investissement profitant à cette dernière puissance. Les protestataires revendiquaient le gaz pour l’industrialisation nationale, l’investissement nécessaire a son extraction étant financée par la vente du gaz, ainsi que la re-nationalisation de la compagnie de gaz, privatisée par Goni lors de son précédent mandat, en 1996.

En vendant le gaz au consortium Pacific LNG (composé de Repsol YPF, British Petroleum Group, British Gás, et peut-être TotalFinaElf), l’Etat ne devait percevoir que 18% des bénéfices de la vente, 82% allant aux multinationales. De plus, alors que le Brésil paie actuellement 1,70$ par million de BTU (British Thermal Unity) à la Bolivie pour son gaz, les Etats-Unis ne paieraient que 0,70$. Ceci alors que le gaz est vendu 3,30$ a São Paulo (Brésil) et près de 4$ en Californie (La Prensa, 06/10/03).

Les réserves de gaz representeraient environ 20 000 millions $, soit 10 fois la valeur annuelle de production de biens et de services en Bolivie (El juguete rabioso, fin septembre 03). De quoi faire de la Bolivie un pays riche, si le pillage de ses ressources naturelles cessait...


LA POLITIQUE ANTI-COCA A FAIT 250 VICTIMES EN 15 ANS

De même qu’en Colombie et au Pérou (où Coca-Cola achète ses feuilles de coca), les Etats-Unis livrent la guerre aux “cocaleros” boliviens, au nom de leur croisade anti-drogue. Celle-ci a fait au moins 250 morts en 15 ans, selon Le Monde diplomatique de mai 03, la CIA se chargeant de cette sale guerre, qui implique des mercenaires nationaux (payés 100$ par mois) ou étrangers, ce qui permet au gouvernement états-unien de se désolidariser des “bavures” commises. En plein mois de septembre 03, l’ambassadeur Greenlee a offert de nouveau au gouvernement de Goni 250 000$ afin de financer la lutte contre la coca, cette feuille millénaire. Dans le même temps, il doublait la capacité physique du CEIAGAVA (Centre d’entrainement international anti-narcotiques de Garras del Valor), situe près de Cochabamba (dans la région du Chapare, principal producteur de coca - celle-ci n’est légalement produite à des fins traditionnelles que dans la région des Yungas, au nord de La Paz) (La Prensa, 06/10/03).

Si cette politique a permis de faire baisser de 35 000 hectares à 5 500 ha la culture de la coca en une dizaine d’années, celle-ci s’est deplacée vers la Colombie (120 000 ha en 2000) (www.monde-diplomatique.fr/ca...). Ainsi, la production se déplace, les prix montent, et les conflits sociaux se multiplient. Tout comme au Nord, la croisade contre la guerre semble dans les faits vouée à l’echec, la mafia en étant le seul bénéficiaire. 2003 fut la plus mauvaise année depuis 1997 en Bolivie, du point de vue de la baisse de la production, les multiples conflits sociaux empêchant le gouvernement de mener à bien cette politique, coûteuse pour le pays en vie humaines et en termes économiques. Evo Morales est arrivé second aux élections présidentielles de 2002, avec 18,5% des voix, Goni obtenant 21% et le MIP de Felipe Quispe 6% (Goni fut ensuite élu par l’assemblée grâce à une alliance des partis modérés). Evo déclarait récemment au Figaro (18/10/03) : “Les campagnes d’éradication de la coca ne sont qu’une nouvelle version des campagnes d’éradication des Indiens”, ainsi que “En Bolivie, il vaut mieux être une vache, à qui l’on attribue en moyenne 60 ha de terres, qu’une famille d’Indiens qui n’en a qu’un dixième”.


LA REBELLION AYMARA

Depuis 3 ans, un nouveau cycle a été entamé dans la lutte indigéniste, selon El juguete rabioso (du 28/09/03 au 11/10/03). En effet, les aymaras de l’Altiplano se ré-approprient leurs terres, expulsant les fonctionnaires et représentants de l’Etat, et reconstruisant un pouvoir politique communal fondé sur les “ayllus” (communautes indigènes) et les syndicats, regroupés dans la puissante CSUTCB de Felipe Quispe dit “el Mallku”. Une caserne de 40 000 indigenes fut formée a Qalachaca, en juin 2001, exemple de la force de ce mouvement.

El Mallku était auparavant le chef de l’EGTK (Ejercito Guerillero Tupac Katari) marxiste. Emprisonné de 1992 a 1997, il fut élu secrétaire exécutif de la CSUTCB à sa sortie, et fonda en 2001 le MIP (Mouvement Indigene Pachatuti), arrive troisième à La Paz lors des présidentielles de 2002, avec 17,74% des voix, et cinquième force politique nationale, avec 6 des 157 députés. Il revendique la reconstitution de la “Kollasuyo”, où les “ayllus” fondent un socialisme basé sur le troc, l’autonomie de la “nation aymara”, qui regroupe 2 des 8 millions de boliviens. En tant que ce sont les “propriétaires originels” du sol national, il réclame un droit de regard sur l’utilisation du sol mais aussi du sous-sol.

Lors de cette crise, il réclamait en outre de l’abandon du projet d’exportation du gaz, l’application des accords de l’Isla del Sol (28 février 2002), concernant la construction d’une université indigène (l’aymara est interdit à l’université), la santé, les routes, la propriété rurale, la Sécurité Sociale (ce dernier point a été rempli), mille tracteurs, l’engagement de l’Etat à ne plus rentrer dans la région des Yungas, productrice de coca. En outre, la CSUTCB lutte contre l’ALCA (ZLEA en français : Zone de libre-echange des Amériques, prévue pour 2005), les OGMs, et revendiquait l’abrogation de la Loi de Sécurité Nationale, votée lors du conflit, qui punit de 3 à 8 ans de prison celui qui édifie des barrages routiers (principal mode de contestation dans l’Altiplano, et ce depuis des siècles). Lorsque je demandais à Rufo Calle Parra, secrétaire executif de La Paz de la CSUTCB, ce qu’il ferait en cas de refus de négocier de la part du gouvernement, celui-ci me déclara : “Si le gouvernement refuse de négocier, nous allons déclarer l’indépendance”. 650 aymaras ont effectués une grève de la faim depuis le 10 septembre, dans les locaux de la radio San Gabriel, à El Alto.


LES ETATS-UNIS SOUTIENNENT JUSQU’AU BOUT GONI

L’ambassadeur des Etats-Unis, Greenlee, ex-dirigeant de la CIA en Bolivie, montra son soutien à Goni, après le massacre à Warisata le 20 septembre, en lui accordant une aide de 63 millions$. Ce dernier fut soutenu jusqu’au bout, le département d’Etat saluant “l’attachement à la democratie” d’un président responsable de plus de 140 morts en à peine deux ans. Il a accordé un soutien reluctant au nouveau président Carlos Mesa, et a envoyé “une petite équipe de militaires” venu “conseiller l’ambassade” (AFP).


EN 15 ANS DE NEOLIBERALISME, LE REVENU MOYEN DES PAYSANS A CHUTE DE MOITIE

Les paysans représentent 40% de la population. La moitié souffre de la faim. 87% des terres appartiennent aux, 13% aux petits paysans. Il y a 250 000 paysans sans-terres. En Bolivie, 2/3 de la population est sous le seuil de pauvreté selon Le Monde, 80% selon Le Figaro (editions du 19/10/03).


EL ALTO, EPICENTRE DE LA CONTESTATION URBAINE

Située dans les hauteurs de La Paz, cette ville jumelle regroupe la partie la plus pauvre du pays. Avec l’Altiplano, elle a été le foyer de la contestation. Elle est composée de 650 000 habitants, dont 400 000 sont sous le seuil de pauvreté. On y entend plus parler aymara qu’espagnol. Avec la fermeture des mines de Potosi, la population augmente de 5% par an. Selon l’édition bolivienne du Monde diplo d’octobre 03, 40% des personnes y meurent de cause violente et 40% de suicides. La majorité des morts durant cette crise étaient altenos. Neanmoins, contrairement aux autres grandes villes d’Amésrique latine, un “gringo” peut encore s’y balader.


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