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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°13 - Octobre 2002 > La république policière

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La république policière



Nos républiques ont toujours filé un mauvais coton. De la 1ère à la 5ème, durant plus de deux siècles, il a surtout été question d¹ordre, bien plus que de libération des femmes et des hommes. Il y a toujours eu de bonnes recettes républicaines pour mettre le bon peuple à la raison. C’est, en effet, une tradition de nos régimes républicains que de faire régner - de temps à autres - une terreur que ne renieraient pas les pires régimes dictatoriaux. Les bains de sang n’effraient jamais ceux qui prétendent servir la République du moment.

De1792 à 1794, on a guillotiné à tour de bras, et pas seulement des aristocrates ou des curés. En juin 1848, des milliers d¹ouvriers parisiens étaient asassinés sur les barricades par les « mobiles » du général Cavaignac - ils ne revendiquaient que le droit de vivre dans la dignité. En 1871, c’est l¹armée des Versaillais, dirigée par le général Trochu, qui se livrait au massacre de ces Communards rêvant à une société plus juste - ce qui était bien plus aisé que de s’affronter aux armées prusiennes. Ne mentionnons, ici, que pour mémoire les saloperies de la police et de la gendarmerie françaises - de l’été 1940 à 1944 - lorsque la République était entre parenthèses, laissant ses mercenaires faire la sale besogne des occupants nazis.

En mai 1945, à l’aube d¹une ère nouvelle, nous faisait-on croire, l’armée, la police et la gendarmerie, aidées par les colons, perpétuaient le meurtre sur une grande échelle, en massacrant près de 40 000 Algériens qui ne revendiquaient que leur droit à l’indépendance - ce qui paraissait insupportable au général de Gaulle, tout auréolé de ce prestige alors accordé à la « France libre ». Nous sortions de quatre années d¹asservissement mais il paraissait naturel de mettre au pas un peuple dont les fils avaient constitué l’essentiel des soldats de l’armée qui avait débarqué sur les côtés méditerranéennes ou s¹étaient battus en Italie, dès la fin de 1943. La République gaulliste connaissait à nouveau son heure de gloire, le 17 octobre 1961. Ce jour-là, c’est très tranquillement que nos policiers parisiens (les mêmes qui avaient livré les Juifs aux nazis) se transformaient à nouveau en criminels de haut vol en jetant à la Seine quelques 200 travailleurs algériens qui manifestaient paisiblement contre le couvre-feu inique qui leur était imposé. Il est vrai que ces gardiens de la paix étaient commandés par le préfet Papon, celui-là même qui, en 1942 faisait rafler les Juifs bordelais. La sauvegarde des institutions était sans doute à ce prix, et le général de Gaulle, une fois encore, ne s’était nullement soucié de l’ampleur de cette répression.

En mai et juin 1968, toujours sous l’autorité du même général, policiers et gendarmes mobiles matraquaient et gazaient les étudiants parisiens en révolte. La fine fleur des futures élites du pays était traitée comme de vulgaires « bougnoules ». Voilà qui démontrait l’humanisme profond d’un régime dont nombre de ministres étaient encore issus de la Résistance.

Depuis, pour de très bonnes raisons, police et gendarmerie ont toujours été considérées comme le meilleur garant d’un régime issu du coup d’Etat à blanc du 13 mai 1968. A partir de 1981, que la gauche ou la droite détienne le pouvoir, la police a toujours vu ses effectifs augmenter et ses moyens renforcés. Au fil des années, nous allions connaître les Pasqua et les Pandraud, les Debré et les Chevénement (*), chacun plus vitupérant que l¹autre mais n¹osant jamais franchir la frontière séparant l¹apparence de démocratie de l¹authentique régime autoritaire.

Depuis le 5 mai 2002, la volonté est affirmée de mettre la République sous la protection de forces de l¹ordre très énervées. De juin 1997 à avril 2002, les socialistes avaient pourtant fait le maximum pour contenter cette armée de mercenaires : augmentation des effectifs et forte évolution des salaires, particulièrement. La bassesse de la gauche et ses concessions à la police étaient toujours considérées comme insuffisantes car les fiers à bras revendiquaient rien moins que la réalité du pouvoir. Ce à quoi l’équipe Vaillant-Jospin ne pouvait encore se résoudre.

Les cartes sont redistribuées depuis l’arrivée de Sarkozy au ministère de l’Intérieur. La police n¹a plus seulement du pouvoir, elle est au centre du pouvoir ! Les responsables des syndicats de policiers ne s¹y sont d¹ailleurs pas trompés puisqu’au lendemain du second tour des élections présidentuelles, censées éloigner la menace de l¹extrême droite, ces braves défenseurs de l’ordre public ne manquaient pas de proclamer : « Nous allons rétablir la république ! » Ce qui signifait en clair que la guerre faite aux banlieues allait pouvoir se dérouler sur une grande échelle, que les sans papiers pourraient faire leurs valises, que le droit d’asile serait mis à mal. Tout aussi sûrement, l¹ensemble de la société précaire ou revendicative ne manquerait pas d¹être mise sous haute surveillance.

Lorsque la police obtient une délégation de pouvoir sans limite, lorsque la justice est aux bottes des forces de l’ordre, il convient de s’inquiéter. Il est déjà question de réduire le nombre de fonctionnaires (enseignants et agents hospitaliers sans doute) et les crédits de la recherche, afin de disposer des moyens nécessaires au renforcement de la famille tape-dur. Il n’y a plus d’autre idéologie que l’ordre. Quiconque ne s¹aligne pas dans les rangs devient suspect. La société française n¹est plus qu¹un vaste système hiérarchique où l’on ne bronche pas. Tout est inscrit, prescrit, autorisé ou interdit. Il y a les réglements, qu’il n’est pas question d’enfreindre. La société doit être soumise aux arrêtés et décrets. On ne demande plus, on ordonne. Le mode autoritaire tient lieu de dialogue. La rigueur et la contrainte sont constamment à l’ordre du jour.

Soyez heureux, mes gens, semble dire Chirac. Vous êtes superportégés. Dormez tranquilles, braves gens, ne cesse de proclamer Sarkozy, il n’y a plus un centimètre carré de territoire français qui ne soit sous haute protection policière. La police n’applique pas seulement la loi, elle la rédige. La hiérarchie policière, plus indépendante que jamais, peut faire la pluie et le beau temps, sous couvert de démocratie bien ordonnée. En fait, la police délègue un peu de son pouvoir à l’Etat.

Le citoyen, c’est un mot bien commode, doit être convaincu que la police le protège. Il y a, certes, des inconvénients à cette situation mais quel soulagement d’avoir la quasi-certitude que les « sauvageons » se terrent désormais dans leurs banlieues, que les « gens du voyage » sont renvoyés dans la ville d’à côté, que les sans papiers ne connaîtront plus la moindre complaisance, que les précaires se voient indiquer la direction de la niche, qu’ils n’auraient jamais dû quitter, que les chômeurs n’auront plus que le droit de se taire. Bien sûr, le revenu du corniaud (pardon, je voulais dire le citoyen) va en souffrir, ses acquis sociaux se dégrader, mais il sera de plus en plus protégé.

Les socialistes, qui ont initié cette société policière, se taisent ou réagissent avec prudence. Comment, en effet, les auteurs de la Loi sécurité quotidienne (LSQ) pourraient-ils s¹opposer à la Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) qui lui a succédé. L’équipe qui a dirigé le pays de 1997 à 2002 nous promettait une belle démocratie, pour demain. Nos nouveaux maîtres nous ont déjà fait savoir que c’était la République policière pour tout de suite !

Il y a des inconvénients, c¹est vrai, mais la logique y retrouve son compte. On embauche à tout va dans la police. Sur la lancée des emplois jeunes, créés par Chevénement en 1997, Sarkozy a annoncé la création de quelques 13 500 postes supplémentaires dans la police et la gendarmerie. Y aurait-il un appel pour doubler les effectifs des forces de l’ordre que les candidats seraient encore en surnombre. Pourquoi s’inquiéter ? C’est un travail comme un autre - surtout à une époque où les industries de main-d’oeuvre licencient de plus en plus.

Cette situation est d¹autant plus préoccupante que le « terrain » social ne saurait rester calme. Qu¹en sera-t-il, en effet, lorsque les échéances douloureuses ne manqueront pas de provoquer la colère de ceux qui se sont laissés berner ? Disons tranquillement qu¹il faut craindre le pire. Comme je suis excessif, je vais réitérer une affirmation qui avait fait hurler certains de mes amis il y a quelques années : « En période troublée, un français sur deux devient flic, l’autre l’est peut-être déjà ! »

Maurice Rajsfus

* Les collectionneurs se reporteront à mon article : « Ne dites pas Pasqua ou Debré, prononcez carrément Chevénement ! » in No Pasaran, octobre 1999.


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