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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°13 - Octobre 2002 > Réflexions sur le mouvement des sans-papiers

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Réflexions sur le mouvement des sans-papiers


Le renforcement des mesures policières se traduit par une chasse au faciès encore plus renforcée. Le gouvernement Sarkozy est prêt à employer les grands moyens pour « chasser » le sans-papier comme l’a démontré l’épisode de Valence où le maire UMP n’a pas hésité à déployer une centaine de policiers dont de nombreux membres des BAC (brigade anti-criminalité) venus de toute la région pour empêcher le mariage d’Hamid et l’interpeller. Situation qui se répète dans d¹autres villes. La reconstruction d’un mouvement avec comme axe central la revendication de la régularisation pour toutes et tous (n’en déplaise à SOS Racisme, ah ceux-là faut se les fader !), au niveau hexagonal et européen est une étape indispensable.


Le caractère positif du mouvement tient à deux faits :

- il révèle la permanence du problème, et l’ampleur de la détresse des sans-papiers ;

- il traduit un engagement consolidé de la part de l’Eglise Catholique, souligné par l’intervention de deux évêques.

Mais le mouvement actuel est dominé par le phénomène de l’inscription sur les listes. Or ce mécanisme des listes repose sur des illusions, et il produit toute une série d’effets pervers.

1) Illusions Beaucoup de sans papiers pensent qu¹en s’inscrivant sur des listes ils vont obtenir leur régularisation, ou au moins un nouvel examen de leur dossier. En réalité le gouvernement et les préfectures n’ont pris aucun engagement précis, sinon celui d’examiner les listes et les dossiers correspondants au cas par cas.

Aucune modification de la loi n’est envisagée ; les circulaires d’application sont maintenues telles quelles. Les règles et les critères de traitement des dossiers que les administrations se sont données demeurent donc inchangés.

En conséquence, les décisions seront prises au cas par cas par les préfets, dans l’arbitraire le plus complet.

Manifestation après manifestation, nous avons crié : "Le cas par cas, on n’en veut pas !" Pourquoi faudrait-il célébrer aujourd’hui comme une victoire ce que nous avons toujours rejeté ?

Il faut rappeler en outre :

*que toute régularisation d’un dossier préalablement refusé est un désaveu de l’administration ; or les hommes politiques sont généralement peu enclins à ce genre de désaveu.

*que si les préfectures se disposaient vraiment à procéder à un réexamen sérieux de plusieurs milliers de dossiers dans un délai raisonnable, il leur faudrait recruter des centaines de vacataires ou d’employés supplémentaires, comme cela a été le cas en 1997. Or à ce jour aucune embauche de ce genre n’est prévue. Dans ces conditions, le plus probable est que le gouvernement procédera à quelques dizaines ou quelques centaines de régularisations portant soit sur les cas humanitaires les plus flagrants, soit sur les dossiers les plus chaudement recommandés par telle ou telle " autorité ", de façon à ne pas opposer un refus brutal aux demandes venues en particulier des évèques et à se donner un "visage humain". Mais immédiatement après, il tirera parti de cette "humanité" apparente pour justifier un durcissement réel de sa politique et un accroissement du volume des reconduites et des expulsions, conformément aux engagements pris pendant la campagne électorale.

Si ces prévisions sont confirmées, les événements actuels - la remise des listes et leur examen au cas par cas - apparaîtront comme la première étape d’un énorme piège.

2) Effets pervers

Le mécanisme des listes produit toujours les mêmes effets pervers :

*il déchaîne la concurrence entre les sans-papiers eux-mêmes, chacun s’efforçant de s’inscrire avant les autres. Il multiplie les soupçons de resquille, de favoritisme, etc. Autrement dit, il divise au lieu d’unir.

*il fait sortir de l’ombre des dizaines ou des centaines de personnes qui n’ont jamais pris part à la lutte, et qui, sitôt inscrites, repartent immédiatement chez elles pour attendre la suite. Il répand donc l’idée que, pour obtenir les papiers, il suffit de faire la queue et de s’inscrire et qu’il est inutile d’agir, de manifester. Il est donc profondément démobilisateur.

Le gouvernement sait au surplus fort bien ce qu’il en est, et il sait donc qu’il n’a rien à craindre d’un mouvement ainsi engagé.

3) Que faut-il faire ? En 1996, nos camarades de Saint-Bernard n’ont pas ouvert de listes.

Aux sans-papiers qui voulaient les rejoindre, ils ont conseillé de former de nouveaux collectifs qui viendraient lutter à leurs côtés, et c’est ainsi qu’est né notre Troisième Collectif.

La situation n’est pas changée. A l’heure actuelle, alors que le gouvernement s’en tient au régime du cas par cas et de la décision arbitraire, il n’est pas question pour nous d’établir une liste.

Si le gouvernement veut procéder à une régularisation même partielle, qu’il annonce clairement à quelles conditions, selon quels critères et quelles règles applicables à tous.

A ce moment-là nous pourrons informer les sans-papiers, et les aider à décider en connaissance de cause s’ils ont intérêt ou non à présenter un dossier, le choix leur appartenant de toute évidence en dernier recours. Mais pour le moment, remettre des listes sans aucune garantie préalable, c’est donner notre accord au système du cas par cas que nous avons toujours combattu, et légitimer par avance le durcissement qui suivra.

Il faut au contraire tout faire pour transformer le mouvement actuel en mouvement de revendication et d’action, s’efforcer de multiplier les collectifs, et maintenir notre exigence d’une régularisation globale, seul objectif susceptible d’unir l’ensemble des sans-papiers.

Emmanuel Terray, Cedetim - 6 septembre 2002


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