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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°13 - Octobre 2002 > Chronique d’un peuple à l’agonie

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Chronique d’un peuple à l’agonie


Douze jours d’immersion totale parmi la population palestinienne et des images, des colères, et des questions plein la tête au moment du retour.


Nous avions décidé de passer la Jordanie. D’une part le billet était moins cher, d’autre part on s’était dit que si on se faisait expulser ou refouler à la frontière par les soldats israéliens au moins on pourrait faire du tourisme dans la région.

Le point de passage entre la Jordanie et la Cisjordanie est l’Allenby Bridge. Traverser la frontière à cet endroit nous fait normalement entrer directement en Palestine. Or ce sont des gardes frontières israéliennes et israéliens qui nous arrêtent. Le sourire est là ( tu parles, c’est normal on est occidentaux, le palestinien à côté de nous à l’air d’être traité avec beaucoup moins de considération ), la suspicion également : " D’où venez-vous ? Pourquoi êtes-vous passé par la Jordanie ? Où allez-vous en Israël ? Notre argument est en béton : "Nous allons travailler dans un kibboutz à côté d’Haifa ; on nous attend ce soir ou demain." "Bon séjour, mais faites attention aux terroristes des territoires " ; ça -y-est, le ton est donné !

A Jérusalem, nous rendons visite à Jeff Halper un israélien d’origine américaine dont l’association a pour but de reconstruire les maisons palestiniennes détruites. Les militantes et militants de cette organisation sont des personnes israéliennes, ou d’autres pays. Les justifications n’ont pas besoin d’être élaborées, en tout cas plus maintenant. " cette maison est celle d’un terroriste, elle est trop proche d’une colonie et menace la sécurité d’Israël ", ou tout simplement " elle gêne la construction d’une nouvelle route pour les colonies ". Les arguments crédibles pour justifier la destruction de maisons palestiniennes ne sont plus de mise. Jeff sait très bien que son association et les personnes qui y militent à chaque maison détruite, à chaque contestation de cet état de fait, à chaque ouverture de chantier de reconstruction s’aliène de plus en plus le reste de la population israélienne, massivement derrière ses gouvernements successifs sur la question de la " Sécurité de l¹Etat d’Israël. " A la question de savoir si les actions de son association sont soutenues par la population israélienne, Jeff nous répond que pour la majorité des israéliens, ce qui importe, c’est la paix et non que les gouvernements successifs qu’ils ont élus sont en train de massacrer une population.

Pour lui la politique israélienne est très claire : reproduire en Cisjordanie le système des bantoustans sud africains. Parquer les populations palestiniennes en certains endroits de la Cisjordanie, et développer à coté des infrastructures industrielles ayant besoin de main-d’oeuvre à bon marché. Ainsi, Israël pourra continuer à occuper la Cisjordanie, tout en proposant à la population palestinienne du travail et donc de l’argent. C’est en effet l’un des problèmes majeurs : 75 % des palestiniens travaillaient en Israël. Depuis le bouclage des territoires et les couvre-feux quasi permanents presque plus aucun palestinien ne travaille, ne touche pas ou extrêmement peu de chômage, et la misère s’installe. Et quand il y a la misère, la révolte n’est pas loin.

Il précise qu’Arafat a bien fait de refuser les propositions de rendre 85% de la Cisjordanie à l’Autorité palestinienne. Ces 85% n’incluaient pas les colonies et Israël conservait les 15 % nécessaires au contrôle total des routes de Cisjordanie.

L’importance de la religion est frappant et biaise tout la réflexion sur le sujet. Ainsi, Jeff nous explique que pour la majorité de la population, Israël est : une république, un état juif, et qu’il veut la paix. Or, on ne peut avoir les trois situations ensemble. Un état juif peut vivre dans la paix, mais cela ne sera pas une république car la liberté de culte ne sera pas respecté. Une république peut la paix, mais il faudra mettre de coté le caractère religieux ce qui est inconcevable pour l’ensemble de la population israélienne. Et une république ne peut être un état qui se revendique d’une religion quelle qu’elle soit.

Nous partons pour le village d’Halhul dans la banlieue d’Hébron, à une vingtaine de kilomètres au Sud de Jérusalem. Village de la banlieue d’Hébron coupé de la ville et de la route de Jérusalem par des amas de terre qui empêchent toute voiture de passer, et plusieurs maisons occupées par l’armée israélienne qui tire régulièrement sur les personnes qui n’ont pas d’autre choix que de tenter de forcer le barrage pour pouvoir aller travailler, aller voir un médecin...

Nos chauffeurs étaient palestiniens faisant partie des israéliens de 1948, vivant et travaillant en Israël mais se faisant brimer à longueur de temps. Le voyage vers le village nous met dans l’ambiance très rapidement : trois check-points. Les soldats ne veulent pas laisser passer le taxi. Mais d’un autre côté, ils sont emmerdés de devoir faire descendre des internationaux à un check-point. Notre présence les gênerait pour faire leur travail de brimades, de violences quotidiennes. La solution qui est trouvée par les chauffeurs : laisser l’un d¹entre-eux en otage au check-point, à attendre le retour du taxi. Nos protestations ne serviront à rien : c’est ça ou demi-tour. Les consignes données aux soldats sont respectées : être poli mais ferme avec les internationaux, essayer le plus rapidement possible de les faire s’en aller. Ne pas leur répondre quand ils commencent à poser des questions plus problématiques. Ce qui est frappant, c’est l’âge de ces soldats : autour de 20 ans en moyenne, quelque fois encore plus jeunes, nombreux sont totalement camés pour tenir la pression que leur gouvernement leur impose...et ils ont des armes dans les mains et peuvent ouvrir le feu à tout moment.

La situation de Halhul est l’exemple typique de ces villages agricoles. Maisons regroupées au centre de terres cultivées. Malheureusement maintenant ils leur est impossible d’aller dans leurs champs pour cultiver, traiter la terre, ou récolter leurs produits. Ils se font tirer dessus par les soldats ou les colons, le couvre-feux est permanent. La méthode est simple mais redoutablement efficace : justifier le fait que les terres ne soient pas cultivées, ou laissées à l’abandon pour autoriser l’annexion de celles-ci par des colons.

Avant, il y avait des échanges économiques avec Israël, la Jordanie, la Bande de Gaza. Maintenant, avec les barrages installés partout tout transport de marchandises devient quasi impossible. C’est sur ce « quasi » que joue Sharon. Boucler totalement tous les territoires lui serait néfaste : la tension serait trop forte dans ceux-ci, ce qui mettrait en péril la sacro-sainte " Sécurité d’Israël ", ce qui le ferait chuter dans l’opinion publique ; de plus il pourrait s’aliéner une partie de la " communauté internationale ". Il préfère jouer sur le degré d’intensité de l’oppression, ce qui a l’avantage de saper les forces morales des populations des territoires. Ainsi, de temps en temps, il autorise aux agriculteurs de récolter leurs produits en sachant qu’ils seront vendus à perte, et qu’ils ont de grandes chances de ne pas quitter les camions qui les transportent, bloqués dans le village ou à un check-point, pour finir dans une décharge car totalement pourris. De plus, ne plus autoriser les personnes à aller dans leurs champs, donc ne plus produire permet à Israël d’avoir un marché totalement ouvert. Tous les produits que nous avons vus sur le marché de Halhul étaient israéliens. Le gouvernement Sharon venait d’interdire la culture des pastèques pour pouvoir écouler les stocks produits par les colons.

L’autre village où nous sommes allés était Dayr-Istiyah au Nord Ouest de la Cisjordanie. La situation était exactement la même qu¹à Halhul avec en plus un couvre-feux permanent avec circulation de chars et de jeeps de l’armée israélienne.

Nous avons eu également l’occasion de vivre dans des camps de réfugié-e-s. Deux à coté de Bethlehem : Deische-camp et Aïda-camp, l’un dans la banlieue de Ramallah : Qualandyah-camp. Le camp qui m’a personnellement le plus marqué était celui de Deische. Là la tension est très vive : les soldats patrouillent à l’intérieur toutes les nuits, le nombre d’habitants sur un espace aussi réduit augmente également cette pression. Dans le camp de Deische s’entassent 10000 personnes sur 1km2. Le couvre-feux est quasi permanent, toutes les nuits on entend des tirs d’armes automatiques : les soldats qui passent dans la rue. L’école est, comme celle d’Aïda sous couvert de l¹ONU, ce qui ne l¹empêche pas d’être criblée de balles. On nous raconte que ce n’est pas toujours la nuit que l¹école est prise pour cible... C’est l’attitude des enfants la plus difficile à regarder. Ils jouent mais on sent quelque chose de brisé chez eux. Tous ces enfants ont un frère, une soeur tué-e durant la première Intifada, ou en prison dans les geôles israéliennes, ou en exil dans la Bande de Gaza. Les portraits des martyrs du camp rappellent cela à longueur de temps. Visages de personnes fauchées par les balles israéliennes en rentrant de l¹école, pendant un affrontement, ou s’étant fait sauter en Israël car la pression était trop forte, et que l’espoir et l’envie de vivre avaient disparu.

L’espoir disparaît encore plus quand on voit à ses portes, comme à Aïda­camp, un mur se construire pour encore plus enclaver la Cisjordanie. Mur, pour l’instant en cours de construction, mais déjà impossible de franchir la tranchée : des fils de fer coupants sont installés.

Dans ces camps et ces villages, nous avons eu de longues discutions avec les habitant-e-s sur leur situation, sur la politique de Sharon, le rôle de l’Autorité Palestinienne, les pouvoirs d’une mission de protection internationale, ...discussions que je me propose de relater dans le prochain numéro.

Cdric


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