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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°13 - Octobre 2002 > 400 papons... sinon rien !

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400 papons... sinon rien !


Mieux vaut avoir été un criminel de guerre pour avoir une chance d¹être libéré ou ne pas être jugé (voir le cas de Pinochet) en ce bas monde. Comme le dit très bien Act Up « Aujourd’hui, des détenuEs malades du sida meurent en prison sans avoir reçu de réponse à leur demande de grâce médicale. Visiblement, leur santé ne vaut pas celle d’un complice de crime contre l’humanité. »


On croyait l’avoir oublié. La certitude était forte de voir l’ancien bourreau des Juifs de Bordeaux - également assassin des Algériens de Paris - finir son existence sur un grabat de luxe, à la prison de la Santé. Nul, à part ses proches, n’aurait versé une larme sur la disparition de ce fonctionnaire sans reproche, survivant du passé vichyste de la France. Exit Papon. Nous serions passés à l’ordre du jour pour ne plus nous inquiéter que de ses successeurs, peu fréquentables : les Jules Moch ou les Marcellins, les Pasqua, Debré ou Chevénement et, enfin, le Sarkozy.

Las. Le Papon nouveau est revenu !

Sans rien relativiser, il est nécessaire, malgré tout, de regretter cette focalisation sur le seul Papon. Cette fixation sur un salaud ordinaire pouvait faire croire que cette crapule avait été le seul préfet à sévir dans ce beau pays de France, de l’été 1942 à 1’été 1944. Papon ayant désormais pour fonction de masquer le comportement de toute la haute fonction publique au temps de l’occupation nazie, Pétain et Laval régnant à Vichy.

Des Papons par centaines. Tous les préfets ou sous-préfets, nécessairement en charge de la répression raciale ou politique, ont eu, ou auraient pu avoir le même comportement de bureaucrate froid que le secrétaire général de la préfecture de la Gironde. Fallait-il ordonner à la police de rafler des Juifs, en vue de leur déportation dans un camp d’extermination, s’activer à la chasse aux communistes ? Tous ces tyrans de préfecture répondaient présents à l’appel, et faisaient exécuter la consigne en l’améliorant, le plus souvent.

Les noms de ces préfets qui se seraient risqués à désobéir à la Gestapo, transmis par Vichy, ou directement, ne sont pas passés à l’histoire. Sinon, cela ferait des années que l’on nous aurait rebattu les oreilles avec le souvenir de ces héros qui avaient résisté avec vaillance aux ordres barbares.

Quatre cents préfets et sous préfets. Pas un réfractaire ! Papon, aux ordres de Bousquet, secrétaire général à la police de Vichy, a manqué de chance. Son zèle à réprimer était, certes, exemplaire, mais sans jamais atteindre les scores d’Amédée Bussières, préfet de police de Paris qui, lui, de 1942 à 1944, fera déporter des dizaines de milliers de Juifs de la région parisienne contre "seulement" 1680 pour le préfet bordelais...

Une question indispensable se pose : comment se fait-il qu’après la libération les Papon n’ont pas été, sinon emprisonnés, du moins écartés de l’administration ? Réponse rapide : de Gaulle était tellement inquiet, en août 1944. Lors de son retour en France, de voir un pouvoir, plus ou moins populaire, surgir des maquis ou de la guérilla urbaine, qu’il se fit un devoir de récupérer les fonctionnaires de Vichy. Policiers, gendarmes, magistrats, tous félons (comme ont dit les livres d’histoire), tous assassins par destination, seront maintenus à leur poste, obtenant même des promotions inattendues. De Gaulle, qui connaissait bien les hommes, savait que ces valets sanglants de Vichy lui seraient d’autant plus fidèles qu’ils avaient faillis.

Comment expliquer autrement la nomination de Papon comme préfet des Landes, en 1945. En 1946, on le retrouve chef de cabinet du secrétaire d’Etat à l’intérieur. Préfet en Corse, en 1947, préfet de Constantine en 1949, Papon commence à se faire les griffes sur les Arabes, après s’être sérieusement occupé des Juifs. La suite va de soi : secrétaire général du Protectorat du Maroc, en 1954 et 1955, il n’est certainement pas étranger à la déposition du sultan Mohammed V, trop peu servile envers la France. En pleine guerre d’Algérie, l’homme de toutes les bases besognes devient inspecteur général en mission extraordinaire dans l’Est algérien, de 1956 à 1958. Enfin, en mars 1958, par la volonté du général de Gaulle, Papon, qui a fait ses preuves, est nommé préfet de police de Paris. Il va, de nouveau, donner toute sa mesure : le 17 octobre 1961 et le 8 février 1962, à Charonne.

Cette brillante carrière de fonctionnaire répressif n’a pas suffit à Papon. Il décide d’entrer en politique et se fait élire député gaulliste du Cher, en 1968. Comme cela ne suffit pas il devient trésorier national et membre de l’exécutif du parti gaulliste de l’époque, l’UNR. En 1975, il est, tout naturellement, membre du Comité central du RPR. Maire de Saint-Amond-Montrond, de 1971 à 1983, Papon a également eu le temps de devenir ministre du budget dans le gouvernement de Raymond Barre (ce n’est pas une calomnie de rappeler que son directeur de cabinet n’était autre que le jeune Jean-Louis Debré) de 1978 à 1980. C’est précisément cette longévité politique qui finit par intéresser ceux des résistants bordelais n’ayant pas oublié son activité, à Bordeaux, sous l’occupation nazie. C’est ainsi qu’en 1981 l’affaire Papon commence, de vieilles et dérangeantes archives ayant été exhumées. Rappelons le remarquable titre du Canard Enchaîné, à cette époque : "Papon aide de camps !"

Parmi ceux qui, aujourd’hui, se lamentent après la libération de Maurice Papon, le 18 septembre dernier, certains manquent singulièrement de pudeur. Particulièrement ces hommes et femmes politiques (Ohé, Simone Veil) qui ont participé aux "affaires" dans un même gouvernement que le pestiféré. Comment oublier, également que lors des élections européennes de 1979, la chère Simone Veil, dirigeait la liste de la droite unie avec, en troisième position, l’infréquentable Robert Hersant...

La boucle est bouclée. Le dernier chaînon de la Résistance, à laquelle prétendent se rattacher nos gaullistes modernes, vient de sauter. En libérant Papon, l’actuel pouvoir (même si le ministre de la Justice s’est prétendu indigné) a clarifié la situation : les débris du gaullisme se sont retrouvés, main dans la main, avec les nostalgiques du régime de Vichy.

Quant à Papon, oublions-le. Il est plus important de s’inquiéter de ceux qui gouvernent aujourd’hui et ne négligeraient peut-être pas de réprimer certaines minorités, avec d’autres méthodes sans doute, mais la même finalité : marginaliser, exclure. Finalement, rien n’a vraiment changé depuis soixante ans. A cette différence notable - il est indispensable de le souligner - que le voyage ne se termine plus à Auschwitz. Encore heureux...

Maurice Rajsfus


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