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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°24 - Novembre 2003 > CONTRE LE COUPLE OU CONTRE LE GENRE ?

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CONTRE LE COUPLE OU CONTRE LE GENRE ?


"La conjugalité au pilori !" Tel aurait pu être le titre de l’article antipatriarcat de l’avant dernier numéro de No Pasaran (septembre 2003), certes sous-titrable par "Eloge de la famille élargie". S’interroger sur la violence inhérente au couple est un départ intéressant dans le cadre d’une réflexion sur la domination. Intéressant mais potentiellement réducteur. Réducteur surtout lorsque la solution présentée se trouve être la famille élargie (stigmatisant la "fragilité, la faiblesse, la différence" de la femme).


Si la norme du couple doit être déconstruite, que ce soit dans une perspective d’émancipation et d’autonomie !

Or quelle autonomie est possible dans la famille élargie, structure qui n’exclut ni l’autorité ni la violence possible… Sans parler du passage à la trappe de la bisexualité, de l’homosexualité et de la transexualité. On peut tout au plus penser que ces préférences sexuelles (marginales, semble-t-il, au vu de l’article) se trouveraient acceptées et intégrées de la manière suivante : la sphère familiale élargie se limiterait à "sécuriser" les rapports sexuels sans les juger ou les interdire. Reconnaissance tacite de toutes les sexualités ou garde-chiourme de l’Ordre Moral ? Dans le doute, nous préférons ouvrir le débat… Il s’agit tout d’abord de remettre en cause ces clichés "différentialistes", établis par la norme des genres et par une socialisation différenciée entre les personnes de sexe femelle et les personnes de sexe mâle, pour ensuite tenter d’évaluer quelle relation s’établit, s’il y’en a une, entre structure du cadre de vie (cohabitation, vie communautaire, couple, etc.) et violence.


Déconstruisons les genres


En premier lieu, il faut se défaire d’une vision essentialiste de "l’Homme" et de "la Femme", c’est-à-dire de la femme fondamentalement différente de l’homme, schéma dans lequel la femme est habituellement considérée comme sexe inférieur et dévalorisé. Un tel schéma dans les sociétés patriarcales se traduit dans une attribution de rôles différenciés : l’homme est sujet, (l’Homme universel) qui s’inscrit dans " l’être", la femme dans le paraître, elle est objet (notamment sexuel), et se retrouve à jamais réduite à son sexe biologique et à sa sexualité. Ses rôles s’incarnent dans la dichotomie mère / pute : rôle biologique de procréation ou de service purement sexuel. Ces rôles sont par la suite confirmés et renforcés avec la construction des genres (le "sexe social") différenciés : la féminité aux personnes de sexe femelle et la masculinité aux personnes de sexe mâle. Dans le cadre du patriarcat, la féminité se traduit par la passivité, le "paraître, l’émotivité, la beauté, la maternité et la fragilité", et la masculinité se traduisant par "la virilité, l’autorité et la force". Les genres ne résultent pas de la nature différenciée des sexes, mais de la logique différentielle du système. La relation du masculin et du féminin aux hommes et aux femmes est relativement arbitraire. C’est dans cette logique différentielle que la femme est de facto considérée comme le sexe inférieur, et la féminité à laquelle elle est rattachée, dévalorisée. La violence dans un couple se légitime et commence à partir du moment où un conjoint considère l’autre (conjoint) comme naturellement inférieur de par son sexe et le genre auquel il/elle est rattachée (le plus souvent la féminité), dévalorisée.


Mais ce qui sert de déclencheur à la violence n’est pas tant cette situation de domination que sa remise en cause : le plus souvent, c’est lorsque le ou la dominé(e) fait preuve d’"indépendance", ou plus simplement lorsque le/la dominant(e) perçoit son attitude comme remise en question indue de la hiérarchie socialement établie, que le comportement violent lui apparaît comme une réponse à ce qu’il perçoit comme une "provocation".



Il est évident que la violence dont il est ici question se limite à la violence ouverte, conçue comme telle et consciente d’elle-même. Doivent y être ajoutées d’autres formes de violences, plus subtiles, dont les auteurs ne sont pas nécessairement conscients. Violences qui se définissent plus par le ressenti de leur victime que par la volonté des acteurs, et qui posent au premier plan la question de la communication (ou de l’incompréhension) entre partenaires.


Ne peut-on pas admettre que le couple ne fait que refléter ces schémas de domination qui sont difficile à combattre parce que tellement intériorisés, ou y a t’il vraiment quelque chose inhérent au couple qui pousse à la violence envers son/sa conjoint-e ?


Nature de la relation,

cadre de vie et violence



Si nous remettons en question le couple, il nous faut réfléchir aux autres possibilités sociales. La proposition de la famille élargie ne semble pas s’inscrire dans une perspective d’épanouissement de l’individu et d’émancipation, la femme restant dépendante de ses proches (oncles, grands-oncles, etc.) pour sa sécurité et ne semble pas garantir l’absence de violence. D’une part, vouloir remplacer le couple par la famille élargie au prétexte que la femme et ses enfants auraient besoin de la protection de leur proches, repose sur les habituels poncifs sur la prétendue faiblesse "par essence" des femmes et la prétendue violence "par essence" des hommes. C’est nier les possibilités de transformation sociale par la déconstruction des genres, au nom d’une vision naturaliste du monde et de la vie sociale.


Or, contradiction essentielle, on ne voit pas en quoi la famille élargie pourrait être un frein à la violence, dès lors que celle-ci découlerait de la nature des hommes et des femmes. Ce ne pourrait être le cas qu’au prix d’une transformation radicale des rôles sociaux, autrement dit d’une déconstruction des genres - impossible dans un cadre naturaliste, nécessaire, mais aussi suffisante dans un cadre constructiviste. Si les rapports hommes / femmes ne sont plus caractérisés par la domination, quelle intérêt pour une structure censée "protéger" les femmes ? Aucune. Au contraire, placer les femmes sous une "protection" masculine, d’où qu’elle émane, perpétue une vision inégalitaire des rapports sociaux, remplaçant une domination par une autre - celle des conjoints par celles de parents.


Hormis cette proposition, d’autres alternatives sont possibles. A voir si elles réussissent là où échoue la famille élargie. Ainsi la vie communautaire, notion aussi vague qu’abstraite, peut apparaître comme une solution si on l’entend comme espace choisi librement et cherchant à réaliser des principes libertaires et égalitaires d’émancipation personnelle - se posant, donc, comme alternative à la norme sociale. Problème : dans leur réalisation, un grand nombre de communautés ont reproduit à plus ou moins long terme en leur sein des schémas de domination, aussi violents parfois que ceux de la société que leurs membres contestaient initialement (viols, violences physiques, psychologiques, mauvaise répartition des tâches notamment des tâches dévalorisées ou ingrates).


L’émancipation par la publicité ?


Le principal avantage de la communauté sur le couple semble devoir être cherchée ailleurs : dans la publicité des rapports sociaux de sexe. Il est en effet probable que le couple soit un cadre plus "favorable" à l’apparition de la violence dans la mesure où il est privé, où la domination peut s’y exercer sans avoir à craindre la désapprobation d’autrui - quand celle-ci existe, c’est-à-dire quand elle est socialement construite. Ainsi peut s’expliquer le cas de nos sociétés, où les violences faites aux femmes s’expriment toujours autant dans le cadre du couple (privé) alors qu’elles sont en recul (plus symbolique que réel) dans l’espace public. Prenons l’exemple des tâches socialement dévolues aux genres : Si la loi admet l’égalité des femmes dans le monde du travail, si l’écart entre salaires masculins et féminins tend à se réduire (tout en restant énorme..), la situation est tout autre dans le cadre du ménage : les petites filles sont toujours éduquées à s’occuper des tâches quotidiennes du foyer, sans que cela soit considéré comme un "travail", au sens "noble" du terme, et la répartition des tâches du foyer reste très défavorable aux femmes. Même les "progrès" dans l’implication des hommes sont marqués au coin de la différenciation sexuelle : hommes et femmes n’accomplissent pas les mêmes travaux, sans que personne (ou presque) ne s’en émeuve. De même, si le viol commis par un étranger est stigmatisé, viol et violences conjugales restent dans le domaine du tabou, du sacro-saint "secret familial", et le plus souvent classés sans suite par les tribunaux dans les rares cas où ils sont rendus publics.


Mais la transparence des rapports sociaux ne règle pas tout, loin de là. D’une part, elle peut devenir par trop envahissante et aboutir au totalitarisme - dont elle constitue l’une des caractéristiques majeures. D’autre part, ce mécanisme ne peut jouer que dans un cadre où la stigmatisation des violences faites aux femmes existe ; dans le cas inverse, elle ne fait que les redoubler. Là où la femme doit s’échapper du couple, elle doit alors fuir l’ensemble de la société - ce qui signifie l’exclusion pure et simple. Ce qui sous-entend que doit exister en amont une évolution profonde de la représentation des femmes vers l’égalité pour que puisse fonctionner l’appel au public comme moyen d’émancipation - sans pour autant supprimer les risques inhérents à la transparence.


Ainsi, à la fois condition sine qua non du fonctionnement d’autres structures de vie que le couple, mais aussi condition sans doute suffisante au fonctionnement de celui-ci selon des principes égalitaires et libertaires, la déconstruction des genres retrouve la place centrale qui est la sienne. Elément indispensable de l’émancipation des femmes comme des hommes, elle est et reste le vecteur d’émancipation premier dans la lutte contre les normes intériorisées du patriarcat et dans la recherche de l’autonomie personnelle. A chacun-e ensuite de choisir son mode de vie : c’est le couple comme norme imposée qu’il faut remettre en question, non le couple comme libre choix de l’individu autonome.


Com’ antipat’ du scalp/reflex Paris


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